En Grande-Bretagne, le bureau des procureurs de la Couronne a émis des lignes directrices qui doivent être consultées par les autorités avant l’inculpation de journalistes.
Selon ces directives, avant de déposer des accusations contre un journaliste qui aurait commis des gestes illégaux, les procureurs doivent se demander si l’intérêt public les justifiait. Sans donner aux journalistes un statut légal particulier, elles viennent du moins reconnaître formellement qu’il existe des situations où l’illégalité d’un geste peut s’excuser lorsqu’il vise à défendre le bien commun.
Un cas récent permettra aux procureurs de mettre en application ces lignes directrices, puisque Sky News a avoué avoir piraté la boîte courriel de John Darwin, un britannique accusé de fraude. Ce dernier, en complicité avec sa femme Anne Darwin, avait orchestré sa propre mort dans le but d’obtenir une indemnité d’assurance-vie, crime auquel il a plaidé coupable plus tôt cette année, alors que sa femme était en attente de procès. Les journalistes de Sky News ont consulté et diffusé des courriels échangés entre le couple afin de contredire la défense d’Anne Darwin. Avant la diffusion du reportage, le média a transmis les courriels aux autorités. Par la suite, Anne Darwin a été jugée coupable de fraude et a reçu une sentence de six ans de prison.
Selon les lignes directrices du bureau des procureurs, un acte illégal pourra être justifié par la défense d’intérêt public, entre autres, si l’acte permet de révéler l’existence ou l’imminence d’un crime. L’intérêt public dans cette affaire semble plutôt limité lorsqu’on y regarde de plus près car au moment du piratage, John et Anne Darwin étaient déjà arrêtés et inculpés pour fraude. De nouveaux éléments de preuve ont certes été découverts, mais est-ce réellement de la responsabilité des journalistes que de se substituer aux détectives de la police? D’user de méthodes qu’eux-mêmes ne peuvent employer sans l’obtention préalable d’un mandat?
Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’une personne est en attente de procès qu’elle ne bénéficie plus de son droit à la vie privée. Autrement dit, le fait qu’une personne soit accusée de crimes – même les plus odieux – ne peut servir de prétexte à l’équivalent d’une fouille à nue journalistique, ne serait-ce qu’au nom du respect du principe de la présomption d’innocence. Dans le cas présent, on doit espérer que les journalistes de Sky News avaient reçu au préalable des indications leur permettant de croire qu’ils avaient de très fortes chances de trouver des informations compromettantes dans ces courriels. Sans quoi, on serait forcé de conclure que l’on est en présence de ce qu’on pourrait appeler une cueillette à l’aveuglette, ou encore une partie de pêche journalistique. Certes, il est impossible d’avoir la certitude que l’information qui sera obtenue en cours de collecte sera nécessairement pertinente et d’intérêt public. Tout comme on ne peut juger de la valeur de la démarche en se fiant aux résultats obtenus en bout de piste (et ceux-ci ont été, dans le cas qui nous intéresse, tout à fait probants). Ce qui compte avant tout, c’est la rigueur de la démarche.
Au final, l’enquête des journalistes de Sky News n’aura pas nui à la Couronne, bien au contraire : elle l’aura aidé en mettant au jour de nouveaux éléments de preuve. Seront-ils épargnés pour ce motif? Si c’est le cas, cette affaire créerait un dangereux précédent.