Plaignant
M. Roger Martel
Mis en cause
Mme Mylène Moisan, chroniqueuse, M. Pierre-Paul Noreau, éditeur adjoint et le quotidien Le Soleil
Résumé de la plainte
M. Roger Martel dépose une plainte le 6 janvier 2014 contre la chroniqueuse Mylène Moisan et Le Soleil concernant une chronique intitulée « En face, c’est Lévis, il n’y a rien… », publiée le 31 juillet 2013. Le plaignant dénonce des informations inexactes, une modification injustifiée apportée à une lettre ouverte, la publication injustifiée d’une lettre d’opinion, une information incomplète, le refus d’un droit de réponse à une lettre ouverte et une atteinte à sa réputation.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Selon M. Martel, le texte de Mme Moisan sur l’histoire de Lévis comporte cinq informations inexactes.
Avant d’examiner chacun des points soulevés par le plaignant, le Conseil tient à préciser qu’il examinera la plainte en tenant compte de l’angle de traitement particulier qu’a choisi la chroniqueuse. Mme Moisan brosse le portrait de Mme Claudia Mendéz Ishii en relatant son parcours, notamment à travers son arrivée au Québec, son retour au Chili, la rencontre avec son conjoint, son retour aux études, son intérêt pour l’histoire de Lévis et le démarrage de son entreprise en tourisme. Ce type de traitement met en lumière la vision et les opinions de la personne qui en est le sujet et ne vise pas à vérifier chacun des éléments avancés par son interlocuteur. Cependant, il doit clairement faire une distinction entre ce qui est un fait et ce qui relève de l’opinion du sujet. Ainsi, dans son analyse, le Conseil ne déterminera pas si les éléments allégués par le plaignant sont exacts ou non, mais examinera si la journaliste a clairement indiqué, le cas échéant, qu’il s’agissait de l’opinion de Mme Mendéz Ishii.
Selon M. Martel, les deux premières erreurs auraient été commises dans les phrases suivantes : « La Terrasse n’avait pas d’histoire. Personne ne s’était jamais demandé comment elle est arrivée là » et « Quand elle a fini son cours en tourisme, il n’y avait personne qui faisait des visites touristiques de Lévis ».
Dans le premier cas, le plaignant soutient que l’affirmation laisse croire aux lecteurs que personne n’avait encore écrit l’histoire de la Terrasse du Chevalier-de-Lévis au moment où Mme Mendéz Ishii songeait à la faire visiter. Il rapporte qu’un article a été publié en 1987 dans la revue de la Société d’histoire régionale de Lévis sur le sujet.
Dans le deuxième cas, le plaignant soutient qu’en 2006, deux personnes proposaient des visites du Vieux-Lévis à la chandelle et précise que ces visites existent depuis 2000.
Selon Me Patrick Bourbeau du bureau des affaires juridiques de Gesca, la première affirmation est une figure de style et elle reflète les propos de Mme Mendéz Ishii. « Il est clair pour le lecteur moyen qu’il s’agit de l’opinion de Mme Mendéz Ishii selon laquelle l’histoire de la Terrasse était, pour le grand public, tombée dans l’oubli. Qu’un article au sujet de l’histoire de la Terrasse ait été publié il y a plus de 25 ans dans une obscure publication d’une société d’histoire régionale qui n’est peu ou pas lue par le commun des mortels ne change absolument rien au sens général des propos de Mme Mendéz Ishii. »
Quant aux visites guidées auxquelles réfèrent le plaignant, Me Bourbeau indique que celles-ci ont débuté environ au même moment que celles initiées par Mme Mendéz Ishii. Il soutient qu’il était donc exact pour Mme Mendéz Ishii d’affirmer qu’il n’en existait pas au moment où elle a fini son cours de tourisme.
