Il n’appartient pas au Conseil d’arbitrer le conflit israélo-palestinien

Le tribunal d’honneur du Conseil de presse du Québec a publié dix-huit (18) nouvelles décisions reliées à des plaintes qu’on lui avait soumises. Treize (13) d’entre elles ont été retenues, les cinq (5) autres ayant été rejetées.
 
Éditorial sur terrain miné
 
Peut-on rendre hommage, voire encenser une personne qui aurait commis une tentative de meurtre? Ou pire, un attentat terroriste? Et si cette même personne, une jeune femme, avait ensuite été abattue, froidement selon certains, en guise de légitime défense selon d’autres? Qui peut décider du genre d’hommage que l’on peut rendre à une personne décédée? 
 
Par la force des choses et de l’histoire, toute prise de position éditoriale sur le conflit israélo-palestinien est vouée à susciter la controverse, à soulever l’ire d’un camp.
 
C’est à ces questions délicates que le Conseil a été confronté, dans une plainte déposée par M. David Ouellette, au nom du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, laquelle reprochait au mensuel montréalais arabophone et francophone Sada al-Mashrek (Écho du Levant) d’avoir versé dans un éditorial dans l’incitation à la haine. Le texte, intitulé « Achraqat la Palestinienne, ou quand la Palestine s’illumine », retraçait les actions posées par une jeune Palestinienne, Achraqat Taha Qatanani, et établissait un parallèle entre celles-ci et le destin de la Palestine dans ses relations avec Israël.
 
M. Ouellette déplorait notamment que l’éditorial la décrive comme « l’icône d’une génération », fasse référence à certains moyens violents et se termine en saluant « son âme ». Une telle célébration de cette jeune femme et de ses actions équivalait, selon le plaignant, à une incitation à la violence envers les Juifs.
 
Tout en reconnaissant que l’éditorial ait certainement pu choquer M. Ouellette, comme du reste une partie du public, le Conseil a tout d’abord rejeté l’interprétation du terme « icône » retenue par le plaignant, selon lequel il impliquerait forcément une forme de glorification, et a plutôt retenu le sens que lui donne Marie-Eva de Villers dans son Multidictionnaire : « Personne, objet qui personnifie une époque, un courant, une mode, un lieu, etc. »
 
La décision du comité des plaintes s’est surtout articulée autour d’un refus : celui de devoir arbitrer l’un des conflits armés les plus complexes que l’histoire récente a connu, « en condamnant ou en applaudissant l’une ou l’autre des parties et les méthodes qu’elles utilisent pour se faire la guerre. »  Ou pour le dire autrement, à devoir statuer sur la légitimité de la violence employée de part et d’autre. 
 
Le Conseil a donc jugé, en définitive, que l’éditorial « Achraqat la Palestinienne, ou quand la Palestine s’illumine », paru dans le mensuel Sada al-Mashrek, ne pouvait être assimilable à une incitation à la violence. En conséquence, la plainte a été rejetée.
 
Article sur Dany Villanueva : une section de commentaires aux allures de défouloir 
 
Le Conseil a retenu la plainte d’Alexandre Popovic et blâmé sévèrement le site Internet du Journal de Montréal pour avoir manqué à son obligation de modérer les commentaires suivant une série d’articles portant sur Dany Villanueva, mis en ligne le 1er avril et le 25 mai 2016. 
 
Dans sa plainte, M. Popovic reprochait au média d’avoir publié une quarantaine de commentaires qu’il jugeait offensants, irrespectueux et attentatoires au droit à la dignité. 
 
Après analyse du dossier, le comité des plaintes lui a donné entièrement raison, certains commentaires s’apparentant même à de l’incitation à la violence. Considérant que le sujet de ces textes était particulièrement sensible, le Conseil juge que les risques de dérapage étaient prévisibles, de sorte que le suivi des commentaires aurait dû, au contraire, être plus rigoureux, d’autant plus que le laisser-aller a semblé encourager une escalade dans la virulence des commentaires. 
 
Considérant l’importance de la faute, mais également le fait que le Journal de Montréal n’en est pas à sa première offense en la matière, le comité des plaintes a adressé aux mis en cause un blâme sévère.
 
Anonymat de jeunes fugueuses d’un Centre jeunesse : une valse à trois temps
 
Dans cette affaire, le plaignant, M. Philippe Gagné, Directeur de la protection de la jeunesse en Abitibi-Témiscamingue, jugeait que l’hebdomadaire La Frontière/Le Citoyen avait indûment précisé que trois jeunes fugueuses, recherchées par les autorités, résidaient au Centre jeunesse de Rouyn-Noranda. Une telle identification, selon lui, était contraire à la loi et aux principes déontologiques.
 
La déontologie reconnaît sans difficulté qu’il existe des situations où le principe voulant qu’une personne mineure vivant des difficultés personnelles graves ne doive pas être identifiée ne saurait être strictement appliqué sans risquer de porter atteinte à des droits plus importants, comme le droit à la vie. 
 
