Âgisme : la vieillesse a-t-elle bonne presse au Canada?

« L’âge moyen des scientifiques s’est dramatiquement élevé, autour de 57 ans selon les syndicats. » 
La Presse, 11 octobre 2000

 « Many actions can demonstrate your age, some as obvious as not staying up-to-date with technology and repeatedly talking about the past rather than the present… » 
The Globe and Mail, 25 mars 2010

Entre le vieillard anonyme en perte d’autonomie et la grand-mère de 82 ans qui court le marathon de Boston, quelle place font les médias canadiens à la vieillesse ordinaire? Ont-ils parfois tendance à verser dans l’âgisme?

« L’âgisme réfère à un processus par lequel une personne est stéréotypée et discriminée en raison de son âge[1]», indique Martine Lagacé, professeure au département de communication de Université d’Ottawa et membre de l’Observatoire vieillissement et société. L’âgisme peut donc cibler les jeunes, mais de manière générale, c’est plutôt envers les personnes vieillissantes qu’il s’observe. « L’âgisme peut s’exprimer de façon très insidieuse, ce n’est pas toujours explicite», précise la chercheuse, qui s’intéresse depuis une quinzaine d’années à l’âgisme envers les personnes vieillissantes.

Pourquoi s’intéresser au discours médiatique? « Dans mes précédentes recherches, je m’étais surtout concentrée sur l’âgisme dans un contexte micro, par exemple dans un milieu de travail ou dans un contexte de soins de santé. On a eu envie de resituer l’âgisme dans un contexte plus global en se posant la question: est-ce possible que les discours publics influencent les perceptions que les gens ont sur l’âge? explique-t-elle. On aurait pu s’intéresser au discours politique ou médical, mais on a choisi un discours public puissant : les médias.»

La chercheuse qualifie l’enquête de modeste : en raison de contraintes budgétaires, elle a dû limiter sa recherche à deux grands quotidiens nationaux, The Globe and Mail et La Presse. Modeste, mais acceptable selon elle, en raison de la méthodologie qui a permis de retenir de manière aléatoire 120 articles abordant la thématique du vieillissement sur une décennie[2].

Comment les médias parlent-ils de la vieillesse?

Première surprise, sur les 120 articles recensés, aucun ne se trouvait en page couverture. « Ce qu’on ne dit pas, c’est tout aussi important que ce qu’on dit, estime Martine Lagacé. Être invisible vient renforcer le stéréotype de la personne âgée qui donne peu à la société.» 

Autre constat, le discours sur les personnes âgées est extrêmement polarisé. « D’un côté, on a la personne âgée décrite comme un  poids pour la société; de l’autre, on a le « jeune vieux », cette personne âgée exceptionnelle qui ne vieillit pas », constate la chercheuse. La majorité (70%) des articles se rangeaient dans l’un ou l’autre de ces extrêmes.

Une tendance observée aussi par Louise Gérin, présidente de la fondation culturelle Jean-de-Brébeuf qui a assisté à la conférence de Martine Lagacé le 29 mars dernier. «C’est rare que, dans les journaux, on traite de la réalité « ordinaire »; ceci dit, ça vaut pour les vieux comme pour les autres groupes.»

L’angle choisi par les médias pour parler du vieillissement est également parlant, remarque Martine Lagacé. « Dans les articles étudiés, on parle du vieillissement presque exclusivement et strictement en termes économiques. Par exemple, combien coûte à la société une population vieillissante? »

Geneviève Lalonde, qui travaille pour la Table de concertation des aînés de l’île de Montréal, observe aussi des généralisations dans la veille médiatique qu’elle fait quotidiennement. « Les médias véhiculent plusieurs stéréotypes sur les personnes âgées. L’image du vieillissement de la population comme un fardeau est très présente. Je pense qu’il y a un travail à faire au niveau de l’approche journalistique. »

Louise Gérin nuance et rappelle qu’il fait être prudent, parce que tout est susceptible de devenir synonyme d’âgisme. « Si on veut parler de vieillissement, il faut pouvoir le nommer. Mais il y a toujours le danger qu’en le nommant, ce soit perçu comme de l’âgisme. » Elle estime qu’il faut surtout valoriser le fait de vieillir dans la société, et ce peu importe l’âge.

Car au-delà des médias, c’est la façon dont notre société perçoit le vieillissement qui semble en cause. « L’âge, la vieillesse, ce sont des constructions sociales, rappelle Martine Lagacé. Chez nous, c’est perçu comme un problème et on infantilise souvent les personnes âgées. Ailleurs, comme au Japon ou en Norvège, on choisit plutôt de célébrer le vieillissement de la population. »