En ce qui concerne ces deux affirmations, le Conseil considère que Mme Moisan devait préciser qu’il s’agissait de l’opinion de Mme Mendéz Ishii en ayant recours, par exemple, aux guillemets, au conditionnel ou à une formulation telle que « Selon Mme Mendéz Ishii… ». En ne le faisant pas, elle induit une inexactitude chez le lecteur en lui laissant croire que l’opinion de Mme Mendéz Ishii est un fait avéré. Par ailleurs, selon les vérifications du Conseil, les deux affirmations, « Personne ne s’était jamais demandé comment elle [la Terrasse] est arrivée là » et « [qu’]il n’y avait personne qui faisait des visites touristiques de Lévis », sont fausses puisqu’un article sur l’histoire de la Terrasse a été publié en 1987 dans la revue de la Société d’histoire régionale de Lévis et que des visites guidées étaient offertes depuis 2000.
Le grief est retenu sur ces deux points.
Le plaignant soutient par ailleurs qu’au cours de ses recherches, Mme Mendéz Ishii aurait dû trouver un article publié en 1987 dans la revue de la Société d’histoire régionale de Lévis. Il ajoute que d’autres renseignements auraient pu être trouvés dans de vieux journaux et dans un dossier de documents papier. À son avis, il est faux d’affirmer comme le fait la journaliste que : « Claudia [Mendéz Ishii] est allée à la Société d’histoire régionale de Lévis, rien. »
Me Bourbeau affirme que cet élément est véridique et que Mme Mendéz Ishii n’a rien trouvé. Il ajoute : « Il se peut qu’elle ait mal fait sa recherche, mais elle n’a rien trouvé. »
Le Conseil estime que l’emploi du mot « rien » est une ellipse de « elle n’a rien trouvé ». Le résultat des recherches de Mme Mendéz Ishii est un fait que la chroniqueuse a présenté comme tel.
Le grief est rejeté sur ce point.
La quatrième information qui serait inexacte selon le plaignant concerne le passage suivant : « Il y a maintenant un panneau explicatif et plein d’informations pour qui se donne la peine de les lire. Grâce à une Québécoise d’adoption ». Il soutient que les informations sur ce panneau ne sont pas inédites. Il précise que ce panneau a été installé par la Commission de la capitale nationale du Québec, la Ville de Lévis et la Caisse Desjardins de Lévis.
Me Bourbeau réplique que la chroniqueuse ne laisse aucunement entendre que le panneau a été installé par Mme Mendéz Ishii, mais plutôt que son installation est due en grande partie à ses démarches de sensibilisation.
Les recherches du Conseil ont permis de constater que le panneau d’interprétation mentionne d’entrée de jeu : « Une recherche effectuée par Claudia Mendéz et publiée par la Société d’histoire régionale de Lévis a permis de mieux connaître l’histoire de la terrasse du Chevalier-de-Lévis. » Le Conseil juge qu’il s’agit d’un fait et que la journaliste ne commet pas d’inexactitude.
Le grief est rejeté sur ce point.
Selon le plaignant, la journaliste introduit une cinquième inexactitude lorsqu’elle écrit : « C’est elle aussi qui a retracé la cage de la Corriveau […] ». Il fait valoir qu’au moment de la publication de la chronique, la cage n’avait été ni datée ni authentifiée.
Me Bourbeau note que même si l’artefact n’avait pas été authentifié au moment de la parution de la chronique, il était généralement reconnu qu’il s’agissait de la cage de la Corriveau et c’est de cette manière que la découverte a été relayée dans les médias.
Le Conseil est d’avis que l’objet de cet élément d’information n’est pas de déterminer s’il s’agit bien de la cage de la Corriveau, mais plutôt de rapporter que la découverte est le fruit d’une recherche de Mme Mendéz Ishii. Il s’agit d’un fait et la journaliste le présente de cette manière.
Le grief sur ce point est rejeté.
