Plaignant
M. Jan Lempicki
Mis en cause
Mme Christine Fournier, journaliste; M. Marcel Courchesne, rédacteur en chef; l’émission « Le Téléjournal » de 22 h 00 et la Société Radio-Canada et l’émission « Le Téléjournal » de 21 h 00 et 23 h 00 et le Réseau de l’Information – RDI
Résumé de la plainte
M. Jan Lempicki porte plainte contre Mme Christine Fournier, journaliste, ainsi qu’à l’encontre de la Société Radio-Canada (SRC) et de RDI pour avoir diffusé, le 30 novembre 2009, une « fausse information induisant le public en erreur et insultant la nation polonaise ». L’information en question traitait du procès de John Demjanjuk, accusé de complicité dans l’assassinat de 28 000 Juifs, lors de la Deuxième Guerre mondiale.
Griefs du plaignant
M. Jan Lempicki porte plainte contre Mme Christine Fournier, journaliste, ainsi qu’à l’encontre des responsables du « Téléjournal » de 22 h 00 de la Société Radio-Canada (SRC), et ceux du « Téléjournal » de 21 h 00 et de 23 h 00 de RDI. Le plaignant leur reproche « d’avoir diffusé une information induisant le public en erreur et insultant la nation polonaise ».
Le texte, diffusé durant les bulletins télévisés, était le suivant : « Début aujourd’hui à Munich en Allemagne du procès de John Demjanjuk accusé de complicité dans l’assassinat de 28 000 Juifs dans les chambres à gaz d’un camp de concentration polonais lors de la Deuxième Guerre mondiale. En raison de son état de santé, son procès se limitera à deux sessions quotidiennes de 90 minutes. L’ancien gardien de camp, qui a 89 ans, risque la prison à perpétuité. »
Selon le plaignant, l’erreur est d’avoir indiqué « que Demjanjuk était gardien dans LE CAMP DE CONCENTRATION POLONAIS ». Pour le plaignant, en formulant ainsi cette phrase, des centaines de milliers de téléspectateurs ont appris que, pendant la Seconde Guerre mondiale, les Polonais ont installé un camp de concentration dans lequel des centaines de milliers de Juifs ont été exterminés.
M. Lempicki mentionne qu’il a fait des démarches auprès de la direction de l’information et de l’ombudsman de la SRC pour faire corriger l’information. Il demandait alors aux deux instances de reconnaître formellement leur erreur. Selon lui, la seule façon de réparer le tort fait aux Polonais et de corriger la fausse information était « la présentation dans le Journal télévisé d’un communiqué rectificatif, afin d’atteindre le même public » qui regarde le « Téléjournal ». Il en dicte même le texte : « – l’expression « CAMP DE CONCENTRATION POLONAIS », utilisée le 30 novembre 2009 dans je (sic) journal télévisé du soir dans l’information au sujet de l’ouverture en Allemagne de procès de Demjanjuk, gardien dans le camp de Sobibor, était une grave erreur non conforme à la vérité historique; il s’agissait en réalité d’un camp d’extermination installé par les Allemands en Pologne occupée. »
Le plaignant ajoute : « L’ombudsman de Radio-Canada, tout en me donnant raison, a refusé de recommander la rectification de la fausseté sur les ondes; cette décision a été confirmée par le directeur général de l’information RC. »
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Mme Martine Lanctôt, directrice, traitement des plaintes et affaires générales :
Mme Lanctôt répond que, dans les circonstances, les mis-en-cause considèrent avoir pris des mesures adéquates, et traité la plainte de M. Lempicki avec diligence et tout le respect qu’elle mérite.
La directrice explique ces mesures : « Il nous paraît important de souligner que nous avons avisé tous nos rédacteurs en chef et nos rédacteurs de nouvelles, tant à la radio qu’à la télévision et sur Internet, de l’importance d’être précis et juste sur un sujet aussi sensible que les camps de concentration. Une partie d’entre eux ont été avisés dès la réception de la plainte et tous ont reçu par la suite la révision de l’ombudsman et un nouvel avis sur le sujet. » Elle ajoute qu’une mise au point a été publiée sur le site Internet de Radio-Canada, prévu à cet effet.
