Le nouveau code de conduite imposé par le gouvernement fédéral aux employés – dont les journalistes – de Radio-Canada continue de faire jaser. Journalistes, mais également juristes et citoyens s’inquiètent des dangereux glissements politiques qu’on retrouve dans ce code de conduite, à saveur idéologique.
Radio-Canada n’est pas une télévision d’État, mais un radiodiffuseur public. Pourtant, cette nuance aussi fondamentale ne semble pas si claire à la lecture du nouveau code de conduite imposé aux employés depuis le 2 avril dernier. « En démocratie, particulièrement en Grande-Bretagne et aux États-Unis, le gouvernement n’a pas de statut hiérarchique par rapport aux diffuseurs publics », rappelle le professeur Pierre Trudel, titulaire du Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal.
Or, en assimilant à des fonctionnaires de l’État les employés de Radio-Canada, le nouveau code semble faire fi de cette distinction essentielle. On peut notamment y lire que les employés de Radio-Canada « exécutent avec loyauté les décisions prises par leurs dirigeants conformément à la loi et aident les ministres à rendre compte au Parlement et à la population canadienne. » Pourtant, la loi sur la radiodiffusion adoptée en 1991 est formelle : « les membres du personnel [de Radio-Canada NDLR] ne sont ni des fonctionnaires ni des préposés de Sa Majesté » (Article 44. (1)).
« C’est une dérive extrêmement dangereuse parce que ça n’a pas sa place au niveau d’un radiodiffuseur public, souligne le professeur Trudel. Bien sûr, les élus sont là pour s’assurer que les deniers publics sont dépensés correctement, mais les élus n’ont pas d’autorité directe sur Radio-Canada. C’est comme ça qu’on a conçu la radiodiffusion publique dans les pays démocratiques. »
Loyauté : envers qui?
« On dirait qu’il y a un détournement de la finalité de Radio-Canada, estime pour sa part Christian Brunelle, professeur de droit à l’Université Laval spécialisé en droits et libertés et en droit du travail. Quand on est un journaliste employé de Radio-Canada, notre obligation de loyauté, on l’a envers Radio-Canada », et non pas envers le ministre ou le Parlement. Pierre Trudel abonde dans le même sens : « Il y a des dispositions spécifiques de la loi sur la radiodiffusion qui garantissent la liberté éditoriale [de Radio-Canada]. Donc, l’obligation de loyauté ne se comprend pas comme étant l’obligation d’être loyal au ministre. »
Le devoir de loyauté des journalistes envers leur employeur est d’ailleurs une question délicate puisqu’il s’oppose à une valeur forte : la liberté d’expression. « Les journalistes sont dans une situation particulière parce que c’est dans leur mission première que de diffuser de l’information, alors que l’objectif de la loyauté c’est de contenir la divulgation d’information », observe Christian Brunelle.
Au Québec, rappelle Christian Brunelle, l’obligation de loyauté se retrouve à l’article 2088 du Code civil, lequel stipule que : « Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail. »