Plaignant
M. Francis Cuggia
Mis en cause
Mme Nathalie Villeneuve, journaliste; Mme Marie-Eve Courchesne, directrice de l’information et le bihebdomadaire Courrier Laval
Résumé de la plainte
L’homme d’affaires, M. Francis Cuggia, porte plainte contre la journaliste Nathalie Villeneuve et le bihebdomadaire Courrier Laval pour avoir publié des propos qui seraient désobligeants, offensants et teintés de faussetés, dans le but, selon lui, de nuire à sa réputation, à celle de sa famille et à son milieu de travail, ainsi qu’à la Télévision Régionale de Laval (TVRL) dont il a été le fondateur et le président.
Analyse
Avant de se prononcer sur le cas soumis à son attention, le Conseil rappelle que selon ses règlements généraux, le délai de prescription pour le dépôt d’une plainte est de six mois à partir de la publication d’un produit journalistique. Par conséquent, la présente décision ne portera que sur deux des huit articles mis en cause par le plaignant, soit ceux des 9 octobre et 26 novembre 2009, produits par Mme Nathalie Villeneuve pour le compte du Courrier Laval.
Grief 1 : informations inexactes
Le plaignant formule d’abord, contre la journaliste, le reproche général d’avoir publié des informations fausses et mensongères qui auraient conduit, selon lui, à sa démission du conseil d’administration de TVRL.
Bien qu’il souligne plusieurs extraits des articles mis en cause, le plaignant ne précise jamais, dans sa plainte, en quoi consistent exactement ces inexactitudes. Le Conseil n’analysera donc que ce qui a été dénoncé avec précision par M. Cuggia.
Le Conseil note premièrement une inexactitude relative au nom de « Jean-Michel Raymond » évoqué par la journaliste dans les deux articles mis en cause et relevé par le plaignant. Après vérifications, il appert qu’il s’agit plutôt de M. Georges-Michel Raymond, vice-président de TVGL. Or, en raison du caractère mineur de cette erreur, qui ne modifie pas le fond du propos de la journaliste, le grief pour inexactitude n’est pas retenu sur cet aspect.
M. Cuggia conteste aussi les affirmations de la journaliste concernant la date et la raison pour laquelle MM. Rousseau et Raymond auraient quitté TVRL. Alors que Mme Villeneuve indique dans ses articles que ceux-ci ont « claqué la porte de TVRL en 2006 », le plaignant affirme que MM. Rousseau et Raymond « n’ont pas claqué la porte, mais le conseil d’administration et Vidéotron en tête leur a demandé de démissionner suite à leur « PUTCH » manqué de octobre 2006 (sic) ». à un autre endroit, en marge de l’article, le plaignant indique la date de septembre 2008 relativement au départ des deux hommes. Cependant, comme le plaignant indique à plusieurs reprises dans ses commentaires qu’il s’agissait d’octobre 2006, le Conseil présume que la date avancée par la journaliste est bien exacte. Quant aux motifs relatifs au départ de MM. Rousseau et Raymond, devant les versions contradictoires des deux parties et comme aucune preuve ne vient corroborer la version du plaignant, le grief ne peut être retenu sur cet aspect.
Relativement aux décisions de l’Autorité des marchés financiers (AMF), dont il est fait état dans les articles, M. Cuggia affirme que c’est Mme Villeneuve « qui présume et parle d’acte frauduleux » et non l’AMF qui ne parlerait « jamais de fraude ». Comme ce sujet est évoqué dans l’article du 9 octobre, le Conseil s’est penché sur la question et, après avoir consulté les trois décisions de l’AMF, il a relevé, par deux fois, l’extrait suivant : « […] afin de dédommager le préjudice direct subi à la suite des agissements frauduleux du cabinet Le Groupe Ultra-Vie inc. et de son dirigeant M. Francis M. Cuggia ». Constatant qu’il est effectivement fait référence à des agissements frauduleux par l’organisme qui encadre les marchés financiers au Québec, la journaliste était donc justifiée de reprendre le terme. Le grief est rejeté sur ce point.
