Est-ce que les journalistes devraient refuser les réponses par courriel lorsqu’ils sollicitent une entrevue avec un politicien? J-Source pose la question, dans un titre qui chapeaute le texte de David P. Ball, journaliste au quotidien indépendant The Tyee, en Colombie-Britannique.
L’auteur relate sa propre expérience avec les réponses formatées et acheminées par courriel, qui ne peuvent être considérées comme des substituts à des réponses données sur le vif par un élu. Sans compter qu’elles constituent une forme de fin de non-recevoir pour toute question complémentaire pouvant émerger lors d’un échange de vive voix.
D’abord, qui a écrit ces réponses? Ont-elles même été validées par la personne à qui elles sont attribuées? Un média peut-il aller jusqu’à refuser de les publier? S’il se résout à le faire, comment ces déclarations doivent-elles être présentées? Jusqu’où va le devoir du journaliste d’amener un politicien à rendre des comptes?
À l’origine de ces questions qui ont fait des vagues sur la toile, un texte du blogueur Paul Willcocks, paru le 4 septembre, mentionne David P. Ball.
Selon M. Willcocks, répondre par courriel est une stratégie des politiciens qui ne fonctionne que parce que les journalistes relaient ce type d’information. « La solution est simple, écrit Paul Willcocks, les médias devraient simplement dire non lorsqu’on leur offre une réponse par courriel et rapporter que le gouvernement ou l’organisation n’a pas donné accès au ministre ou à quelqu’un d’autre pour répondre aux questions.* »
David P. Ball cite le rédacteur en chef de l’hebdomadaire The Georgia Straight, Charlie Smith, qui dit hésiter à publier des réponses du gouvernement fournies par courriel et aller jusqu’à refuser de les publier, quand il estime qu’elles ne répondent pas de façon satisfaisante à ses interrogations. Dans ces situations, il dit insister pour obtenir une entrevue.
M. Smith fait une distinction entre les citations véritables d’un élu incluses dans un communiqué et les réponses envoyées par courriel, fabriquées en réaction à des questions posées par un journaliste. S’il n’hésite pas à publier les premières, il se méfie des secondes. « Nous ne savons même pas qui a écrit ces déclarations, fait-il valoir. Ils citent le ministre, mais est-ce que le bureau du ministre les a rédigées? »
Candis Callison, professeur de journalisme à l’Université de la Colombie-Britannique, note que le rôle d’un journaliste est de « faire tous les efforts possibles* » pour amener les politiciens à rendre des comptes. Lorsque la classe politique se met à l’abri derrière des déclarations formatées, la démocratie en souffre, dit-elle.
Chad Skelton, journaliste au Vancouver Sun, admet que cette façon de faire des politiciens est un problème, mais estime que la question à se poser est : « Jusqu’à quel point un journaliste peut influencer la façon d’obtenir de l’information? Je ne vois pas comment, éthiquement, on peut prétendre ne pas avoir obtenu ceci ou décider de ne pas rapporter cela. C’est quand même de l’information.* »
Il suggère d’informer le lecteur, lorsqu’une déclaration formatée est publiée, et de ne pas attribuer directement une citation à une personne, lorsque celle-ci n’a pas accordé d’entrevue.
Donald Gutstein, professeur adjoint en communications à l’Université Simon Fraser, répond en quelque sorte à l’interrogation de Chad Skelton.
« Au-delà de faire preuve de ténacité et d’alerter les lecteurs, quand une déclaration a été préparée, il n’y a pas grand-chose que les journalistes peuvent faire lorsqu’on leur envoie un courriel en lieu et place d’une entrevue. Les médias eux-mêmes ne sont pas censés être des acteurs, dans le processus de l’information, mais bien des courroies de transmission ou des commentateurs.* »
* Traduction du Magazine du CPQ
Lectures complémentaires « Harper inquiète les journalistes » : Radio-Canada rapportait, le vendredi 11 juin 2010, qu’un regroupement de journalistes canadiens dénonçaient le contrôle exercé sur l’information par le gouvernement Harper. Une des recommandations du groupe était « d’éviter de rapporter des citations rédigées par le personnel subalterne et envoyées d’un Blackberry. Les journalistes devraient, dans ces cas-là, expliquer à leurs lecteurs qu’ils n’ont pu obtenir de réponses à leurs questions. » « La convergence des RP » : Dans un compte-rendu d’un colloque organisé par la revue indépendante À Bâbord!, le Magazine du CPQ rapportait, en avril 2013, l’exposé de Chantal Francoeur, professeur à l’école des médias de l’UQAM. Mme Francoeur faisait état de la prolifération des spécialistes des relations publiques et du « matériel clé en main » offert aux journalistes. Ces derniers, poussés à travailler de plus en plus vite, sont susceptibles de mal résister à cette tendance, soulignait-elle. |
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