Modifications proposées par le Conseil de presse du Québec à la loi électorale québécoise

Le 2 août 1988.  Le respect des libertés d’opinion et d’expression reconnues à tout citoyen, même (et surtout) en période électorale, constitue le principe sur lequel se basent les recommandations du Conseil.

Tout en reconnaissant la nécessité de contrôler les dépenses électorales, le Conseil est d’avis que la Loi électorale ne doit pas avoir pour effet de brimer ces libertés fondamentales. Et si tant est qu’il faille choisir entre deux maux, le Conseil considère qu’un assouplissement du cadre législatif en matière de dépenses électorales serait moins dommageable, à tous égards, qu’un contrôle strict au point de brimer les libertés d’opinion et d’expression.

Il n’est cependant pas évident que l’on doive ainsi choisir entre deux maux, la loi pouvant être modifiée de façon à ce que son objet réel, soit le contrôle des dépenses électorales, puisse être atteint adéquatement tout en préservant des libertés auxquelles, de toute façon, le législateur ne désirait sûrement pas atteindre.

Car s’il est évident et reconnu que le contrôle des dépenses électorales a une incidence certaine sur la liberté d’expression, les contraintes ainsi créées doivent se limiter aux messages de nature publicitaire, les seuls qui devraient être considérés comme dépenses électorales. En effet, lorsque des mesures de contrôle des dépenses électorales ne sont pas strictement limitées à de tels messages, elles ont pour effet direct de restreindre la liberté d’informer; et c’est précisément ce qu’il importe d’effacer de la loi.

Les commentaires et suggestions qui suivent vont donc dans ce sens.

ARTICLE 405

Déjà dans cet article il y aurait lieu de préciser par qui sont effectuées les dépenses considérées comme tombant sous le coup du contrôle.

D’entrée de jeu, si l’on veut favoriser la circulation des idées et la libre expression des opinions, on devrait circonscrire la portée de cet article aux groupes ou aux organismes qui sont constitués aux seules fins d’influencer le résultat d’une élection.

Par ailleurs, si les opinions sont librement exprimées, il va de soi qu’elles influenceront directement ou indirectement le résultat d’une élection et qu’elles favoriseront automatiquement un candidat.

Cet article devrait donc être modifié à cause de son ambiguïté et parce qu’il inclut ou risque d’inclure tout le monde indistinctement.

L’article 405 devrait donc se lire comme suit :

« Sont considérés comme dépenses électorales tous frais engagés pendant une période électorale par un candidat, un parti politique ou un groupe constitué aux seules fins d’influencer le résultat d’une élection [1] pour diffuser ou combattre le programme ou la politique d’un candidat ou d’un parti; [2] approuver ou désapprouver des mesures préconisées ou combattues par un candidat ou un parti; [3] approuver ou désapprouver des actes accomplis ou proposés par un parti, un candidat ou leurs partisans. »

SUJET 46 – DIFFUSION D’ÉCRITS EN PÉRIODE ÉLECTORALE

ARTICLE 406

Afin d’éviter toute confusion entre information et publicité, cet article ne devrait pas faire état de « tout écrit » et de toute « émission de radio ou de télévision », mais plutôt s’en tenir à la notion de « matériel ou temps d’antenne publicitaire », laquelle englobe toutes les autres.

L’article 406 devrait donc se lire ainsi :

« Sont également considérées comme dépenses électorales, les frais engagés avant une période électorale pour l’achat ou la production de tout matériel ou temps d’antenne publicitaire utilisé ou diffusé pendant la période électorale aux fins visées à l’article 405. »

SUJET 50 – TEMPS D’ANTENNE GRATUIT ET « DÉBATS DES CHEFS »

ARTICLE 407

Cet article devrait être modifié de façon à tenir compte de deux réalisations précises :

1-    La publication ou la diffusion d’entrevues de même que l’organisation de débats électoraux radiodiffusés et télédiffusés ne devraient en aucun temps être considérées comme dépenses électorales lorsque soumis au traitement journalistique. Il s’agit là d’éléments d’information et non de publicité ou de propagande, et les médias doivent, dans ce contexte, demeurer libres de leurs choix rédactionnels, notamment au niveau du nombre d’invités et de la forme que prend le débat ou l’entrevue.

2-    La publication ou la diffusion d’opinions sur des questions d’intérêt public ou des actions et décisions gouvernementales ne devraient pas être considérées comme dépenses électorales lorsqu’elles sont le fait de personnes, de groupes ou d’organismes qui ne sont pas constitués aux seules fins d’influencer le résultat d’une élection.

Que ces personnes, groupes ou organismes soient visés ou non par les actions et les décisions commentées, ou que les opinions émises incitent ou non à favoriser ou à défavoriser un parti ou un candidat, il n’y a pas lieu d’atteindre à leur liberté d’expression dans la mesure où ces personnes, groupes ou organismes ne sont pas constitués aux seules fins d’influencer le résultat de l’élection.

C’est donc leur statut à cet égard qui doit constituer le seul test véritable sous peine de censurer le débat démocratique.

Les modifications suivantes devraient donc être apportées à l’article 407 :

« Ne sont pas considérées comme dépenses électorales :

1-    la publication, dans un journal ou autre périodique, d’articles, d’éditoriaux, de nouvelles, de chroniques, de lettres de lecteurs, d’entrevues d’un ou plusieurs candidats ou représentants de candidats ou de partis politiques, à la condition que… [la suite demeure inchangée];

2-    la diffusion par un poste de radio ou de télévision d’une émission de nouvelles, de commentaires, d’un débat entre deux ou plusieurs candidats ou représentants de candidats ou de partis politiques, ou d’entrevues avec un ou plusieurs candidats ou représentants de candidats ou de partis politiques, à la condition que… [la suite demeure inchangée];

3-    les frais encourus par une personne, un groupe ou organisme qui n’est pas constitué aux seules fins d’influencer le résultat d’une élection, pour faire connaître son opinion sur une question d’intérêt public ou sur des actions ou décisions. »

[Les paragraphes 3 à 10 de l’article 407 demeurent inchangés.]