Le plaignant dénonce enfin le sujet de l’article du 26 novembre 2009, selon lequel les deux télévisions communautaires de Laval envisageraient de fusionner, estimant que cette information est totalement fausse. Pour sa part, Mme Villeneuve soutient que son article « résume les propos de Marcel Alexander [actuel président de TVRL] », interviewé à ce sujet. Le Conseil observe que l’article se base effectivement sur des entrevues réalisées avec les présidents actuels de TVRL et de TVGL et qu’il présente la fusion comme une option à l’étude et non comme une transaction imminente. De plus, les recherches du Conseil lui ont permis de relever un article subséquent, daté du 23 juillet 2010 et basé sur de nouvelles entrevues réalisées avec MM. Rousseau et Alexander, à l’intérieur duquel la journaliste donne suite à l’article de novembre 2009, indiquant : « Les deux télés se courtisent toujours ». En raison de ces observations, cet aspect du grief est rejeté.
Le grief pour informations inexactes est donc rejeté dans son ensemble.
Grief 2 : informations incomplètes et manque d’équilibre
Le plaignant déplore que les informations publiées soient incomplètes et que son point de vue n’y soit pas présenté. Il donne plusieurs exemples d’éléments qui auraient, selon lui, dû être rapportés.
De son côté, la journaliste fait d’abord valoir que ni le plaignant, ni aucune personne citée dans la série d’articles relatifs à TVRL n’ont demandé au journal de publier une réplique pour compléter les informations publiées. Quant au point de vue du plaignant, la journaliste relate les nombreuses tentatives infructueuses qu’elle a menées pour obtenir un entretien avec lui ainsi que les interventions de l’avocat de ce dernier, l’ayant mis en demeure de ne rien publier sur cette affaire. Mme Villeneuve reconnaît que les commentaires de M. Cuggia auraient apporté un contrepoids intéressant à ses articles.
L’analyse de la série d’articles portés à son attention permet au Conseil de constater que la journaliste s’est basée sur une documentation sérieuse pour appuyer ses propos, dont des mémoires présentés au CRTC, des décisions de l’AMF et une résolution de la Ville de Laval. Pour compléter les informations issues de ces documents, Mme Villeneuve a tenté d’obtenir le point de vue du plaignant à diverses reprises. De surcroit, dans les deux articles mis en cause, la journaliste rapporte les propos de divers intervenants, dont M. Marcel Alexander, actuel président de TVRL, M. Claude Rousseau, président de TVGL, Jean-Pierre Tessier de la Ville de Laval et M. Francis Cuggia, le plaignant. En se basant sur différentes sources, la journaliste présentait un sujet adéquatement fouillé et appuyé par différents points de vue.
Par ailleurs, le plaignant soulevait plusieurs éléments qu’il aurait aimé voir évoqués par la journaliste, notamment sur la gestion d’autres télévisions communautaires. à ce propos, le Conseil rappelle le principe de liberté rédactionnelle qui permet aux médias et aux professionnels de choisir les sujets et la façon dont ils souhaitent les aborder. M. Cuggia déplorait notamment que, depuis son départ, la journaliste n’ait plus reparlé de TVRL et qu’elle ait omis de mentionner le fait qu’il ait accepté de réduire la dette de la télévision de 100 000 $. Or, dans un article du Courrier Laval, daté du 23 juillet 2010, rédigé par la journaliste et abordant le projet de fusion des deux télévisions communautaires lavalloises, la journaliste indique : « Selon des sources sûres, M. Cuggia a consenti à retrancher 100 000 $ à sa créance de quelque 200 000 $. Le président de TVRL n’a pas voulu confirmer, ni infirmer cette information. »
Considérant le principe de liberté rédactionnelle, considérant également le suivi de certains aspects du dossier par la journaliste, dont l’ajout de certaines informations soulevées par le plaignant, en raison également du nombre de sources sur lesquelles elle s’est appuyée, le grief pour informations incomplètes est rejeté.
Grief 3 : partialité
M. Cuggia soutient que Mme Villeneuve avait des préjugés défavorables à son endroit et « penchait du côté de Me Rousseau et ses versions des faits ». Le plaignant déplore également les propos qu’aurait tenus la journaliste lors d’une entrevue, affirmant : « Rousseau est avocat et il ne peut mentir! » Ce que confirment par écrit des collègues de M. Cuggia.
