Des outils de réflexion pour couvrir les homicides intrafamiliaux
par Geneviève Fortin
La couverture des homicides intrafamiliaux constitue un exercice de doigté pour les journalistes. Comment faire ressortir la complexité sous-jacente au drame? Quel niveau de détails présenter sans porter atteinte à la vie privée des proches et sans heurter la sensibilité des proches des victimes et celle du public? Quelle photo publier? Qui interroger? Quels mots utilisés?
À toutes ces questions, il n’y a pas de réponse unique. Il n’existe aucun guide spécifiquement consacré à la couverture des homicides intrafamiliaux. Cependant, les journalistes peuvent trouver des réponses à leurs questionnements dans les guides et les codes de déontologie déjà existants.
Dans celui du Conseil de presse du Québec (CPQ), Droits et responsabilités de la presse, l’article 2.3.2 traite de la vie privée et des drames humains. On y aborde plusieurs éléments qui doivent être pris en compte par les journalistes lorsqu’ils couvrent un homicide intrafamilial, dont le respect des proches, la notion d’intérêt public, l’identification des victimes, l’identification des personnes mises en cause et la publication de photos.
Les journalistes peuvent également se référer au Guide de déontologie des journalistes du Québec, publié par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. En plus de rappeler aux reporters de soupeser le droit à la vie privée des individus et le droit à l’information, le Guide encadre l’identification des victimes et souligne qu’ils doivent faire preuve de compassion à l’égard des personnes venant de vivre un drame et éviter de les harceler pour obtenir des informations.
Bonnes pratiques
Les experts estiment que ce n’est pas un moment de folie qui amène un parent à tuer ses enfants, puis à se suicider. Ils considèrent qu’un long processus s’installe avant le drame, et que les variables en cause sont nombreuses. La violence conjugale est un élément qui joue fréquemment dans ce phénomène complexe, notent-ils.
Pour aider les journalistes à bien cerner la problématique plusieurs associations ou organismes ont émis des lignes directrices ou des guides de bonnes pratiques. Elles insistent sur l’importance de rappeler que l’homicide intrafamilial s’inscrit dans un contexte de violence conjugale. Les auteurs mettent également les journalistes en garde contre les titres tels que : « Il l’aimait tellement qu’il devait l’amener avec lui ». On y explique que quelqu’un dépeint par ses voisins comme un « bon gars » n’exclut pas qu’il était contrôlant ou violent à la maison.
De tels guides ont notamment été publiés en Nouvelle-Zélande et dans plusieurs états américains, dont l’Iowa et le Rhode Island.
Au Québec, l’Institut national de santé publique a publié une trousse destinée aux médias. En plus d’y déboulonner certains mythes, on rappelle que la violence conjugale est un phénomène complexe.
Précautions à prendre
Dans leur livre Covering Violence – A Guide to Ethical Reporting about Victims and Trauma, Roger Simpson et William Coté énumèrent les précautions à prendre lorsqu’on interroge une personne ayant vécu un choc ou un drame. Même si leur ouvrage traite de la couverture de la violence de façon générale, certains de leurs conseils s’appliquent aux cas d’homicides intrafamiliaux.
Le Dart Center for Journalism and Trauma, associé à l’école de journalisme de l’Université Columbia, offre des formations et des guides sur la couverture des tragédies, notamment les homicides. Une vidéo réalisée en collaboration avec l’Australian Broadcasting Corporation présente les témoignages de proches de victimes sur les répercussions d’un mauvais traitement journalistique. L’objectif est de faire réfléchir les journalistes sur les conséquences de leur travail et des précautions qu’ils doivent prendre.
Étude
Au printemps 2013, à la suggestion du ministère de la Santé et des Services sociaux, le Conseil de presse du Québec (CPQ) a mandaté une équipe de chercheurs afin d’explorer les effets de la couverture médiatique des homicides intrafamiliaux sur les personnes vulnérables et la population. Le CPQ s’est engagé dans ce projet dans une perspective de sensibilisation des journalistes et des médias et de réflexion au sujet de la couverture de ces drames humains. Les conclusions de l’étude devraient être rendues publiques l’automne prochain.