Pour plusieurs médias, la couverture en direct des manifestations se passe principalement sur Twitter ; pour d’autres comme CUTV (Concordia University Television), elle se fait en images et en direct, tout au long de la nuit. Des images au cœur de l’action, différentes de celles que présentent la plupart des médias traditionnels.
C’est d’abord la légèreté de l’équipement qui frappe. Alors que les grands réseaux de télévision utilisent caméras HD et camions satellites pour couvrir en direct les manifestations, l’équipe de CUTV voyage léger, munie uniquement d’un sac à dos, d’une caméra et d’un micro. La versatilité de l’équipement, dont peu de médias traditionnels se servent actuellement, explique en partie le succès de la chaîne communautaire, explique Laura Keale, directrice de la station CUTV.
CTV News et RDI ont d’ailleurs diffusé à certaines occasions des images tournées par CUTV. « Nous leur avons acheté une seule fois des images », précise Luce Julien, Première directrice à RDI. C’était au tout début de la vague de manifestations nocturnes; ce soir là, « CUTV avait des images que nous n’avions pas […] et qui étaient pertinentes au plan éditorial », explique-t-elle.
Malgré ses images uniques de la grève étudiante, CUTV n’est pas la première à faire du journalisme vidéo si près de l’action. Tristan Péloquin, journaliste vidéo à La Presse, propose depuis plusieurs années ce type de couverture, qui plonge au coeur des événements. « On a réalisé la latitude qu’on avait par rapport aux chaînes traditionnelles il y a deux ans, lors du sommet du G20 à Toronto, explique-t-il. Mon caméraman David Boily et moi étions les seuls à avoir un standup en face des autos en flammes; les autres journalistes télé étaient à 2 ou 3 kilomètres de là », se souvient-il. C’est que les exigences de production vidéo de La Presse diffèrent de celles des grandes chaînes comme RDI ou LCN. « On diffuse sur le web, on ne fait pas de direct donc on n’a pas de camion satellite: on monte sur place et on envoie nos topos avec nos iPhones », précise-t-il. Une technologie légère, qui permet aux journalistes de se promener librement dans le feu de l’action.
Du côté de Radio-Canada, on regarde de près ces nouvelles technologies qui intéressent la direction technique. « Mais ce serait un équipement d’appoint, précise Luce Julien. On ne fait pas de la télévision en continu avec ça. »
Proximité vs objectivité
Est-ce uniquement la technologie qui permet d’être plus près de l’action ? Luce Julien nuance : « Je ne pense pas que comme réseau, on a une couverture plus éloignée, on est très souvent au cœur de l’action », souligne-t-elle. Si proximité il y a, elle est davantage sur le plan de la cause : « ils ont un biais et nous, on ne peut pas se permettre d’être proche d’une cause, quelle qu’elle soit », ajoute-t-elle.
« Au début de la grève, on est resté pendant un certain temps parmi les seuls à être au cœur de l’action, constate pour sa part Tristan Péloquin. Mais peu à peu, à mesure que le climat social s’est envenimé, on a dû s’éloigner jusqu’à laisser seulement un caméraman sur le terrain parce que j’étais devenu une cible », déplore-t-il. Le succès de CUTV s’expliquerait donc autant par la légèreté de sa technologie que par l’appui de la chaîne à la cause étudiante.
« Beaucoup de citoyens ont commencé à nous regarder parce qu’ils n’étaient pas satisfaits de la couverture offerte par les médias traditionnels », constate Laura Keale. Leur couverture semble d’ailleurs rejoindre un nombre grandissant de citoyens, si l’on se fie à l’augmentation de l’auditoire de CUTV : soir après soir, ils sont quelques milliers à regarder en direct leur couverture des manifestations étudiantes; récemment, ils auraient franchi le cap des 10 000, selon Laura Kneale.
La jeune femme estime que la chaîne doit en partie son succès à la relation de confiance qui s’est établie avec les manifestants. Une confiance qui s’appuie sur une couverture engagée, où les journalistes prennent clairement le parti des manifestants. Laura Kneale ne s’en cache pas et rappelle que le mandat de CUTV, une chaîne du secteur campus et communautaire, diffère sensiblement des celui des médias de masse. « On est là pour donner une voix aux communautés qui n’ont pas de représentation dans les médias de masse ou qui sont sous-représentées », précise-t-elle. Défini aux articles 15, 16 et 17 de la politique réglementaire de radiodiffusion du CRTC, ce mandat précise également « l’importance de la participation étudiante dans les activités des stations de campus » et confirme que « les cotisations des étudiants constituent un financement. »
Plusieurs dénoncent ce côté partisan de la chaîne communautaire. « Ce qu’ils font, ce n’est pas un travail journalistique, ils ferment les yeux sur beaucoup choses, souligne Tristan Péloquin; mais ils [CUTV] arrivent quand même à sortir certaines choses et leurs images souvent sont bonnes. » Est-ce possible de faire un journalisme de proximité sans partisanerie? « Les gens de CUTV ne vivent pas le même problème que nous parce qu’ils sont protégés par la foule pour la simple et bonne raison qu’ils sont du côté de la foule, indique le journaliste de La Presse. Nous, on est obligé d’enlever les logos sur nos micros parce qu’on se fait repérer et les manifestants nous empêchent de faire notre travail ». Difficile dans ce cas d’offrir une couverture de proximité.
Tristan Péloquin a lui-même goûté au traitement que les manifestants réservent aux journalistes des médias de masse; il prend d’ailleurs une pause du terrain, après avoir couvert les manifestations sans relâche pendant plusieurs semaines. « On m’a menacé assez directement à quelques reprises, ça devenait un petit peu risqué », explique-t-il.
« Le climat est tendu, on vit une crise sociale », rappelle Luce Julien, qui précise que ses journalistes n’ont cependant pas été la cible des manifestants.