En considération des éléments ci-haut mentionnés, le Conseil retient le grief pour informations inexactes pour deux des cinq points soulevés, soit l’intérêt voué à l’histoire de la Terrasse et l’offre touristique au moment où Mme Mendéz Ishii a terminé ses études.
Grief 2 : modification injustifiée d’une lettre provenant d’un lecteur
Le plaignant dénonce le fait que Le Soleil ait publié une version modifiée de la lettre dans laquelle il réagissait à la chronique de Mme Moisan. Il estime que les modifications ont affaibli son argumentation. Il note qu’il n’a pas été informé de l’intention du journal d’apporter des changements à sa lettre et il déplore que les lecteurs n’en aient pas été avisés.
Me Bourbeau considère que « c’est à bon droit que Le Soleil a effectué des modifications mineures à la réplique du plaignant afin d’en alléger le contenu et de le rendre plus clair pour les lecteurs ». Il note que les modifications n’en ont pas modifié le sens ou diminué la portée. Il rappelle que cette prérogative fait partie de la liberté rédactionnelle des médias. Il soutient que le plaignant a été avisé que des changements seraient apportés.
Dans ses commentaires, le plaignant déplore que les passages retranchés dans sa lettre n’aient pas été remplacés par des points de suspension entre crochets, ce qui aurait permis d’informer les lecteurs des « interventions extérieures » faites au texte publié. Il regrette également qu’on ait retranché le passage où il signale que Mme Mendéz Ishii n’a pas inclus un écrit de M. Marcel Léveillé dans sa liste des documents consultés. Il regrette qu’on ait retiré de son texte le nom de M. Claude Genest et son lien avec Mme Mendéz Ishii.
Dans son guide de déontologie, Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil souligne que « les journaux peuvent apporter des modifications aux lettres qu’ils publient […] pourvu qu’ils n’en changent pas le sens et qu’ils ne trahissent pas la pensée des auteurs. » (DERP, p. 38)
Le Conseil considère que les modifications apportées à la lettre du plaignant respectent l’esprit de ses propos. Les passages retirés comportaient des éléments personnels qui n’étaient pas essentiels à la compréhension de son argumentation.
Le grief est rejeté sur ce point.
Cependant, le Conseil juge que l’intégrité du texte devait être préservée. Ainsi, on ne peut pas laisser croire qu’une lettre est publiée dans son intégralité lorsqu’on en a coupé des passages. Il convient de le signaler de façon typographique. Comme l’indique le plaignant, l’utilisation des crochets et des points de suspension est une façon reconnue de le faire.
Le grief est retenu sur ce point.
Enfin, à la lecture d’un courriel joint à la plainte, le Conseil constate que l’éditeur adjoint et vice-président Information, Pierre-Paul Noreau, a prévenu le plaignant que Le Soleil publierait une version raccourcie de sa lettre.
Le grief est rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le Conseil retient le grief pour modification injustifiée d’une lettre provenant d’un lecteur sur un seul point, soit l’intégrité du texte par l’utilisation de crochets et de points de suspension.
Grief 3 : publication injustifiée d’une lettre d’opinion
Le plaignant dénonce que Le Soleil ait publié la réplique de M. Claude Genest, une personne dont il n’était « nullement » question dans sa lettre.
Le DERP rappelle que les médias doivent encourager « la libre circulation des idées et l’expression du plus grand nombre de points de vue, notamment par la publication de lettres provenant des lecteurs […].» (p. 37)
Le Conseil considère que la publication de la lettre de M. Genest s’inscrivait dans un débat public. La liberté rédactionnelle du quotidien lui permettait de choisir de publier cette lettre.
Le grief pour publication injustifiée d’une lettre d’opinion est rejeté.
Grief 4 : information incomplète
Le plaignant déplore qu’au moment de publier la réplique de M. Claude Genest, Le Soleil n’ait pas mentionné que ce dernier est le conjoint de Mme Mendéz Ishii, mise en cause dans la lettre du plaignant.
