Auteur: Craig Silverman
Ce texte a été publié originellement sur le blogue de Craig Silverman, Regret the error, maintenant publié sur Poynter. Nous le reproduisons ici, après l’avoir traduit, avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Comment s’y prendre avec un journaliste qui fait plus d’erreurs qu’à l’habitude?
Le New York Times s’est récemment attaqué à ce problème, alors que le nombre de corrections apportées aux textes d’un pigiste régulier a soudainement grimpé en flèche.
Si Greg Brock, le rédacteur en chef responsable du volet correction au NYT, a pu détecter et éventuellement aborder le problème, c’est que son journal est l’un des rares à faire le suivi des erreurs et des corrections, à l’aide une base de données interne.
Les détails de cette histoire ont été publiés récemment dans une nouvelle chronique tenue par l’ombudsman du NYT, Arthur Brisbane. Dans son texte, il explique comment la rédaction du NYT réagit en cas d’erreurs, mais aussi comment elle travaille à les éviter. Brisbane présente également un résumé des recherches du professeur Scott Maier, l’un des principaux chercheurs à s’intéresser aux questions d’exactitudes dans les médias. (Brisbane m’a également cité dans son texte. À sa demande, nous en avions discuté par téléphone la semaine précédente.)
Donc, pourquoi les textes du journaliste ont-ils nécessité plus de corrections que par le passé?
Voici un extrait de la chronique d’Arthur Brisbane:
« Après enquête, Greg Brock a découvert que le pigiste recevait des commandes d’articles – probablement trop – de différents pupitres du NYT. Nous avons donc diminué son nombre d’affectations, et les erreurs ont diminué. »
En tant que pigiste de longue date, je dois dire que je comprends ce journaliste. Si le New York Times vous propose de plus en plus de piges, il y a de fortes chances que vous allez continuer à dire oui. Règle générale, un journaliste pigiste n’a pas vraiment la liberté de dire non à un gros client. Il souhaite avant tout se faire un nom et que ses qualités soient reconnues. Et plus de contrats signifient aussi plus d’argent dans ses poches. Voilà pourquoi il est difficile de se faire dire de diminuer sa charge de travail parce qu’on fait trop d’erreurs.
J’ai fait un suivi avec Greg Brock pour savoir comment le NYT avait abordé ce sujet délicat avec le pigiste. Il a refusé d’entrer dans les détails, mais il a partagé dans les grandes lignes la façon de faire du NYT dans ces cas-là.
« L’objectif n’est pas d’aider les pigistes à faire moins d’erreurs, indique Brock dans son courriel; il s’agit plutôt de leur faire comprendre qu’ils ne peuvent pas écrire pour le New York Times s’ils font autant d’erreurs. Au final, le journaliste détermine lui-même le nombre d’articles qu’il est en mesure de produire: mais chaque fois, il se doit de rapporter justement l’histoire, de soigner son écriture et de s’assurer de la véracité des faits; sinon, il ne peut pas écrire pour le NYT. Au fil des ans, nous avons abandonné certains pigistes qui faisaient trop d’erreurs. Il y a beaucoup trop de journalistes au chômage qui tueraient pour écrire – sans faire d’erreurs – pour nous. »
Chaque journaliste peut évidemment gérer une charge de travail différente. Mais lorsqu’on dépasse nos capacités, on produit des reportages de moins bonne qualité. Parfois, les erreurs découlent d’une surcharge de travail, mais elles peuvent aussi émaner d’un manque de recherche ou d’une écriture bâclée.
La cause des erreurs
Au cours de notre entretien téléphonique, Arthur Brisbane m’a demandé ce qui, à mon sens, pouvait provoquer une augmentation des erreurs. La charge de travail n’est qu’un facteur parmi d’autres. Je lui ai répondu que la première question à se poser dans cette situation était : qu’est-ce qui a changé?
Y a-t-il de nouveaux joueurs impliqués dans le processus de communication, d’édition ou de production des reportages? Est-ce qu’une personne clé a été retirée du processus? A-t-on changé certains outils technologiques? Est-ce que les échéanciers de production ont bougé?
Si on observe des changements dans la qualité des textes, on doit déterminer ce qui a changé du côté de la production. Des changements au niveau du personnel, du processus ou des outils technologiques peuvent souvent être des sources d’erreurs. (Du coup, on peut même améliorer la prévention des erreurs en repensant ces changements.)
Greg Brock répertoriait aussi dans son courriel d’autres raisons plus spécifiques pouvant expliquer pourquoi les journalistes du NYT font parfois des erreurs:
« … nous trouvons d’autres causes aux erreurs, comme par exemple chez ce journaliste qui cherche constamment ses informations sur Internet sans les contre-vérifier. Lorsque ce problème survient, nous disons à la personne concernée qu’elle ne peut plus travailler de cette façon et nous suivons de près son travail. Les plus brillants, qui se soucient de la qualité de leur travail, cessent de le faire.
D’autres peuvent avoir un problème avec les mathématiques ou les statistiques. Dans ce cas, nous cherchons un moyen de les aider, par exemple en leur proposant des ressources ou en les faisant collaborer avec quelqu’un qui a de l’expérience avec les chiffres et qui fait office de filet de sécurité.
Réduire les commandes d’articles n’est donc pas toujours la solution, à moins que nous ayons déterminé que c’est réellement la charge de travail qui est en cause. »
L’important, c’est que le New York Times n’utilise pas le suivi des erreurs comme une arme pour punir ses journalistes. C’est plutôt un outil qui fournit des données pertinentes pouvant éventuellement éviter qu’un journaliste adopte de mauvaises habitudes de travail. C’est une façon d’identifier un problème – mais en déterminer la cause reste essentiel pour offrir des solutions et améliorer la situation
En suggérant d’offrir de l’aide et des ressources aux journalistes, l’approche de Greg Brock va tout à fait en ce sens.
Quand il y a une croissance du nombre d’erreurs (et non un manque d’éthique flagrant ou une erreur scandaleuse), c’est mieux de fournir aide et formation au journaliste. Les mesures disciplinaires devraient venir seulement s’il est incapable ou s’il refuse de s’améliorer.