Plaignant
Dr Éric Bensimon, président et l’Association des spécialistes en chirurgie plastique et esthétique du Québec
Mis en cause
Mme Isabelle Maher, journaliste; M. Dany Doucet, rédacteur en chef et le quotidien Le Journal de Montréal
M. Éric Cliche, directeur de l’information et le quotidien Le Journal de Québec
M. Jules Richer, rédacteur en chef et l’Agence QMI
Résumé de la plainte
Dr Éric Bensimon, président de l’Association des spécialistes en chirurgie plastique et esthétique du Québec, le 1er novembre 2011, porte plainte contre la journaliste Mme Isabelle Maher, Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec ainsi que l’Agence QMI, relativement à une série d’articles sur les dangers des implants mammaires au gel de silicone, publiés les 24, 25, 26 octobre 2011. Le plaignant dénonce des informations partiales et incomplètes, remet en question la compétence des personnes-ressources citées de même que la méthode de cueillette de l’information.
Commentaires du mis en cause
Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec et l’Agence QMI ont refusé de répondre à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : informations partiales et incomplètes
Le plaignant déplore que la journaliste, Isabelle Maher, ait écrit que les implants mammaires au gel de silicone étaient dangereux. Le plaignant précise que les faits relatés par la journaliste sont connus de la communauté scientifique depuis longtemps et que les chirurgiens suivent les recommandations de Santé Canada. De plus, aucune étude ne démontre que les implants mammaires au gel de silicone peuvent causer des maladies graves. Dr Bensimon se plaint aussi de ce que des chirurgiens, dont les entrevues peuvent être entendues sur Internet, soient cités hors contexte, ce qui donne une mauvaise impression.
Le Conseil considère que Mme Maher a effectué une recherche valable et approfondie, l’objet de son reportage étant de vérifier si les nouvelles prothèses au gel de silicone, revenues sur le marché après avoir été bannies en 1992, étaient sans danger. L’augmentation mammaire est une intervention chirurgicale qui n’est pas sans risque et qui connaît une popularité grandissante surtout chez les jeunes femmes, ce qui représente un sujet d’intérêt public important.
La journaliste a consulté des chercheurs, des chirurgiens, vérifié des faits sur les sites de Santé Canada, de la Food and Drug Administration (FDA) américaine et de fabricants de prothèses. Jamais, dans ses articles, la mise en cause n’affirme que les implants mammaires au gel de silicone peuvent causer des maladies graves. Elle énumère plutôt les nombreuses complications que peuvent occasionner les prothèses au silicone, comme la déformation, les infections, les fuites de silicone dans le corps, la rupture de la prothèse, etc., complications qui sont au nombre des mises en garde faites par Santé Canada, la Food and Drug Administration américaine et les fabricants d’implants eux-mêmes. Par ailleurs, si les chirurgiens suivent de près les recommandations de Santé Canada sur les matériaux et médicaments à utiliser, comme le mentionne le plaignant, la journaliste Mme Maher a bien souligné que Santé Canada a attribué une classe IV aux implants mammaires au gel de silicone, soit le niveau de risque le plus élevé pour un produit disponible au Canada.
Quant au fait qu’aucune étude ne démontre un lien entre les prothèses de silicone et certaines maladies graves, après avoir souligné que les sites de Santé Canada et celui de la FDA identifiaient certains problèmes potentiels, telles la dissolution de matériaux toxiques ou encore des maladies du système nerveux, osseux ou autre, Mme Maher a ajouté que ceux-cin’ont pas été prouvés scientifiquement.
Pour ce qui est des chirurgiens interviewés et « cités hors contexte » dans la vidéo accompagnant les articles, les questions de Mme Maher pour tenter de savoir comment les chirurgiens informaient leurs clientes étaient claires et directes et les réponses des chirurgiens n’étaient pas ambigües. Il se dégage une impression de vouloir rassurer la cliente plus que de l’informer. Le Conseil ne croit pas que de plus larges extraits aient donné une perception différente.
