De la loyauté des employés de Radio-Canada

Question d’interprétation

« On ne peut pas en même temps affirmer l’obligation d’aider le ministre dans son travail et celle de respecter les dispositions de la loi sur la radiodiffusion, ça me paraît une contradiction absolue », selon Pierre Trudel. Le nouveau code de conduite compte d’ailleurs nombre de références directes au système politique canadien. Un changement radical par rapport à la version précédente, datant de 2006.

Certains passages soulèvent d’ailleurs de sérieuses questions au professeur Brunelle. Par exemple, l’article 1 qui indique : « Sous réserve de la Loi sur la radiodiffusion, les employés de CBC/Radio-Canada préservent le régime canadien de démocratie parlementaire et ses institutions. » Pour lui, l’interprétation qui pourrait être faite de cet énoncé est préoccupante. « Si un citoyen ou un élu avait l’idée de changer le système politique parlementaire pour un système proportionnel à la française, par exemple, est-ce que ça voudrait dire qu’un reportage traitant de ce sujet menacerait le régime canadien de démocratie parlementaire ? », questionne-t-il.

Autre élément troublant, l’article 1.2, cité précédemment, qui mentionne la nécessité d’aider les ministres à rendre compte devant le Parlement. Christian Brunelle y voit une menace claire à l’indépendance journalistique. « Prenons par exemple le scandale des commandites : si un journaliste de Radio-Canada fait une enquête de cette nature et qu’un ministre a vent de ça, est-ce que ça veut dire qu’on pourrait reprocher au journaliste de ne pas aider le ministre en voulant protéger ses sources? »

Autant d’éléments inquiétants qui laissent croire que le gouvernement Harper considère le diffuseur public comme étant au service du gouvernement, à l’instar de n’importe quelle société de la couronne. Une situation intenable pour des journalistes. « Personne ne conçoit qu’on puisse forcer un journaliste de La Presse à donner ses carnets de notes, ça paraît évident; mais manifestement, ça ne l’est pas pour tout le monde à Ottawa », constate Pierre Trudel.

Code de conduite ou idéologie politique?

Christian Brunelle estime que le nouveau code de conduite adopte un ton idéologique, un phénomène plutôt rare en matière de droit du travail. « J’ai l’impression qu’il y a un détournement, comme si le gouvernement canadien cherchait à s’approprier Radio-Canada pour servir ses propres fins, s’inquiète-t-il. L’indépendance de Radio-Canada est à mon avis mise à risque face à ça. Évidemment, si on est un fonctionnaire fédéral, notre obligation de loyauté envers l’employeur est très importante, parce que dans une fonction publique, on a une obligation de neutralité et de transparence qui fait partie du service public. » En assimilant les employés de Radio-Canada à des fonctionnaires, le gouvernement cherche-t-il à les museler?

Christian Brunelle a observé dans sa pratique de juriste des cas où, sous le couvert d’un code de déontologie, on tentait de faire taire certains acteurs. « J’ai vu des cas où des municipalités tentaient d’adopter des codes de déontologie et concrètement, leurs tentatives à peine voilées étaient de mettre au pas le service des pompiers ou de police, parce qu’on trouvait que ça parlait un peu trop fort. On tentait alors de baliser dans un code ce que le directeur des pompiers pouvait dire, par exemple. Les codes sont parfois un moyen de museler ou de contenir la liberté d’expression de certaines personnes. »

Malgré ses contradictions avec la Loi sur la radiodiffusion, puisque ce nouveau code de conduite découle du Code de valeurs et d’éthique du secteur public imposé à toute la fonction publique fédérale, son application est immédiate. Une situation susceptible de poser problème puisqu’il incombera aux employés de faire valoir ces contradictions. « Puisque le code est d’application immédiate, il pourrait servir à appliquer des sanctions à des employés. Dans ce cas, il faudrait se défendre et invoquer qu’il n’est pas conforme à la Loi sur la radiodiffusion. C’est ça qui est dangereux », conclut Pierre Trudel.