Contenu liquide à vendre

Marketing et contenu : un couple très tendance, qui se répand comme un liquide sur la toile, dixit Coca-Cola. Le marketing de contenu raconte une histoire utile pour le lecteur et l’engage envers les marques, lesquelles deviennent les partenaires de contenu des médias ou se lancent elles-mêmes dans l’édition numérique, devenue très accessible. Mélange des genres? La question a été à peine effleurée, le 20 mars, lors de la Journée Infopresse consacrée au phénomène.

Crédit Photo : Chaval Brasil CC

 La série de conférences présentées au Cinéma Excentris a principalement attiré des représentants d’agences de marketing et d’entreprises désirant se mettre au parfum du nouvel engouement en marketing numérique.

 Comment concevoir et exécuter une stratégie de contenu percutante et engageante ? Quatre conférenciers, dont Joe Pulizzi, fondateur du Content Marketing Institute, considéré comme le « pape » du marketing de contenu, ont répondu à cette question.

 « Storytelling » commandité

 Une discussion tenue en après-midi, Marketing de contenu : entre intégrité et efficacité, réunissant quatre experts québécois dans le domaine, promettait de toucher à l’aspect éthique de cette stratégie qui consiste à « raconter une histoire » dans un format le plus près possible du texte journalistique.

 Comment conserver son intégrité, quand on est un média d’information, si on incorpore ce type de contenu dans l’espace rédactionnel? Faut-il faire une distinction importante entre les deux sphères d’activité ? Patrick Élie, directeur, comptes majeurs chez TC Media, a répondu succinctement à la question de l’animateur Arnaud Granata, vice-président, directeur des contenus aux Éditions Infopresse.

 « Le marketing de « storytelling » est intéressant. TC Média fait du contenu et les marques s’intègrent dans notre contenu. C’est de l’intégration éditoriale. On aborde ça avec beaucoup de prudence. »

 Plus que centenaire

 L’expression marketing de contenu circule beaucoup depuis deux ans, mais désigne une pratique établie depuis longtemps, ont répété les conférenciers. En 1999, Via Rail exploitait une plateforme web réunissant des reportages et des capsules vidéo pour mousser ses destinations moins populaires, souligne Étienne Denis, fondateur et président de l’agence 90 degrés, spécialisée en contenu.

 « Cela existe depuis plus de 100 ans ! » dit Joe Pulizzi, fondateur du Content Marketing Institute. Il cite en exemple The Furrow Magazine, produit par le fabricant de tracteurs John Deere qui, depuis 1895, « embauche des journalistes pour établir le contact avec sa clientèle et la conserver ».

L’air est connu, mais l’orchestration est entièrement repensée, en fonction des supports numériques. Au contact des multiples opportunités de diffusion du cyberespace, le marketing de contenu provoque un changement de paradigme, assure Étienne Denis.

 L’époque où les médias avaient le quasi-monopole des contenus est enterrée. « L’entreprise devient elle-même producteur d’un important volume de contenu. »

 Si les textes commandités n’ont rien d’une révolution, qu’ils s’inscrivent dans la généalogie de l’infopublicité, des publireportages ou des articles enchâssé dans les cahiers thématiques, le marketing de contenu est la forme la plus raffinée de cette lignée, qui se rapproche de plus en plus du journalisme.

 On recherche « l’excellence », la « qualité », la « rigueur », note Maxime Gaudreau, directeur, marketing et innovation, à l’agence de stratégie numérique nvi. Des qualités qui sont aussi les idéaux des journalistes, nombreux à se convertir à la production de contenu de marque.

 On ne veut plus « séduire le client pour lui donner le goût d’être satisfait », comme le fait la publicité, explique Étienne Denis. Par le contenu, on veut « aider le client à être satisfait ». Contenu utile. Contenu ludique. On ne veut plus vendre, mais aider, divertir, créer un engagement envers la marque et si possible, un effet « viral ».

 Liquide, le contenu

 Que ceux qui ne sont pas encore convaincus de la révolution qui est en marche visionnent la vidéo de Coca-Cola, qui explique en 7 min 27 son concept de « contenu liquide ».

 Les plus grandes réussites en la matière ? Red Bull Media House, dit Joe Pulizzi. Le fabricant de boissons énergisantes pousse la logique avec son portail Red Bull Content Pool, en vendant du contenu sous licence. « Vous êtes producteur, éditeur, journaliste et vous vous intéressez à du contenu et des histoires excitantes ? » dit-on dans la vidéo de présentation, sur le site qui comprend une « salle de nouvelles ».

 Joe Pulizzi cite d’autres réussites : Open Forum (American Express), La vie simplifiée (Home Made Simple) et Being Girl. Si Red Bull et American Express s’affichent clairement sur leurs plateformes de contenu, il faut scruter à la loupe une note au bas de la page d’accueil pour découvrir la signature de Procter and Gamble sur les deux derniers sites.

 En fait, moins on attire l’attention sur la marque, plus le public montre de l’intérêt, admet Joe Pulizzi. « Plus vous mettez de marketing dans votre contenu, moins il fonctionne », a-t-il répondu à un participant qui a soulevé le problème de crédibilité, pour les médias qui véhiculent du marketing de contenu, s’il n’est pas distinct de l’information.

 « La transparence est importante, a répondu Pulizzi. Mais Fox News et CNN ont aussi des partis pris. Il faut juste être transparent. »

 Médias-agences

Les invités de la Journée Infopresse ont d’ailleurs peu parlé de l’intérêt croissant, pour les entreprises médias, à mettre la main sur la nouvelle source de revenus potentielle du marketing de contenu.

 Pourtant, de nombreux titres influents et prestigieux offrent désormais leur expertise en édition pour reconquérir ces marques qui ont tourné le dos aux médias de masse ou pour en séduire d’autres. C’est la voie qu’ont choisie The Economist, Forbes, The Washington Post ou The Atlantic (qui a dû revoir sa politique relative au contenu commandité après la très controversée publication d’un texte vantant l’Église de Scientologie), pour colmater la fuite des revenus publicitaires.

 Au Québec, TC Média, qui se positionne comme « une entreprise d’activation marketing », est à la fois un média et une agence marketing qui multiplie les plateformes numériques pour faciliter la diffusion du contenu des annonceurs.

 L’idée répond précisément aux besoins des marques, si on en croit Christophe Bergeron, directeur de création à l’agence Sid Lee : « Quand on créé une plateforme édito, si elle n’est pas appuyée par un écosystème, ça ne sert à rien. On n’est pas tous TC Média. On a besoin d’amis. Le contenu a besoin d’amis et d’amour. Les deux s’achètent. »

 Les marques sont-elles des amis fréquentables, avec le degré d’intimité que suppose le marketing de contenu, pour une entreprise qui est aussi un média d’information ?

 L’animateur a évoqué les expérimentations du journal Les Affaires (NDLR Productivité 202020 est un bon exemple de marketing de contenu, auquel les journalistes contribuent) et posé la question : « N’y a-t-il pas le risque de perdre sa crédibilité ? »

 La réponse de Partick Élie, de TC Média, indique que la question méritera d’être encore posée dans le futur. « On est des marques nous-mêmes. Tout se complexifie et il y a plusieurs solutions. Tout va évoluer. »