Plaignant
M. Bernard Côté
Mis en cause
M. Louis Deschênes, animateur; M. Daniel St-Pierre, animateur et directeur de l’information; l’émission « Le Grand Portage » et la station Ciel FM 103
Résumé de la plainte
M. Bernard Côté porte plainte le 28 septembre 2013 contre les animateurs Daniel St-Pierre et Louis Deschênes ainsi que la station de radio Ciel FM 103, relativement à divers extraits d’émissions s’échelonnant du 25 juillet au 3 octobre 2013. Lors de ces extraits, les animateurs commentent la campagne électorale municipale. Le plaignant, candidat à la mairie à cette élection, déplore les conflits d’intérêts des animateurs, la partialité, le manque d’équilibre et le caractère diffamatoire de leurs propos.
Analyse
Grief 1 : conflits d’intérêts
M. Bernard Côté relève des liens existant entre les deux mis en cause et le candidat à la mairie et maire sortant, Gilles Garon. Daniel St-Pierre serait un « ami reconnu de Gilles Garon », selon le plaignant. Quant à Louis Deschênes, il serait le « gendre par alliance de Gilles Garon ».
D’une part, M. St-Pierre mentionne que les liens d’amitié qui le lieraient à M. Garon, selon M. Côté, sont « totalement sans fondements puisque M. Garon est au mieux pour moi une connaissance du milieu de la politique et des affaires avec qui il m’arrive de discuter lors de rencontres impromptues ». Dans le cas de M. Deschênes, M. St-Pierre explique : « il y a bien un lien de parenté par alliance et c’est la raison pour laquelle je me suis imposé pour faire l’entrevue avec M. Côté, entrevue qu’il a refusée ».
Dans son guide de déontologie, Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil de presse met en garde contre les conflits d’intérêts et les apparences de conflits d’intérêts : « Les entreprises de presse et les journalistes doivent éviter les conflits d’intérêts. Ils doivent, au surplus, éviter toute situation qui risque de les faire paraître en conflit d’intérêts, ou donner l’impression qu’ils ont partie liée avec des intérêts particuliers ou quelque pouvoir politique, financier ou autre. […] Les entreprises de presse doivent veiller elles-mêmes à ce que, par leurs affectations, leurs journalistes ne se retrouvent pas en situation de conflit d’intérêts ni d’apparence de conflit d’intérêts. […] Ces politiques et mécanismes devraient couvrir l’ensemble des secteurs d’information, que ceux-ci relèvent du journalisme d’information ou du journalisme d’opinion. » (DERP, pp. 24-25)
Il n’est sûrement pas inutile de rappeler ici que la force des conflits d’intérêts impliquant des liens interpersonnels est proportionnelle à la proximité de ces liens. Ainsi, lorsque vient le temps d’évaluer s’ils constituent une faute déontologique, l’importance que l’on doit accorder à un intérêt lointain, que ce soit en terme temporel ou relationnel, est certainement moindre que celle que l’on doit considérer lorsqu’il s’agit d’un intérêt très proche du journaliste.
Dans le cas présent, compte tenu de l’affirmation catégorique de M. St-Pierre voulant qu’il ne soit pas l’ami du maire, mais une simple connaissance de ce dernier et de l’affirmation non démontrée par le plaignant, le Conseil considère plus vraisemblable la version de M. St-Pierre et ne le juge pas en conflit d’intérêts. Le grief est rejeté sur ce point.
Cependant, le fait que M. Louis Deschênes soit le gendre du maire constitue aux yeux du Conseil un intérêt suffisamment fort pour engendrer un conflit d’intérêts. De l’avis du Conseil, l’animateur aurait dû être exclu de toute affectation en lien avec le maire, Gilles Garon. Ne pas lui confier l’éventuelle entrevue avec M. Côté, adversaire politique de M. Garon, était la bonne décision à prendre, mais il aurait fallu en outre qu’il se garde de faire des commentaires sur la candidature de M. Garon ou de sa campagne en général. Le grief pour conflit d’intérêts est retenu sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief pour conflit d’intérêts est retenu.
Grief 2 : partialité et manquement au devoir de réserve
Le plaignant estime que MM. St-Pierre et Deschênes ont, à divers moments de la campagne électorale, fait preuve de partialité en favorisant la candidature du maire sortant.
Au nom des mis en cause, M. Daniel St-Pierre explique, qu’à titre d’animateurs, son collègue Louis Deschênes et lui-même font du journalisme d’opinion.
Dans son guide de déontologie, le Conseil de presse note, au sujet du journalisme d’opinion que le commentaire, par définition, est un genre journalistique partial et que « Le journalisme d’opinion accorde aux professionnels de l’information une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue, commentaires, opinions, prises de position, critiques, ainsi que dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour ce faire. » (DERP, p. 17)
Les propos visés par le plaignant s’inscrivent effectivement dans la sphère du journalisme d’opinion, et le Conseil juge que l’animateur Daniel St-Pierre a usé de la latitude admise dans l’expression de ses points de vue, de ses jugements et de ses critiques. Le grief de partialité est rejeté à l’égard de ce mis en cause.
Cependant, comme Louis Deschênes s’était placé en conflit d’intérêts, ce qui fut déterminé au grief précédent, le Conseil considère qu’il s’agit ici d’un manquement au devoir de réserve de cet animateur plutôt qu’une faute de partialité. Le grief de manquement au devoir de réserve est retenu à l’égard de ce deuxième mis en cause.
Le grief pour partialité est rejeté, celui de manquement au devoir de réserve est retenu.
Grief 3 : manque d’équilibre
M. Bernard Côté déplore le fait qu’il n’ait pas été interviewé par les animateurs durant toute la campagne électorale. Il admet cependant qu’on lui a demandé une entrevue. « [Je n’ai] pas refusé [l’]entrevue [mais] demandé qu’on m’affirme avoir lu mon document […] c’était le seul moyen pour moi de ne pas être piégé en entrevue. » Ce document d’une vingtaine de pages, composé de notes manuscrites et de pièces obtenues par la loi sur l’accès aux documents des organismes publics, résume ses démarches auprès de la municipalité de Témiscouata-sur-le-Lac et dénonce ce qu’il estime être des irrégularités dans la gestion de la Ville.
M. Daniel St-Pierre affirme que le plaignant a refusé l’entrevue.
Le guide de déontologie en vigueur prévoit que « Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition. » (DERP, p. 26)
Le Conseil constate que les mis en cause ont invité le plaignant en entrevue et étaient en droit de refuser la condition exigée par M. Côté. Dans ces circonstances, le Conseil n’y voit aucune faute de manque d’équilibre.
Le grief pour manque d’équilibre est rejeté.
Grief 4 : diffamation
M. Bernard Côté estime que les propos des mis en cause sont diffamatoires.
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation et la diffamation ne sont pas considérées comme du ressort de la déontologie journalistique, mais qu’ils relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions en cette matière, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Bernard Côté contre l’animateur M. Louis Deschênes et la station Ciel FM 103, pour les griefs de conflit d’intérêts et de manquement au devoir de réserve, mais rejette le grief de manque d’équilibre. Par ailleurs, le Conseil rejette les griefs de conflit d’intérêts, de partialité et de manque d’équilibre à l’encontre de l’animateur, M. Daniel St-Pierre.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Audrey Murray
Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentants des journalistes :
M. Vincent Larouche
M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
M. David Johnston
M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C13A Partialité
- C17A Diffamation
- C22F Liens personnels