Mme Maher a donné la parole à des femmes qui ont connu des difficultés à cause des implants, mais aussi à des chercheurs qui ont travaillé avec des prothèses défectueuses, à un avocat impliqué dans le dossier du recours collectif de 1993. Elle a aussi interviewé le plaignant, Dr Bensimon. Dans ses articles, la journaliste souligne aussi avoir tenté de rejoindre des représentants de Santé Canada et de deux compagnies d’implants mammaires qui ont refusé de répondre à ses questions. Dans ce contexte, le Conseil estime que la journaliste a fait son travail en respectant les normes de déontologie journalistique.
Grief 2 : mauvais choix de personnes-ressources
Le plaignant dénonce le choix de M. Pierre Blais, chimiste et propriétaire de la compagnie Innoval Failure Analysis, une entreprise « étroitement liée au sujet » et M. Robert Guidoin, chercheur à l’Institut des biomatériaux du Québec qui ne sont plus à l’emploi de Santé Canada « depuis des lunes ». Dr Bensimon estime que ces chercheurs « ne possèdent ni l’expertise ni les connaissances et encore moins les évidences scientifiques pour être des personnes-ressources sur le sujet ». Il ajoute que dans le cas de M. Guidoin, ce dernier « a fait des commentaires qui relèvent de la fabulation sur les organismes comme Santé Canada et la FDA ».
Après quelques vérifications, le Conseil constate que M. Pierre Blais, un des chercheurs interrogés par Mme Maher, est très souvent interviewé par différents médias quand il est question de ce sujet. M. Blais, un chimiste qui a analysé plus de 16 000 prothèses retirées du corps des femmes, est une référence sur la question depuis plus de 20 ans. M. Blais a aussi été interrogé par plusieurs journaux ici comme à l’étranger à titre d’expert canadien.
Quant à M. Robert Guidoin, il est chercheur à l’Institut des biomatériaux du Québec, professeur de chirurgie à la Faculté de médecine de l’Université Laval. Il est un des chercheurs qui a travaillé sur le dossier des prothèses jugées potentiellement cancérigènes et qui ont finalement été retirées du marché en 1991. M. Guidoin a lui aussi analysé près de 700 implants mammaires pendant plusieurs années.
Le Conseil considère que ce sont là deux personnes-ressources qui, tout en étant critiques, connaissaient bien le dossier. Ainsi, le grief pour mauvais choix de personnes-ressources est rejeté.
Grief 3 : cueillette d’information douteuse
Le plaignant, Dr Bensimon trouve « douteux » les méthodes journalistiques utilisées par la mise en cause, celle-ci ayant choisi de cacher son identité afin de recueillir des informations. Le plaignant est d’avis que la journaliste aurait facilement pu obtenir les mêmes informations tout en révélant son identité.
La journaliste Mme Isabelle Maher, a choisi de se faire passer pour une cliente auprès de 7 chirurgiens afin de vérifier si ces derniers donnaient bien l’information nécessaire et complète à leurs patientes. Dans plusieurs cas, les chirurgiens n’ont pas renseigné convenablement la patiente. Il semble évident pour le Conseil que si Mme Maher s’était présentée comme journaliste, elle n’aurait pas pu vérifier comment se comportent les chirurgiens avec leurs clientes. Il est pourtant d’un grand intérêt public que de savoir si ces clientes sont bien informées avant d’opter pour une chirurgie qui n’est pas sans risque pour la santé. La mise en cause était justifiée de procéder comme elle l’a fait. Dans son guide, le Conseil précise que : « Le journalisme d’enquête présente des difficultés et des exigences qui justifient parfois l’usage de procédés clandestins lors de la collecte d’informations, tels que micros et caméras cachés, dissimulation d’identité, infiltrations, filatures. Le Conseil de presse reconnaît que l’on puisse et doive parfois avoir recours à de pareils procédés. » (DERP, p. 16)
Le grief pour cueillette d’information douteuse est rejeté.
Refus de collaborer
Le Journal de Montréal, le Journal de Québec et l’Agence QMI ont refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil reproche au Journal de Montréal, au Journal de Québec et à l’Agence QMI leur manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte du Dr Éric Bensimon contre la journaliste Isabelle Maher, le Journal de Montréal, le Journal de Québec et l’Agence QMI pour les griefs d’informations partiales et incomplètes, mauvais choix de personnes-ressources et cueillette d’information douteuse.
Pour leur manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec et l’Agence QMI.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C03C Sélection des faits rapportés
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité
- C23E Enregistrement clandestin
- C24A Manque de collaboration