Inexactitudes, respect de la vie privée et plagiat : plusieurs fautes importantes ont été commises

Montréal, jeudi 7 juillet 2011 – Le comité des plaintes (CP) du Conseil de presse du Québec a rendu publiques aujourd’hui sept nouvelles décisions.  

Déformations flagrantes des propos d’Amir Khadir
D2011-03-062 : Sébastien Goulet c. Mario Dumont, Éric Duhaime et le réseau V télé
D2011-03-063 : Sébastien Goulet c. Lysiane Gagnon et le quotidien La Presse

Dans deux plaintes distinctes, Sébastien Goulet reprochait, d’abord à Mario Dumont et Éric Duhaime, ensuite à Lysiane Gagnon, d’avoir déformé les prises de position du député québécois de Mercier, Amir Khadir, concernant la possibilité que les autorités américaines aient eu un rôle à jouer dans les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center. Selon le plaignant, les trois journalistes ont commis des erreurs d’inexactitude en rapportant mal le sens des propos qu’il avait tenus à cet égard dans une entrevue qu’il avait donnée en 2006 à Katia Gagnon, également du quotidien La Presse.

Dans l’article de 2006, on peut en effet lire que M. Khadir affirme que « la version officielle […] tient la route, mais que vu les antécédents du gouvernement américain en matière de manipulation, le doute s’impose et une enquête indépendante est nécessaire », admettant au passage que l’on doit cependant être « extrêmement prudent ». Katia Gagnon ajoute d’ailleurs que selon Khadir, « si une grande enquête internationale était instituée, elle conclurait probablement que le 11 septembre est bel et bien un acte de terrorisme organisé par Oussama ben Laden ».

Or, autant l’article de Lysiane Gagnon (intitulé « Khadir, le fanatique », datant du 20 décembre 2010) que les propos tenus par MM. Dumont et Duhaime (lors de la diffusion de l’émission Dumont 360, le 16 décembre 2010) ne font pas état de ces nuances importantes. Ainsi, Lysiane Gagnon écrit : « Hélas, sa vraie nature – celle du radical fanatique qui voyait un complot américain dans les attentats du 11 septembre – vient une fois de plus de remonter à la surface », ce que le Conseil estime faux.

De même, lors de son émission d’affaires publiques, Mario Dumont avance, de façon catégorique, que « pour lui [Amir Khadir], le 11 septembre, c’est un complot », ce à quoi son collaborateur Éric Duhaime répond : « C’est un complot de la CIA. » Encore une fois, le Conseil juge que ces affirmations sont inexactes, et qu’elles déforment clairement le sens des propos, beaucoup plus nuancés, tenus par M. Amir Khadir.

En conséquence, les griefs pour information inexacte, dans chacune des plaintes, ont donc été retenus. Cependant, les griefs pour partialité, que le plaignant avait également déposés, ont été rejetés, puisque ces trois journalistes, à titre de chroniqueurs, font du journalisme d’opinion, un genre qui permet cette latitude d’expression.

Marie Gagnon : un nom propre, mais commun
D2011-02-059 : L’École nationale de police du Québec et Marie Gagnon c. Sébastien Lacroix, François Beaudreau et l’hebdomadaire L’annonceur

Dans cette affaire, les plaignants déploraient que le journaliste Sébastien Lacroix ait manqué de rigueur en affirmant que Marie Gagnon, directrice de l’École nationale de police du Québec (ENPQ), ait contribué au financement du Parti libéral du Québec (PLQ), ce qui est selon eux catégoriquement faux. Le journaliste établissait en outre une relation entre ces contributions et la nomination de Mme Gagnon à ce poste.

Bien que le journaliste reconnaisse, dans le cas présent, les risques élevés d’homonymie, il n’a pas jugé bon, avant de publier son article, de contacter ni la principale intéressée ni l’ENPQ. Si la méthode qu’a employée le journaliste semble plutôt fiable – à savoir un croisement de données entre les informations du site du Directeur général des élections sur les donateurs et les nominations du Conseil des ministres du site du bureau du premier ministre du Québec – il n’en demeure pas moins que les risques qu’il y ait erreur sur la personne ne sont pas négligeables, et donc qu’il est de mise de faire preuve de la plus grande prudence avant de divulguer des noms. Après enquête du Conseil, il appert que jamais le journaliste n’a eu l’assurance nécessaire pour établir un lien direct entre la directrice de l’ENPQ et la donatrice du PLQ. Le Conseil est donc d’avis que le journaliste n’aurait pas dû, dans les circonstances, publier le nom des donateurs, faute d’avoir pu corroborer sérieusement ses informations. Le grief pour information inexacte est donc retenu.

