Un expert sera mandaté pour examiner le fonctionnement des conseils de presse européens et proposer des pistes de réflexion à la ministre française de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti.
C’est ce qu’elle a annoncé, mercredi, lors de son allocution devant les participants des 7e Assises internationales du journalisme et de l’information qui se déroulent à Metz jusqu’au 7 novembre.
Tout en reconnaissant que le respect de règles déontologiques est un gage de qualité de l’information pour le public, la ministre a clairement indiqué qu’elle est réticente à imposer une instance déontologique au milieu journalistique.
« Je veux au maximum que l’initiative vienne de vous et qu’elle ne soit pas imposée par l’État parce que je considère que c’est quelque chose qui doit venir d’une démarche participative entre les professionnels et la société civile. C’est à cette condition que cela peut fonctionner, sinon il est inutile de créer une instance qui serait ringarde avant d’être née et qui laisserait le débat se faire ailleurs », a prévenu Mme Filippetti.
Elle a précisé que les conseils de presse peuvent être intéressants lorsqu’ils ne sont pas « conçus comme des lieux de sanction, de tribunaux entre pairs, mais comme un lieu de débat entre professionnels et la société civile ».
L’expert, dont l’identité n’a pas été dévoilée, devra rendre son rapport en janvier.
Réception
« Je pense que c’est peut-être le début de quelque chose », a réagi Yves Agnès, président de l’Association de préfiguration d’un conseil de presse en France, en notant que depuis l’entrée en fonction de la ministre, il n’avait pas pu aborder ce sujet avec elle.
Il se demande maintenant comment réagiront les éditeurs, qu’il tente de convaincre depuis cinq ans. « C’est pour ça qu’on demande la médiation des pouvoirs publics, mais elle [la ministre] n’est pas encore prête », note l’ancien rédacteur en chef du Monde, en soutenant que les politiques ont toujours très peur des éditeurs.
La secrétaire générale du Syndicat national des journalistes, Dominique Pradalié, qui défend la création d’un conseil de presse, s’est pour sa part réjouie de voir que « ça bougeotte ». Elle attend cependant de voir qui sera l’expert désigné par la ministre.
Responsable de l’association Enjeux e-médias, qui fait de l’éducation aux médias auprès des jeunes, Christine Menzaghi souhaite que le mouvement citoyen fasse partie des consultations.
Elle considère que l’annonce constitue une avancée. « Dans cette espèce d’attentisme, de réflexion qui n’en finit pas, on voit un petit bout de tunnel. Toutes les analyses ont été faites, les lignes de force tracées, les divergences explorées, il faut sortir de cette ornière et là peut-être que cela nous permettra d’en sortir », a ajouté celle qui avait plaidé l’urgence d’agir, lors de l’atelier précédant l’allocution de la ministre.
Craintes
Cette annonce est survenue quelques minutes seulement après un atelier qui avait justement abordé la question de la création d’un conseil de presse. Alors que certains participants y voyaient une façon de regagner la confiance du public, d’autres s’inquiétaient du fonctionnement d’une telle instance.
M. Agnès a rappelé l’objectif pédagogique d’un éventuel conseil de presse. « Ce sont des instances indépendantes du pouvoir public, parfois reconnues par le législateur, mais indépendantes. Elles font enquête sur les plaintes. Il n’y a pas de sanction. Les avis sont publiés sur le site du conseil. La sanction morale semble suffisante. C’est une responsabilité vis-à-vis du public pour améliorer la qualité de l’information. »
Mercredi matin, dans un atelier sur le droit à l’information en Europe, plusieurs intervenants avaient plaidé pour la mise en place d’une instance et d’une charte déontologique. Tous souhaitaient que l’État ne s’ingère pas dans la régulation de la presse et que l’instance en soit une d’autorégulation.
Mardi, lors du dévoilement du bilan de l’Observatoire de la déontologie de l’information, Didier Epelbaum, président de l’Observatoire, a rapporté que des journalistes ont fait un parallèle entre un conseil de presse et le régime de Vichy.
Patrick Eveno, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre de l’Observatoire, a ajouté que des journalistes craignent qu’un conseil de presse soit un conseil de l’ordre. Certains éditeurs y verraient pour leur part une « police de la pensée».
Donnant notamment l’exemple du Québec, M. Eveno a rappelé qu’un conseil de presse n’aurait aucun pouvoir de sanction, simplement celui de faire enquête à la suite de plainte du public. « Ce n’est jamais une police de la pensée », a-t-il insisté.