Une situation d’urgence comme la fugue de jeunes filles prises en charge par un Centre jeunesse justifiait ainsi amplement la divulgation de leur nom et de leur photo, mais aussi leur lien avec le Centre jeunesse, puisqu’il s’agissait d’informations pertinentes, permettant au public d’aider la famille et les autorités dans leurs recherches. Le Conseil a ainsi jugé qu’il n’y avait aucune faute à publier, dans un premier temps, ces informations.
 
Cela étant dit, le Conseil a en outre déterminé que les mis en cause auraient dû s’abstenir, dans un article de suivi, une fois les jeunes femmes retrouvées, de rappeler ces mêmes informations, puisque l’intérêt public ne justifiait plus de passer outre au principe déontologique.
 
Enfin, dans un troisième temps, le Conseil a établi que l’hebdomadaire aurait dû, afin de corriger son erreur, retirer toute référence au fait que ces jeunes femmes vivaient dans un Centre jeunesse.
 
Les deux griefs ont ainsi été retenus et l’hebdomadaire, blâmé. 
 
Le journalisme d’opinion doit, lui aussi, se construire sur des faits
 
Dans cette affaire, deux plaignants reprochaient à la chroniqueuse Denise Bombardier d’avoir tenu plusieurs propos inexacts dans un texte sur la venue à Montréal de l’humoriste controversé Dieudonné M’Bala M’Bala.
 
Les plaignants s’en prenaient particulièrement à deux passages : 
 
« Par contre, à part son public composé à 90 % de jeunes Maghrébins antisémites auxquels s’agglutinent des faunes de tous les extrêmes, aucun être humain digne de ce nom ne peut être attiré par Dieudonné. »
 
« Il [Dieudonné] est le chef d’une meute de jeunes admirateurs des djihadistes qui sèment la terreur dans nos contrées. En ce sens, Dieudonné est un allié objectif de Daech ou de Boko Haram. »
 
Dans un cas comme dans l’autre, le Conseil a jugé que ces affirmations, tout à fait gratuites et visiblement appuyées sur aucun fait tangible, en plus d’être contredites par plusieurs sources crédibles, étaient inexactes et trompeuses. 
 
Le grief d’inexactitude et de manque de rigueur de raisonnement, de même que celui pour absence de correctif, ont ainsi été retenus, et les mis en cause ont en conséquence été blâmés.
 
Briser une entente de confidentialité n’est pas une mince affaire
 
Le Conseil a partiellement retenu la plainte déposée par M. Luc Legresley, conseiller municipal de la municipalité de Chandler, laquelle reprochait toute une série de griefs au journaliste Claude Dauphin, du Journal de l’Est – Le Gaspésien : bris d’une entente de confidentialité, informations inexactes, incomplétude et acharnement. Du lot, seul le premier grief a été retenu.
 
En effet, le Conseil a jugé qu’en remettant à la mairesse de Chandler une copie de sa correspondance avec le plaignant, M. Dauphin avait violé de façon flagrante l’entente de confidentialité qui le liait à M. Legresley – une entente pourtant maintes fois réaffirmée dans une conversation privée tenue par l’entremise de Facebook -, et ce, sans motifs valables. 
 
D’après les recherches du Conseil, l’écart entre les informations transmises par M. Legresley au journaliste et la réalité était minime, et on ne saurait y voir le résultat d’une volonté de tromper le journaliste. Comme le rappellent les membres du comité des plaintes, « [l]e simple fait que le mis en cause ait été déçu de constater que l’histoire rapportée par le plaignant n’avait pas l’ampleur souhaitée ou imaginée ne signifie pas que la source l’a trompé. » 
 
Claude Dauphin et le Journal de l’Est – Le Gaspésien ont en conséquence été blâmés.
 
L’indépendance, valeur cardinale du journalisme
 
Quel genre d’implication peut avoir le directeur d’une publication dans sa communauté sans risquer de porter atteinte à son indépendance et à celle de son média? C’est à cette question qu’a dû répondre le comité des plaintes, dans la foulée de la plainte déposée par M. Sébastien St-François contre M. Charles Desmarteau, directeur de l’hebdomadaire La Relève, de Boucherville.
 
M. St-François faisait valoir qu’en siégeant à des comités citoyens de la Ville de Boucherville, dont celui des fêtes du 350e anniversaire de Boucherville et celui de la Commission des jumelages, une implication l’ayant notamment amené à participer à divers voyages, en présence du maire, durant lesquels il aurait par la force des choses représenté la Ville, M. Desmarteau aurait manqué au devoir de réserve que lui impose son rôle de directeur d’un média.
 
Le Conseil a entièrement donné raison à M. St-François, et jugé « qu’à titre de directeur du journal, une plus grande prudence aurait dû guider les actions de M. Desmarteau. Ses multiples collaborations à la vie politique de Boucherville minent son indépendance par rapport au pouvoir politique, le placent en situation de conflit d’intérêts et sont, d’un point de vue déontologique, incompatibles avec sa fonction de directeur du journal. »