En outre, puisque l’hebdomadaire L’annonceur a refusé la demande de rétractation des plaignants, et en dépit du fait qu’il ait accepté de publier intégralement le communiqué de presse de l’ENPQ, le Conseil retient également le grief pour refus de rétractation, estimant que les efforts de l’hebdomadaire n’étaient pas satisfaisants eût égard au tort causé.

Le grief pour titre tendancieux n’a quant à lui pas été retenu, tandis que celui pour atteinte à la réputation n’a pas été étudié, puisque cette question ne relève pas de la déontologie journalistique, mais bien de la sphère judiciaire.

La plainte a donc été retenue, et le journaliste, blâmé.

Information exacte, méthode inexacte
D2011-02-061: Sophie Gosselin, Kathleen Ruff et Fernand Turcotte c. Yvan Provencher, Maurice Cloutier et le quotidien La Tribune

Dans deux plaintes différentes, jumelées en raison de leurs similitudes, on reprochait au journaliste l’interprétation qu’il faisait, dans une brève, d’une décision de la Cour suprême de l’Inde concernant l’exploitation, la production et l’utilisation de l’amiante.

Selon les plaignants, la Cour suprême indienne refuse de prendre position pour ou contre le bannissement de l’amiante, contrairement à ce que le titre de l’article laisse entendre (« La Cour suprême de l’Inde refuse de bannir l’amiante »), en alléguant que cette question relève de la juridiction du parlement indien.

Or, à la lecture du jugement, le Conseil a constaté que la requête qui avait été présentée à la cour demandait spécifiquement à celle-ci d’user des pouvoirs extraordinaires que lui confère la Constitution indienne pour bannir l’amiante, ce que la cour a refusé de faire, tout en reconnaissant qu’elle aurait effectivement pu donner un tel ordre. Ainsi, le Conseil juge que le titre est exact en ce qu’il représente fidèlement la décision de la cour.

Par ailleurs, les plaignants reprochaient également au journaliste de s’être largement inspiré d’un communiqué de presse diffusé par un consortium d’investisseurs pro-amiante, dont il se serait en quelque sorte fait le porte-parole. À leur avis, il est évident que M. Provencher n’a pas lu le jugement avant de rédiger son article. De son propre aveu, le journaliste a admis s’être fié uniquement à l’interprétation du consortium.

Pour le Conseil, il est inacceptable qu’un journaliste se fie aveuglément à l’interprétation d’un groupe, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une question aussi controversée, et qu’il la présente comme si c’était la sienne, sans que le lecteur ne soit en mesure de comprendre qu’il rapportait en fait la lecture qu’en faisait le consortium. Le Conseil retient donc le grief pour avoir omis d’identifier et de diversifier ses sources d’information.

Finalement, Mme Sophie Gosselin déplorait également que le quotidien La Tribune ait fait parvenir à un tiers – le président du Mouvement PROChrysotile – la lettre d’opinion qu’elle désirait faire publier en réaction à l’article du journaliste, accompagné de son adresse courriel. Le quotidien a confirmé que la lettre de Mme Gosselin avait été transmise par inadvertance, parce que le journaliste souhaitait valider certaines des nuances que la plaignante souhaitait apporter à l’interprétation qu’il faisait de la décision. Or, selon les principes déontologiques en vigueur, les médias doivent taire en tout temps les informations personnelles de leurs correspondants, ce qui inclut leur adresse courriel. Le grief pour non-respect de la vie privée a donc été retenu.

Ainsi, le Conseil retient partiellement la plainte, et blâme le quotidien La Tribune pour non-respect de la vie privée.