Pour sa part, Mme Villeneuve reconnait que M. Rousseau, avec qui elle s’est entretenue pour la série d’articles mis en cause, est en conflit ouvert avec M. Cuggia et qu’il est évident qu’il travaille dans l’intérêt de sa station TVGL. Elle indique cependant avoir évité autant que possible d’entrer dans ces querelles, puisque ce n’était pas le but de sa démarche. La journaliste précise que plusieurs autres instances ont questionné les méthodes de gestion de M. Cuggia et qu’elle s’est appuyée sur de nombreux documents. Elle ajoute : « Que la Fédération [des télévisions communautaires autonomes du Québec], la Télévision communautaire des Basses-Laurentides, la Télévision régionale des Moulins et le CRTC se soient tous rangés aveuglément derrière M. Rousseau […] pour dénoncer ou questionner les pratiques de gestion et la structure démocratique de TVRL m’apparaît invraisemblable. Je ne crois pas au grand complot, dans ce dossier. Et je n’ai pas plus été manipulée que l’ont été les organismes susmentionnés. »
Dans la série d’articles contestés, la journaliste a rapporté l’information relative au mouvement d’opposition soulevé par la demande présentée par TVRL au CRTC ainsi que les démêlés auxquels faisait face l’ex-président de la station devant l’AMF, sans prendre position publiquement sur la question et en s’appuyant sur des documents officiels. Par ailleurs, le différend entre M. Cuggia et Me Rousseau est admis par les deux parties, mais, même si la journaliste a recueilli des informations chez l’opposant du plaignant, rien dans la preuve déposée par ce dernier n’indique qu’elle endossait ses prises de position et ses comportements. Au-delà de l’affirmer, il appartenait au plaignant de démontrer que la journaliste avait manqué au principe d’impartialité, ce qui n’a pas été fait. Par conséquent, le grief pour partialité est rejeté.
Grief 4 : atteinte à la réputation et irrespect de la vie privée
M. Cuggia reproche à la journaliste d’avoir publié des propos désobligeants et offensants, et d’avoir fait preuve d’acharnement dans le but de nuire à sa réputation, à celle de sa famille, à son milieu de travail, ainsi qu’à TVRL. Il reproche également à Mme Villeneuve d’avoir amalgamé à répétition des informations concernant sa vie privée, sa vie publique et sa vie professionnelle, ce qui l’aurait conduit à démissionner de TVRL.
Concernant le reproche d’avoir diffusé des informations de nature personnelle et de les avoir confondues avec des nouvelles relatives à la gestion de TVRL, le plaignant relève les propos de la journaliste relatifs aux décisions de l’AMF l’impliquant. Il estime que Mme Villeneuve « ne devait pas mêler La Télévision régionale de Laval avec [ses] démêlés auprès de l’Autorité des marchés financiers ». Or, M. Cuggia reconnaît lui-même dans sa réplique que : « La dette de TVRL est une dette contractée envers ma famille et mes actifs », ce qui était aussi relevé dans plusieurs mémoires déposés au CRTC par des opposants du projet de TVRL. De plus, un document préparé par la firme comptable Lanctôt, Lalumière et Lefebvre S.E.N.C., qui détaille les soldes dus par TVRL aux diverses entités apparentées, en date du 30 avril 2006, indique notamment une dette à rembourser à M. Françis Cuggia et au cabinet impliqué dans les décisions de l’AMF, le Groupe Ultra-Vie Inc. et le Groupe Vie inc. En raison de l’implication directe de ces firmes et de leur dirigeant, M. Cuggia, dans les finances de TVRL, le Conseil estime que la journaliste était justifiée de faire le rapprochement entre les décisions de l’AMF et la gestion de TVRL et qu’il était d’un intérêt public certain de le faire. Conséquemment, le grief pour atteinte à la vie privée n’est donc pas retenu.
Par ailleurs, le Conseil rappelle que la diffamation, le libelle et l’atteinte à la réputation ne sont pas considérés comme du ressort de la déontologie journalistique, mais qu’ils relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions en la matière, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Francis Cuggia, contre la journaliste Mme Nathalie Villeneuve et le bihebdomadaire Courrier Laval.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité
- C15A Manque de rigueur
- C16D Publication d’informations privées
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17E Attaques personnelles
- C17G Atteinte à l’image