Dans la réplique intitulée « La rigueur historique », M. Genest se prononce « à titre d’historien lévisien ». En lisant son texte, le lecteur constate qu’il a une très bonne connaissance du dossier sur lequel il se prononce. Le Conseil estime qu’il n’était pas nécessaire de préciser la nature de ses liens avec Mme Mendéz Ishii. Il lui appartenait d’en faire état ou non puisque cela relève de sa vie privée.
Le grief pour information incomplète est rejeté.
Grief 5 : refus d’un droit de réponse à la lettre d’un lecteur
Le plaignant conteste le fait que le quotidien ait refusé de publier sa lettre rédigée en réponse à celle de M. Genest. Il soutient que celui-ci a commis « une grave inexactitude » en soutenant que Mme Mendéz Ishii a enrichi le bagage des connaissances sur Lévis d’éléments qualifiés d’inédits et de substantiels.
Me Bourbeau note que le public n’a pas accès de plein droit aux pages des médias écrits et que ceux-ci peuvent refuser de publier certaines lettres. Il ajoute que la publication d’une deuxième réplique n’était d’aucun intérêt pour les lecteurs puisqu’il s’agissait d’un débat qui n’intéressait qu’une poignée d’historiens.
Dans un courriel envoyé au plaignant le 15 août 2013, M. Noreau précise qu’il respectera la ligne de conduite du Soleil, c’est-à-dire de « travailler pour l’intérêt général de l’ensemble de ses lecteurs et refuser de se laisser entraîner dans des querelles pointues de spécialistes ». Il ajoute que dans ce cas, le cœur du litige, consistant à déterminer si Mme Mendéz Ishii a apporté ou non quelque chose de substantiel, n’intéresse qu’une « infime portion » des lecteurs.
Le Conseil reconnaît que Le Soleil est un média généraliste et non un média spécialisé en histoire, et qu’il pouvait décider de mettre un terme à un débat opposant des historiens sur une question pointue.
Le Conseil rejette le grief pour refus d’un droit de réponse à la lettre d’un lecteur.
Grief 6 : atteinte à la réputation
Le plaignant considère que le refus du Soleil à ne pas publier un droit de réplique à la lettre de M. Genest a permis la publication d’inexactitude affaiblissant son argumentaire et entachant sa réputation.
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation et la diffamation ne sont pas considérées comme du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend donc pas de décisions à ce titre, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Roger Martel contre la chroniqueuse Mylène Moisan et le quotidien Le Soleil pour les griefs d’informations inexactes et de modification injustifiée d’une lettre provenant d’un lecteur. Cependant, il rejette les griefs de publication injustifiée d’une lettre d’opinion, d’information incomplète et de refus d’un droit de réponse.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger
Mme Micheline Rondeau-Parent
M. Alain Tremblay
Représentants des journalistes :
M. Denis Guénette
M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
M. Éric Latour
Mme Micheline Pepin
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C08B Modification des textes
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C17A Diffamation
Date de l’appel
25 March 2015
Appelant
Décision 2014-01-083A – Mme Mylène Moisan, chroniqueuse, M. Pierre-Paul Noreau, éditeur adjoint et le quotidien Le Soleil c. Roger Martel
Décision 2014-01-083B – Roger Martel c. Mme Mylène Moisan, chroniqueuse, M. Pierre-Paul Noreau, éditeur adjoint et le quotidien Le Soleil
Décision en appel
Veuillez prendre note que deux demandes d’appel ont été interjetées dans ce dossier. Vous y trouverez donc deux décisions rendues par la commission d’appel.
