Connait-on bien notre planète? Si la chute du mur de Berlin semblait avoir réduit les distances au début des années 90, le 11 septembre 2001 a érigé de nouvelles barrières, à une époque où la mondialisation tendait plutôt à les effacer. Quelle image de ce monde nous renvoient les médias, souvent les premiers témoins de ces changements internationaux? Tour du monde.
L’information internationale demeure le parent pauvre des médias québécois. « Le pourcentage de l’espace média consacré à l’information internationale au Québec est l’un des plus bas au monde », souligne Dominique Payette, professeure responsable du programme de maîtrise en journalisme international à l’Université Laval. Selon les chiffres d’Influence Communication pour 2011, l’information internationale occupait dans la Belle Province un maigre 8,11 % de l’offre totale d’information; c’est moins que dans le reste du Canada (9,46 %), moins qu’aux États-Unis (8,83 %) et bien moins qu’en France (14 %). En début d’année, Influence Communication notait déjà une forte baisse de l’intérêt des médias québécois pour l’information internationale de près de 77 % par rapport à 2011.
La tendance n’est pas nouvelle, selon Dominique Payette. Des études menées il y a une trentaine d’années révélaient déjà que la part consacrée à l’information internationale dans les médias québécois était nettement insuffisante, bien inférieure que dans la plupart des pays occidentaux.
Journaliste à Radio-Canada depuis plus de 30 ans et envoyé spécial dans plusieurs pays, notamment Haïti, Frédéric Nicoloff estime que la situation actuelle crée pourtant un climat favorable à l’information internationale, à mesure que les distances s’amenuisent. « Le monde est devenu tellement imbriqué qu’un événement important qui se passe en Grèce plombe l’économie mondiale ce qui fait qu’on paie plus cher notre litre d’essence à Montréal », explique-t-il. Les médias accorderaient donc plus d’attention à ce qui se passe ailleurs dans le monde, sans par ailleurs y accorder plus de moyens, selon lui.
Boulimique d’information internationale, François Brousseau, chroniqueur-analyste à Radio-Canada pour les affaires internationales, estime que les médias québécois pourraient certainement faire mieux dans ce domaine. « Mais si je compare avec ce qui se fait dans des collectivités de taille comparable, je ne pense pas qu’on ait à rougir par rapport à la Suisse ou à la Belgique, par exemple. »
L’heure des choix
Mais qu’entend-on exactement par « information internationale »? Dans la mesure où les médias parlent de manière très inégale du monde, il y a lieu de se le demander. « Les nouvelles sur les États-Unis comptent pour environ la moitié de l’information internationale; celles sur l’Europe, pour un quart ; le dernier quart, c’est pour le reste de la planète », constate Dominique Payette. Et en dehors de la vie politique américaine ou européenne, on parle en général de catastrophes, de crises, de guerres. Résultat: les représentations du monde que projettent les médias ne sont pas justes, elles sont même nocives, déplore la chercheuse.
Frédéric Nicoloff constate aussi la place dominante qu’occupent certains thèmes dans l’actualité internationale: « l’économie, la crise européenne, les catastrophes, sans oublier l’armée canadienne. On a abondamment parlé de l’Afghanistan parce qu’on avait des troupes là-bas, mais en réalité, on n’a pas beaucoup de liens avec ce pays ».
Ces choix éditoriaux ont inévitablement des conséquences sur la perception que se fait le public de « l’ailleurs», mais également à d’autres niveaux, comme sur l’économie, remarque Dominique Payette. « Nos REER ne seront jamais investis au Ghana et c’est bien dommage parce que le rendement de la bourse du Ghana est l’un des plus élevés du monde en ce moment. Mais les banques ne feront pas ce choix parce que toute l’information qui nous vient d’Afrique présente ce continent comme ingouvernable », déplore-t-elle.
Parler de l’ailleurs : quelles tendances ?
La « crise » de l’information internationale n’est pas étrangère à celle qui frappe la presse dans son ensemble. « Les médias vont se rabattre sur ce qui est relativement rentable à court terme et je n’ai pas l’impression que l’information internationale en fait partie », constate Dominique Payette. À moins que celle-ci ne soit spectaculaire ou dramatique.
Incidemment, la conjoncture économique et les nouveaux impératifs de rapidité avec lesquels doivent jongler les médias nous forcent à repenser les façons traditionnelles de présenter l’information internationale. Un reportage sur le tsunami au Japon réalisé depuis Montréal, un porte-parole de la Croix-Rouge en direct au bulletin de fin de soirée, un envoyé spécial intégré aux rangs de l’armée: on parle de l’étranger autrement.
Faute d’avoir des correspondants sur place, les médias sont souvent forcés de faire appel à d’autres intervenants. En zone de guerre, par exemple, on a de plus en plus recours à des reporters pigistes; une pratique qui pose inévitablement certains problèmes éthiques, puisque ces journalistes locaux n’ont souvent aucune couverture d’assurance, remarque Frédéric Nicoloff. « En Irak, entre autres, on [NDLR Radio-Canada] n’y est pas allé et on a utilisé des gens qui habitaient là-bas et qui faisaient des reportages dans des conditions très difficiles, voire périlleuses ».
