Plaignant
Mme Kathleen Ruff et M. Fernand Turcotte
Mis en cause
M. Nelson Fecteau, journaliste; M. Maurice Cloutier, rédacteur en chef et le quotidien La Tribune
Résumé de la plainte
Mme Kathleen Ruff et M. Fernand Turcotte portent plainte contre le journaliste, Nelson Fecteau, du quotidien La Tribune, relativement à un article paru le 13 décembre 2010, intitulé « Amir Khadir a été berné, affirme le Dr Jacques Dunnigan ». Les plaignants déplorent l’inexactitude des informations, la partialité, le manque d’équilibre de l’information et un manque de respect envers une personne citée dans l’article. Les plaignants exigent une rectification et des excuses de la part du quotidien.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Les plaignants soutiennent que l’article contiendrait des inexactitudes concernant (1) le pronostic des cas de mésothéliome (2) l’existence d’études scientifiques défendant l’exploitation de l’amiante chrysotile et (3) le titre de docteur associé à M. Dunnigan.
Les plaignants contestent l’affirmation du spécialiste selon laquelle la survie d’une personne atteinte d’un mésothéliome serait de 8 à 15 mois. Des études scientifiques démontreraient certains cas de survie de quelques années.
Au nom du quotidien La Tribune, Me Patrick Bourbeau rétorque que le journaliste a « simplement informé les lecteurs de l’avis du Dr Dunnigan, en spécifiant clairement qu’il s’agissait de l’opinion de celui-ci ». Me Bourbeau souligne qu’il était « permis au Dr Dunnigan, en sa capacité de professionnel de la santé de s’interroger sur le dossier médical de Mme Lee dont il est fait état dans l’article ».
Le Conseil constate que l’article de M. Fecteau rapporte fidèlement les propos de M. Dunnigan au sujet de l’espérance de vie des personnes atteintes d’un mésothéliome. Le Conseil est d’avis que sur un sujet aussi spécialisé et dans le cadre d’un simple reportage, le journaliste n’avait pas l’obligation de faire le tour de la question et de contre-vérifier le degré d’exactitude scientifique des propos du spécialiste.
Dans un deuxième temps, Mme Ruff et M. Turcotte dénoncent l’affirmation rapportée selon laquelle « le lobby anti-chrysotile refuse de reconnaître les données sérieuses publiées dans des revues scientifiques » (concernant l’amiante et le chrysotile). Ils affirment plutôt qu’aucune organisation scientifique réputée n’appuie l’industrie de l’amiante au sujet de l’amiante chrysotile.
Le mis en cause ne commente pas ce point de la plainte.
En ce qui concerne les nombreuses études scientifiques au sujet des bienfaits ou des dangers du chrysotile, il est vrai de dire, comme le soutiennent les plaignants, qu’une grande partie du monde scientifique et médical dénonce l’exploitation de l’amiante. Mais le débat sur la question fait rage et chaque groupe, les pros et les contres, peuvent toujours se référer à une étude qui appuie leurs positions. Cet aspect du grief n’est donc pas retenu.
Les plaignants notent enfin que M. Jacques Dunnigan n’est pas médecin, mais détient un doctorat en physiologie. Le seul fait de parler du « Dr Dunnigan » sèmerait la confusion.
Selon l’Office de la langue française, bien que toute personne ayant obtenu un doctorat universitaire peut se prévaloir du titre de « docteur », l’usage courant (au Québec, et ailleurs en Amérique du Nord) veut que seuls les médecins, les vétérinaires et les dentistes peuvent utiliser ce titre sans restrictions. Du côté juridique, le Code des professions du Québec (L.R.Q., chapitre C-26) règlemente l’usage du terme « docteur » pour les membres des ordres professionnels. Les détenteurs de doctorat, non membres d’un ordre professionnel, se retrouvent devant un vide juridique.
L’actuel code de déontologie du Conseil de presse n’énonce aucun principe pouvant guider le travail des journalistes quant à la façon de désigner les détenteurs de doctorat. Le Conseil estime donc que le journaliste n’a commis aucune faute et rejette cet aspect du grief.
