La nouvelle est tombée ce matin, mais plusieurs la voyait venir depuis longtemps : TC Média et Quebecor Média se retirent, d’un commun accord, de l’association qui chapeaute les journaux hebdomadaires québécois, Hebdos Québec.
Visiblement, les tensions au sein du groupe, auxquelles plusieurs commentateurs, dont Nathalie Collard, de La Presse, avaient récemment fait écho, auront eu raison de ce qui prenait de plus en plus les allures d’un mariage forcé.
Pour Gilber Paquette, directeur général d’Hebdos Québec, « le problème de fond part de la concentration de la propriété. Il y a cinq ans, on avait 35 % de journaux indépendants, et cinq groupes de presse, ce qui fait qu’autour de la table, il y avait une diversité et un équilibre. En l’espace de quelques années, l’effectif des deux grands s’est concentré à 80 % entre Quebecor et Transcontinental, surtout depuis février 2010, c’est-à-dire depuis la vague d’acquisitions et de lancements de nouveaux journaux. Ce qui fait qu’on avait une organisation à trois têtes finalement – Transcontinental, Quebecor et les indépendants. Ça devenait difficile à gérer. »
Cependant, le pire a pu être évité, puisque l’association continuera d’exister, ce qui ne semblait pas aller de soi, comme le révélait Benoit Chartier en entrevue à La Presse, lorsqu’il disait espérer « que ce n’est pas la fin de l’association Hebdos Québec ». En effet, le groupe a pu négocier un partenariat d’affaires avec les deux joueurs, limitant ainsi les dégâts financiers. « Ils pourront profiter de services [offerts par Hebdos Québec], sans entrer en concurrence avec leur propre plan d’affaires », précise Gilber Paquette; et surtout, sans devoir être assis à la même table.
La guerre des hebdos : une menace à la qualité de l’information locale?
Contrairement à ce que plusieurs observateurs du paysage médiatique croient, Gilber Paquette n’est pas d’avis que ce qu’on qualifie désormais de « guerre des hebdos » soit nécessairement de mauvais augure pour la diversité et la qualité de l’information locale. « On n’en a pas de preuves ou d’exemples à l’heure actuelle. C’est encore trop récent. Ce que je vois, c’est qu’on a encore plus de diversité, c’est certain, parce que dans plusieurs marchés où on trouvait un seul journal, maintenant on en retrouve deux. La concurrence force à aller chercher de la nouvelle qui est différente. »
Une opinion qui tranche avec le cri du coeur qu’avait lancé en février dernier Josée Pilotte, rédactrice en chef de l’hebdomadaire Accès Laurentides, dans une lettre ouverte à Pierre-Karl Péladeau, président et chef de la direction de Quebecor. Le ton était cinglant, et ses conclusions, tranchantes : « Peux-tu faire une guerre propre; parce que ta guerre, là, c’est une guerre sale. En fait, ce n’est plus une guerre que tu livres au prix où tu donnes ton produit: c’est un bulldozer que tu conduis. Et c’est toute la diversité d’opinion que tu vas raser avec ce ménage sauvage. Ta guerre, elle ne va pas que tuer ta compétition et la presse indépendante en région… c’est la démocratie elle-même que tu assassines! »
Ce à quoi Péladeau a récemment répliqué, sur le site de ProjetJ: « Les journaux que nous avons lancés ont permis d’ajouter à la diversité de l’information locale et de créer plus de 500 emplois directs et indirects dans un secteur où les nouvelles embauches se font autrement plutôt rares. Chaque nouveau journal lancé par Québecor Média cherche à répondre aux besoins spécifiques de ses lecteurs, ainsi que des organisations régionales, municipales, communautaires, culturelles et sportives, tout comme des gens d’affaires et des annonceurs de sa région. Que ce soit sur le plan de l’actualité, des faits divers, de l’économie, des sports ou encore des arts et de la culture, nos journaux régionaux sont tous publiés avec l’objectif d’établir des liens forts entre les différents acteurs locaux et de mettre en valeur les forces vives du milieu. La concurrence nous oblige à nous distinguer et c’est d’abord en misant sur la proximité que nous y arrivons.»
Reste que pour Gilber Paquette, certaines tentations sont fortes, notamment celle d’une standardisation du contenu, qui permet de faire d’importantes économies. « C’est un danger, parce que ça dénature l’information locale. C’est un peu ce que la radio a fait à bien des endroits. La radio est moins locale qu’elle l’était il y a dix ou quinze ans, et je ne pense pas que ça a servi les intérêts de cette industrie. Il ne faudrait pas que notre industrie tombe dans ce piège. »
Des coudées plus franches
Au final, Gilber Paquette estime qu’avec ces départs, son organisme aura désormais les coudées plus franches et pourra agir avec conviction dans certains dossiers, qui pouvaient hier encore diviser ses membres et donc tuer dans l’œuf toute velléité d’action. Sans compter que désormais, certaines revendications auront plus de crédibilité aux yeux du gouvernement québécois. « Notre rôle sera maintenant de défendre les intérêts des journaux indépendants, et en particulier auprès des instances gouvernementales. On va bientôt sortir publiquement sur certains enjeux. Ce qui était compliqué avant que Quebecor et Transcontinental ne se retirent, c’était la difficulté de faire valoir la nécessité de certaines aides auprès de la ministre de la Culture, comme des crédits d’impôt à l’embauche de journalistes ou pour le virage numérique. Évidemment, le gouvernement répondait que Transcontinental et Quebecor n’ont pas besoin d’aide, qu’ils sont riches. Maintenant, le fait qu’on ne parle qu’au nom des indépendants facilite les choses pour nous. »
Un mal pour un bien, finalement, et peut-être le signe qu’une trêve est à prévoir.