Autre tendance: le recours à des porte-parole d’organismes humanitaires qui, malgré le bien-fondé de leur travail, ont un ‘agenda’, rappelle Dominique Payette. Comme aucun reporter n’est sur place, leurs affirmations peuvent donc rarement être recoupées. « Faute de journaliste, on a l’impression que de donner la parole à un représentant d’une ONG, c’est la même chose… Ce n’est pas la même chose, ce n’est pas du journalisme. »
Plusieurs médias doivent aussi se contenter de couvrir l’étranger… d’ici. Une pratique qui ne se fait pas sans risque, estime Dominique Payette. « Il y a souvent un décalage entre ce qu’on imagine et la réalité, mais pour remettre en question nos a priori, il faut aller voir sur le terrain. Sinon, on ne fait qu’entretenir certains préjugés. » Envoyée spéciale à plusieurs reprises alors qu’elle était journaliste, Dominique Payette se rappelle d’un séjour au Rwanda, environ un an après le génocide de 1994. Malgré une solide recherche préparatoire et de nombreuses rencontres avec des gens de la diaspora rwandaise à Montréal, ce n’est qu’une fois sur place qu’elle a réalisé qu’elle avait tout faux… ou presque! « Les gens à qui j’avais parlé avaient quitté leur pays depuis plusieurs années et même s’ils étaient totalement honnêtes, leur vision était très orientée. Ce n’est que sur le terrain que j’ai pu m’en rendre compte et corriger mon propre tir. »
Malgré ces glissements dans la couverture de l’ailleurs, Frédéric Nicoloff reste confiant que des reportages de qualité puissent être produits ici. « Si on demande à des gens de Montréal, moi par exemple, de faire un reportage sur ce qui se passe en Haïti, je pense que je vais être honnête et que le topo sera correct. Ce n’est pas parce qu’on le fait d’ici que c’est forcément incomplet », avance-t-il, avant d’ajouter, du même souffle, qu’un reportage réalisé ici ne pourra jamais remplacer une couverture faite sur place.
Quel avenir?
« On a besoin de gens d’ici pour expliquer le monde aux gens d’ici, remarque François Brousseau. Mais aujourd’hui, grâce à Internet, le public peut aussi s’abreuver à d’autres sources. C’est un défi pour notre production parce qu’elle entre en concurrence avec les productions d’ailleurs », estime-t-il.
Il y a quand même une situation d’urgence, s’inquiète Dominique Payette, et l’accès à ces sources diversifiées n’est malheureusement pas donné à tous. « L’idée générale des médias de masse, c’est de permettre à l’ensemble de la population d’accéder à cette information. Ça fait partie du développement socio-économique et culturel d’une nation. La situation actuelle risque de créer une fracture entre, par exemple, ceux qui sont capables de trouver en ligne Le Soleil de Dakar et ceux qui ne savent même pas que ça existe. »
« C’est très difficile pour la population de savoir ce qu’elle ignore », ajoute-t-elle. Comment dans ce cas intéresser les gens à l’information venue d’ailleurs? C’est la grande question sur laquelle se sont penchés certains chercheurs comme Greg Philo, professeur à l’Université de Glasgow en Écosse. L’une de ses conclusions: contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, il semble que l’auditoire souhaite un reportage plus pédagogique lorsqu’il est question d’information sur l’étranger. Des mises en contexte et des rappels historiques permettent au public de comprendre, et de s’y intéresser, explique Dominique Payette. Une situation bien loin du format favorisé actuellement dans les médias de masse, qui présentent souvent des capsules d’une trentaine de secondes.
Frédéric Nicoloff demeure optimiste face à la quantité de tribunes dédiées à l’information internationale, beaucoup plus nombreuses qu’il y a 30 ou 40 ans. Il avoue cependant que le problème criant reste le financement. « Ce qui risque de miner le reportage international dans des pays difficiles, c’est surtout le coût exorbitant des assurances. Et c’est ce qui fait actuellement que des entreprises qui ont moins de moyens que Radio-Canada ne peuvent pas s’offrir une couverture internationale. Et c’est dommage ! » Une vision partagée par François Brousseau : « mon optimisme sur le maintien d’une demande et d’un intérêt du public pour l’information internationale est tempéré par le problème du financement», admet-il.
Et si l’avenir de l’information internationale passait par la formation des journalistes? « Maintenir cet intérêt-là chez des jeunes journalistes me paraît essentiel, confirme Dominique Payette. Peut-être qu’un jour ils seront rédacteurs en chef d’un journal; ils auront alors l’occasion de revaloriser l’information internationale. » Car une fenêtre sur l’ailleurs permet souvent d’éclairer des situations qui se déroulent chez soi; le printemps érable en est une belle illustration.