Décision 2014-01-083A
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DES APPELANTS
Les appelants contestent la décision de première instance relativement à deux griefs :
- Grief 1 : informations inexactes
- Grief 2 : modification injustifiée d’une lettre provenant d’un lecteur
Grief 1 : informations inexactes – Me Patrick Bourbeau, au nom des appelants, rappelle que tel qu’il est mentionné dans la décision de première instance, la chronique a pour thème principal le parcours de Mme Mendéz Ishii et que ce « type de traitement met en lumière la vision et les opinions de la personne qui en est le sujet et ne vise pas à vérifier chacun des éléments avancés par son interlocuteur ». De l’avis de Me Bourbeau, cet angle de traitement était aussi clair pour le lecteur et il devenait donc évident, et ce, sans que Mme Moisan n’ait à le préciser à chaque fois qu’un fait était avancé que Mme Mendéz Ishii était la source des énoncés factuels qui y étaient relatés.
Me Bourbeau souligne, de plus, que le Conseil a maintes fois rappelé que « la fonction de chroniqueur donne une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information ». Alors, le fait d’imposer à Mme Moisan l’obligation de préciser de nombreuses fois dans sa chronique qu’il s’agit de l’opinion de Mme Ishii reviendrait à restreindre cette latitude de manière arbitraire et déraisonnable tout en sous-estimant la capacité de compréhension du lecteur moyen.
Selon l’intimé, M. Roger Martel, les journalistes doivent satisfaire à l’exigence de rigueur intellectuelle. M. Martel réfute l’argument voulant que le fait d’imposer à la journaliste l’obligation de préciser de nombreuses fois dans sa chronique qu’il s’agit de l’opinion de Mme Ishii restreigne la latitude accordée à la journaliste. L’intimé souligne qu’il existe plusieurs façons de présenter l’information provenant d’une source. Il donne en exemple que la journaliste aurait pu présenter les propos de Mme Ishii aussi simplement que par : « Madame Mendéz dit aussi avoir retracé la cage de La Corriveau ».
Les membres du comité de première instance retenaient le grief d’informations inexactes sur deux des cinq inexactitudes soulevées et concluaient au paragraphe [9] : « Mme Moisan devait préciser qu’il s’agissait de l’opinion de Mme Mendéz Ishii en ayant recours, par exemple, aux guillemets, au conditionnel ou à une formulation telle que « Selon Mme Mendéz Ishii… ». En ne le faisant pas, elle induit une inexactitude chez le lecteur en lui laissant croire que l’opinion de Mme Mendéz Ishii est un fait avéré. Par ailleurs, selon les vérifications du Conseil, les deux affirmations, « Personne ne s’était jamais demandé comment elle [la Terrasse] est arrivée là » et « [qu’]il n’y avait personne qui faisait des visites touristiques de Lévis », sont fausses puisqu’un article sur l’histoire de la Terrasse a été publié en 1987 dans la revue de la Société d’histoire régionale de Lévis et que des visites guidées étaient offertes depuis 2000. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement les principes déontologiques relatifs à l’exactitude de l’information et au journalisme d’opinion, genre dans lequel s’inscrit la journaliste. Les membres soulignent que compte tenu du style de l’article (reportage-portrait), lorsque les propos d’un invité sont cités, il n’y a pas d’obligation pour le média de vérifier l’exactitude de ces propos. Cependant, si les propos rapportés ne sont pas une citation, alors il y a obligation d’exactitude.
Grief 2 : modification injustifiée d’une lettre provenant d’un lecteur – Selon l’appelant, le fait que Le Soleil n’ait pas indiqué que la lettre du plaignant avait été modifiée pour publication par l’utilisation de crochets et de points de suspension, ne trouve aucune justification dans le guide des Droits et responsabilités de la presse ainsi que dans la jurisprudence du Conseil. Me Bourbeau mentionne que le guide indique que « Les journaux peuvent apporter des modifications aux lettres qu’ils publient (titres, rédaction, corrections) pourvu qu’ils n’en changent pas le sens et qu’ils ne trahissent pas la pensée des auteurs. » Nulle part, ajoute-t-il, il n’est fait mention d’une obligation d’indiquer au lecteur que des modifications ont été effectuées. À sa connaissance, il n’existe pas non plus de décision du Conseil faisant état d’une telle obligation. Par ailleurs, une telle obligation est loin d’être pratique si elle n’est pas appliquée de manière uniforme par l’ensemble des médias et pourrait avoir un impact non négligeable sur la lisibilité de certains textes qui se trouveraient alourdis par la présence de nombreux crochets ou pointillés.