Par contre, les mis-en-cause n’ont pas jugé nécessaire de revenir en ondes pour faire une précision sur le sujet, pour plusieurs raisons : lorsque la lectrice des nouvelles, Christine Fournier, en a été avisée, déjà deux jours étaient passés; la plainte de M. Lempicki est parvenue à la direction une semaine plus tard, et avec le décalage, cela n’apparaissait pas approprié. De plus, la nouvelle en ondes avait été très brève et l’imprécision n’avait pas été répétée dans les autres téléjournaux.
Selon Mme Lanctôt, les mis-en-cause ont considéré également qu’ils auraient l’occasion de revenir sur le sujet lorsque débuterait le procès du gardien du camp de Sobibor. La directrice estime, en outre, qu’une bonne partie du public de la SRC avait compris qu’il s’agissait d’un camp de concentration nazi en Pologne.
Réplique du plaignant
Selon le plaignant, la réponse de Mme Lanctôt n’apporte rien de nouveau au sujet de la position de Radio-Canada : la direction de l’information continue de négliger et même d’ignorer les règles décrites dans le document des Droits et responsabilités de la presse du Conseil et notamment son article 2.2.7 qui traite de la rectification et de la mise au point.
Disant vouloir s’abstenir de tout commentaire sur les communications à l’intérieur de la SRC, le plaignant choisit plutôt de limiter sa réplique à quelques inexactitudes que contiendraient les commentaires de Mme Lanctôt.
Le plaignant reprend d’abord la chronologie de ses démarches pour démontrer que l’affirmation, selon laquelle sa plainte officielle « est parvenue à la direction une semaine plus tard », est fausse.
M. Lempicki conteste également l’affirmation de Mme Lanctôt voulant que « l’imprécision n’avait pas été répétée dans les autres téléjournaux ». Après avoir contesté l’utilisation du mot « imprécision » pour qualifier ce qu’il appelle une « vulgaire fausseté », le plaignant rappelle que le même texte a été répété encore à deux reprises, soit à 22 h 00 sur les ondes de Radio Canada et à 23 h 00 à RDI.
Le plaignant termine en invitant les mis-en-cause à faire la différence entre le nombre de téléspectateurs qui ont pu être en contact avec les trois bulletins de nouvelles et le nombre de visites sur le site Internet de l’information de la SRC.
Analyse
M. Jan Lempicki reproche à la journaliste Christine Fournier, ainsi qu’aux responsables du « Téléjournal » de 22 h 00 de la Société Radio-Canada (SRC), et ceux du « Téléjournal » de 21 h 00 et de 23 h 00 de RDI « d’avoir diffusé une information induisant le public en erreur et insultant la nation polonaise ». Les mis-en-cause auraient également fait défaut de diffuser un rectificatif satisfaisant à la suite de leur erreur.
Grief 1 : inexactitude de l’information
Le plaignant reproche aux responsables de l’émission d’avoir induit le public en erreur en diffusant, durant trois bulletins télévisés, le texte suivant : « Début aujourd’hui à Munich en Allemagne du procès de John Demjanjuk, accusé de complicité dans l’assassinat de 28 000 Juifs dans les chambres à gaz d’un camp de concentration polonais lors de la Deuxième Guerre mondiale. En raison de son état de santé, son procès se limitera à deux sessions quotidiennes de 90 minutes. L’ancien gardien de camp, qui a 89 ans, risque la prison à perpétuité. » L’erreur en question serait d’avoir indiqué que l’accusé était gardien dans « un camp de concentration polonais ».
Pour le plaignant, en formulant ainsi cette phrase, des centaines de milliers de téléspectateurs ont appris que, pendant la Seconde Guerre mondiale, les Polonais ont installé un camp de concentration dans lequel des centaines de milliers de Juifs ont été exterminés.
Pour sa part, la directrice du traitement des plaintes et des affaires générales au service de l’information, Mme Martine Lanctôt, répond au Conseil de presse que la Société Radio-Canada a « pris des mesures adéquates et traité la plainte de M. Lempicki avec diligence et tout le respect qu’elle mérite ». En pratique, les responsables des bulletins de nouvelles auraient été informés du problème et auraient reçu des consignes pour éviter sa répétition.