Néanmoins, le Conseil est d’avis que les journalistes devraient suivre les règles suivantes dans l’usage du titre de « docteur » :
(a) Aucune restriction pour désigner les médecins, les vétérinaires et les dentistes;
(b) Pour désigner un membre d’un ordre professionnel dont le permis de pratique requiert un doctorat, utiliser le terme « docteur » avant le nom, à condition que le titre réservé suive immédiatement (par exemple, Docteur Pierre Roy, chiropraticien);
(c) Pour désigner tout autre professionnel, détenteur d’un doctorat, utiliser le terme « docteur » après le nom, en le faisant suivre de la discipline dans laquelle le doctorat a été obtenu. (Par exemple, M. Pierre Lacroix, docteur en physiologie).
Le grief pour informations inexactes est donc rejeté.
Grief 2 : manque d’équilibre et partialité
Les plaignants dénoncent le fait que le journaliste Nelson Fecteau « colporte le point de vue d’un partisan de l’industrie de l’amiante, sans faire aucun effort pour vérifier auprès d’autres sources la vérité des informations […] ». Selon eux, l’article donne une image qui protège des intérêts particuliers de l’industrie et des politiciens de la région des mines d’amiante et le journaliste n’a pas cherché à aller au-delà de ces faits.
Dans son commentaire, Me Bourbeau souligne que l’article s’inscrit dans le cadre de la couverture d’un débat concernant l’exploitation de l’amiante. Me Bourbeau rappelle que quelques jours auparavant, soit le 10 décembre, lors de la visite de la délégation asiatique opposée à l’exploitation de l’amiante, La Tribune avait publié un article élaborant clairement la position du lobby anti-amiante. L’article de M. Fecteau visait à « équilibrer » le traitement effectué par La Tribune dans ce dossier.
Le Conseil rappelle que : « Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition. » (DERP, p. 26) Cet équilibre dans le traitement de l’information ne doit pas s’évaluer « seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public ». (DERP, p. 22)
Le Conseil constate que si l’article de M. Fecteau présente uniquement le point de vue de M. Dunnigan, lui-même consultant pour l’Institut du chrysotile, en revanche on remarque que trois jours auparavant, soit le 10 décembre, La Tribune publiait un article intitulé : « Les militants anti-amiante accentuent la pression », exposant alors en détail la position des militants anti-amiante et dans lequel la plaignante Mme Kathleen Ruff a été interviewée. La publication de ces deux articles, étalés sur deux éditions, établit l’équilibre entre les deux camps impliqués qui ont pu exposer leur point de vue respectif et dissipe l’impression de partialité que la seule lecture de l’article de M. Fecteau peut dégager.
Le grief pour manque d’équilibre et partialité est rejeté.
Grief 3 : manque de respect
Mme Ruff et M. Turcotte sont offusqués des propos de M. Dunnigan rapportés par M. Fecteau. Le spécialiste aurait manqué de respect envers une victime de mésothéliome et le journaliste aurait fait de même en rapportant ces propos.
Le Conseil souligne que le journaliste n’a fait que rapporter (entre guillemets) les paroles de M. Dunnigan au sujet de la survie de la dame atteinte d’un mésothéliome. Par ailleurs, ce grief des plaignants concerne davantage le comportement de M. Dunnigan que les paroles rapportées dans l’article.
Le grief pour manque de respect est rejeté.
Grief 4 : refus de rectification et d’excuses
Les plaignants ont demandé à ce que le quotidien La Tribune publie une rectification des erreurs et s’excuse auprès de la dame victime de mésothéliome à cause du traitement qu’elle a reçu de la part de M. Dunnigam. Le journal n’a rien publié à cet effet.
Puisqu’il n’a publié aucune information inexacte et qu’il n’a commis aucune erreur, par ailleurs, le mis en cause n’avait pas à se rectifier ou à s’excuser.
Le grief pour refus de rectification et celui pour refus d’excuses sont rejetés.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de Mme Kathleen Ruff et M. Fernand Turcotte contre le journaliste Nelson Fecteau et le quotidien La Tribune.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C13A Partialité
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C19A Absence/refus de rectification