ARTICLE 427

Afin d’éviter toute confusion possible et de se conformer à ce qui précède, cet article devrait exclure clairement de la notion de temps d’antenne et d’espaces gratuits les débats et les entrevues.

Le paragraphe suivant pourrait y être ajouté :

« Ne sont pas visés par le présent article les débats et les entrevues dont il est fait mention à l’article 407. »

SUJET 55 – RÉGLEMENTATION DES SONDAGES EN PÉRIODE ÉLECTORALE

À la première question : Doit-on réglementer les sondages en période électorale, le Conseil de presse répond par la négative, ainsi qu’il l’avait déjà fait à propos du projet de loi fédéral C-79.

L’adoption de mesures législatives concernant la façon dont les médias doivent rapporter les résultats des sondages d’opinion revient à fixer un contenu informationnel et de ce fait constitue une atteinte à la liberté de la presse et au droit du public à l’information.

Le Conseil soutient que les médias pourraient cesser de rapporter les résultats des sondages d’opinion s’ils étaient forcés de communiquer de trop nombreuses informations méthodologiques. Comte tenu des contraintes de temps et d’espace auxquelles les médias tant électroniques qu’écrits doivent faire face, de telles obligations pourraient rendre la diffusion de ces informations d’intérêt public quasi impossible dans certains cas.

Le Conseil soutient le principe à l’effet que le public reçoive les informations d’ordre méthodologique en même temps que les résultats des sondages. Celles-ci permettent de vérifier la qualité des informations recueillies par sondage, et donnent la possibilité au public de former son propre jugement sur l’information qu’il reçoit.

Cependant, le Conseil estime que ceci relève de l’autodiscipline des médias et des journalistes, et ne doit en aucune façon être régi par des mesures législatives, de telles mesures accroissant les risques d’ingérence gouvernementale dans les contenus de l’information et les décisions qui relèvent des salles de rédaction.

Le Conseil de presse considère donc comme essentiel que les médias écrits et électroniques soient libres de déterminer la façon de communiquer les résultats des sondages, afin d’éviter que soit limitée la liberté de la presse d’informer adéquatement le public.

Et si le gouvernement décidait tout de même d’agir dans ce domaine, la seule contrainte acceptable en la matière serait de prévoir que les médias conservent les renseignements décrits au projet de loi et les rendent accessibles au public, de façon à ce que les personnes intéressées puissent prendre connaissance de ces données.

Quant à la seconde question : Doit-on interdire la diffusion des sondages à la veille d’un scrutin, le Conseil de presse répond que la population québécoise est habituée à vivre avec l’omniprésence des « sondages d’opinion ». Le Conseil de presse est d’avis qu’il faut faire confiance à la maturité et à l’esprit critique de la population, en un mot au jugement de chaque personne.

D’autre part, ainsi que le souligne fort justement le « Document de réflexion et de consultation sur la révision de la loi électorale » soumis à notre attention, il est absolument impossible de garantir une interdiction étanche, étant donné la limite de la juridiction territoriale qu’elle devrait prendre et qui pourrait facilement être contournée. Les moyens de communication que nous connaissons dans notre société permettraient à n’importe laquelle station radiophonique d’Ottawa, par exemple, de diffuser les résultats d’un sondage interdit de diffusion au Québec. De plus, dans la mesure où les partis politiques, ou toute autre entité, auraient la liberté d’effectuer leurs propres sondages jusqu’au jour du scrutin, il serait contraire au droit du public à l’information de le priver d’une information que des personnes, stratèges politiques ou autres, peuvent continuer d’obtenir et d’utiliser.

Le Conseil de presse du Québec tient à rappeler également que les médias connaissent bien les conséquences qui découleraient pour eux de la diffusion de sondages qui ne répondraient pas aux normes méthodologiques habituelles. Leur crédibilité en serait nécessairement entachée pour l’avenir.

En terminant, le Conseil de presse aimerait souligner que la crainte, même fondée, de la diffusion de « sondages manipulateurs » ne doit pas faire perdre de vue que la libre circulation des idées est la meilleure garantie contre la « manipulation » d’où qu’elle provienne. Dans l’univers de la communication, l’information n’est jamais neutre, elle ne peut que tendre vers une objectivité et une honnêteté toujours plus grandes. Le processus démocratique ne saurait donc être mieux protégé que par la libre circulation des idées. Toutefois, si jamais le législateur devait se laisser convaincre du fait que les sondages d’opinion ne sont pas désirables en certaines circonstances [ce qui reste entièrement à prouver], il faudrait alors viser la bonne cible et ne pas faire reposer sur les seuls médias la responsabilité sociale de cette interdiction, mais bien la répartir entre toutes les parties concernées.

SUJET 57 – INFRACTIONS ET PEINES [Art. 490-512]

ARTICLE 502

La suggestion de la Commission des droits de la personne à l’effet d’exiger la preuve de mens rea semble judicieuse au Conseil de presse.

Le paragraphe suivant devrait donc être ajouté à l’article 502 :

« Commet une infraction, toute personne autre que celles mentionnées aux articles 500 à 502 qui, sciemment et dans le but d’influencer le résultat d’une élection, fait, acquitte ou permet quelque dépenses électorales autrement que de la façon permise par le chapitre III du titre VIII de la présente loi. »