En déposant sa plainte, M. Lempicki a annexé copie d’une plainte identique, préalablement adressée à l’ombudsman de la SRC, Mme Julie Miville-Dechêne, et copie de sa « Révision ». Dans ce document, on trouve un extrait de la réponse faite à M. Lempicki, par Mme Lanctôt qui reconnaissait l’erreur : « Nous comprenons toute la gravité du sujet et vous avez raison de souligner qu’il fallait parler de « camps de concentration nazis en Pologne » pour éviter qu’il y ait la moindre confusion quant à la responsabilité de ces camps. » Un peu plus loin, Mme Lanctôt ajoute : « Ceci dit, nous sommes très conscients de notre responsabilité d’informer avec justesse le public et d’éviter la moindre confusion sur un sujet aussi grave que celui de la responsabilité de la mort de milliers de juifs (sic) en Pologne. […] ».
Au sujet des exigences à l’égard du respect du droit à l’information, le guide de déontologie les Droits et responsabilités de la presse du Conseil indique : « Les organes de presse et les journalistes ont le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements. La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes représente la garantie d’une information de qualité. […] Elle est […] synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, de respect des personnes et des groupes, des faits et des événements. » DERP, p. 21
Après examen, le Conseil confirme qu’il y a effectivement une différence significative entre parler de « camp de concentration polonais » et d’un « camp de concentration installé par les Allemands en Pologne occupée ».
En conséquence, le Conseil constate un manquement à la déontologie en regard de l’exactitude.
Grief 2 : rectification insatisfaisante
Au début de sa plainte, M. Lempicki rappelle un principe extrait du guide de déontologie du Conseil au sujet de la rectification : « Il relève de la responsabilité des médias de trouver les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements et leurs erreurs à l’égard de personnes, de groupes ou d’instances mis en cause dans leurs productions journalistiques, que celles-ci relèvent de l’information ou de l’opinion. Cependant, les rétractations et les rectifications devraient être faites de façon à remédier pleinement et avec diligence au tort causé. Les médias n’ont aucune excuse pour se soustraire à l’obligation de réparer leurs erreurs, que les victimes l’exigent ou non, et ils doivent consacrer aux rétractations et aux rectifications qu’ils publient ou diffusent une forme, un espace, et une importance de nature à permettre au public de faire la part des choses. » DERP, p. 46
Selon le plaignant, les mis-en-cause n’auraient pas respecté ce principe, car au-delà de publier une mise au point sur le site Internet de Radio-Canada, ils n’ont pas jugé nécessaire de revenir en ondes pour faire une précision sur le sujet. Et il ajoute : « L’ombudsman de Radio-Canada, tout en me donnant raison, a refusé de recommander la rectification de la fausseté sur les ondes; cette décision a été confirmée par le directeur général de l’information RC. »
Avant de statuer sur le présent grief, le Conseil a noté l’admission par les mis-en-cause de leur erreur dans leurs commentaires. Le Conseil a aussi considéré le fait que les mis-en-cause avaient choisi de remédier à la faute prononcée dans des bulletins télévisés par une mise au point écrite, publiée sur leur site Internet. Il a aussi tenu compte des arguments des mis-en-cause voulant qu’il ne s’agissait que d’une « imprécision », que celle-ci n’avait touché que trois bulletins de nouvelles, que la SRC avait fait diligence pour apporter des correctifs rapidement et que le sujet reviendrait à l’antenne prochainement.
Toutefois, le Conseil a jugé que la mise au point ne respectait pas le principe cité plus haut voulant que l’on consacre aux rétractations et aux rectifications « une forme, un espace, et une importance de nature à permettre au public de faire la part des choses ».
Le Conseil a estimé qu’il n’y avait aucune commune mesure entre la portée d’un correctif exprimé en ondes et celle d’un correctif inscrit dans la section « mise au point » du site Internet de Radio-Canada. En somme, selon le Conseil, la faute commise durant une émission télévisée se devait d’être réparée au cours d’une émission télévisée de portée équivalente, ce qui n’a pas été le cas.
Par conséquent, le grief pour rectification insatisfaisante est retenu.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Jan Lempicki contre Mme Christine Fournier, journaliste, de même qu’à l’encontre de l’émission « Le Téléjournal » et ses diffuseurs, la Société Radio-Canada et RDI, aux motifs d’inexactitude de l’information et de rectification insatisfaisante.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C19B Rectification insatisfaisante