Sur l’usage du titre de docteur
D2011-03-066 : Kathleen Ruff et Fernand Turcotte c. Nelson Fecteau, Maurice Cloutier et le quotidien La Tribune

Dans une autre plainte, Mme Ruff et M. Turcotte reprochaient cette fois-ci certaines inexactitudes dans un article portant sur l’avis sur les effets délétères de l’amiante, un manque d’équilibre dans la couverture de cette question, un manque de respect envers l’une des victimes d’une maladie reliée à l’amiante et le refus du quotidien de rectifier ses erreurs. Tous les griefs ont été rejetés, mais le Conseil a tenu a faire certaines précisions concernant l’usage du titre de docteur, puisque les plaignants alléguaient que Jacques Dunnigan, cité par le journaliste, n’était pas médecin, mais bien physiologue, et qu’en dépit du fait qu’il détienne un doctorat, lui conférer le titre de docteur entretiendrait une certaine confusion pour le public.

Le code de déontologie du Conseil de presse du Québec n’énonce aucun principe pouvant guider le travail des journalistes à cet égard. Néanmoins, conformément à l’usage prescrit par le Code des professions du Québec, le Conseil est d’avis que les journalistes devraient suivre les règles suivantes dans l’usage du titre de docteur : 1) aucune restriction pour les médecins, les vétérinaires et les dentistes; 2) pour désigner un membre d’un ordre professionnel dont le permis de pratique requiert un doctorat, utiliser le terme « docteur » avant le nom, à condition que le titre réservé suive immédiatement (par exemple : Docteur Untel, chiropraticien); 3) pour désigner toute autre personne détentrice d’un doctorat, utiliser le terme « docteur » après le nom, en le faisant suivre de la discipline dans laquelle le doctorat a été obtenu (par exemple : M. Untel, docteur en physiologie).

Plagier une lettre ouverte parue dans un autre quotidien
D2011-01-057 : Zeev Rosberger c. Beryl Wajsman et l’hebdomadaire The Suburban

M. Rosberger reprochait à Beryl Wajsman, éditeur du journal The Suburban, d’avoir plagié de grands pans d’une lettre ouverte parue dans le NDG Free Press la veille, signée par des candidats défaits aux postes de conseillers municipaux, qui dénoncent le fait qu’un conseiller, M. Abe Gonshor, soit exclu de certaines rencontres du conseil municipal.

Le Conseil de presse a effectivement constaté que plusieurs passages étaient identiques, tandis que d’autres n’avaient été que très légèrement modifiés par M. Wajsman. Le grief pour plagiat est donc retenu.

Les griefs pour manque d’équilibre, absence de rectification et refus du droit de réplique ont cependant été rejetés, tandis que le grief pour absence de mise au point, nécessaire vue la gravité de la faute, a également été retenu.

La plainte contre M. Wajsman et l’hebdomadaire The Suburban a ainsi été partiellement retenue.

Pas d’inexactitude, mais des fautes pour sensationnalisme et préjugés
D2011-02-060 : Kahnawake Economic Development Commission et John Bud Morris c. Sébastien Ménard, Serge Labrosse et le quotidien Le Journal de Montréal

Suite à la parution d’un article sur le projet d’éoliennes à Kahnawake, M. Morris a déposé une plainte pour informations inexactes, sensationnalisme, préjugés et partialité.

Seuls les griefs pour sensationnalisme et pour avoir véhiculé des préjugés ont été retenus, en raison de l’utilisation du drapeau de la Mohawk Warrior Society en page couverture, une image associée aux confrontations violentes de la désormais célèbre crise d’Oka.

La plainte a donc été partiellement retenue et pour son manque de collaboration, le Conseil blâme le Journal de Montréal.

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NOTA BENE : Exceptionnellement, en raison de problèmes techniques, le texte intégral des décisions ainsi que le résumé des arguments des parties en cause ne se trouvent pas dans la section « Les décisions rendues par le Conseil » de notre site web, mais bien dans la section « Nouvelles et communiqués ». L’adresse de notre site web est le www.conseildepresse.qc.ca

Ces décisions sont toutes susceptibles d’être portées en appel dans les 30 jours de leur réception par les parties.

Le Conseil rappelle que « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8.2)

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SOURCE :                           
Julien Acosta, directeur des communications
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818

RENSEIGNEMENTS :      
Guy Amyot, secrétaire général
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818