L’intimé réplique qu’habituellement le journal au lieu de modifier une lettre considérablement, demande à son auteur de la retravailler et c’est probablement à cause de cette pratique qu’on ne voit pratiquement jamais de lettres comprenant de nombreuses modifications. Quoi qu’il en soit, M. Martel souligne que ce ne sont pas quelques signes de plus dans une lettre qui vont en réduire la facilité de compréhension. Par ailleurs, ajoute-t-il, ne vaut-il pas mieux avoir un texte très clair plutôt qu’un texte ambigu, équivoque, problématique, trompeur?
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [30] : « […], le Conseil juge que l’intégrité du texte devait être préservée. Ainsi, on ne peut pas laisser croire qu’une lettre est publiée dans son intégralité lorsqu’on en a coupé des passages. Il convient de le signaler de façon typographique. Comme l’indique le plaignant, l’utilisation des crochets et des points de suspension est une façon reconnue de le faire. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement le DERP et plus particulièrement l’extrait suivant : « La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes représentent la garantie d’une information de qualité. Elle ne signifie aucunement sévérité ou austérité, restriction, censure, conformisme ou absence d’imagination. Elle est plutôt synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, de respect des personnes et des groupes, des faits et des événements. » (DERP, p. 21) Ce principe s’applique davantage que ceux invoqués dans la décision de première instance.
Les membres de la commission considèrent que, dans le présent cas, le devoir d’exactitude impliquait d’indiquer aux lecteurs toutes modifications à un texte soumis par un citoyen pour publication afin de bien faire comprendre qu’il ne s’agit pas du texte intégral. Les membres estiment que les mis en cause auraient pu utiliser les crochets, les points de suspension ou tout autre moyen indiquant que le texte a été modifié.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 8.2 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 8. 2)
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Hélène Deslauriers
M. Pierre Thibault
Représentants des journalistes :
M. Daniel Renaud
M. Jean Sawyer
Représentant des entreprises de presse :
M. Denis Bélisle
Décision 2014-01-083B
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement à quatre griefs :
- Grief 1 : informations inexactes
- Grief 2 : modification injustifiée d’une lettre provenant d’un lecteur
- Grief 4 : information incomplète
- Grief 5 : refus d’un droit de réponse à la lettre d’un lecteur
Grief 1 : informations inexactes – L’appelant considère que les trois points rejetés par le comité des plaintes, à son encontre, auraient dû être retenus. M. Martel réfute la conclusion du comité des plaintes voulant que le mot « rien » est une ellipse de « elle n’a rien trouvé », dans la phrase : « Claudia [Mendéz Ishii] est allée à la Société d’histoire de Lévis, rien ». À son avis, il faut plutôt penser que la journaliste en écrivant « rien », veut dire que la Société d’histoire de Lévis et l’Hôtel de Ville de Lévis ne possédaient pas de documents sur la Terrasse puisque la journaliste mentionne, tout de suite après, dans l’article, que Mme Ishii avait trouvé un document sur la Terrasse.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [13] : « Le Conseil estime que l’emploi du mot « rien » est une ellipse de « elle n’a rien trouvé ». Le résultat des recherches de Mme Mendéz Ishii est un fait que la chroniqueuse a présenté comme tel. »
Au deuxième point soulevé, l’appelant estime que la journaliste avait tort d’affirmer que c’est « grâce à une Québécoise d’adoption » qu’il y a aujourd’hui un panneau d’interprétation sur la Terrasse. M. Martel considère que la journaliste n’avait pas toutes les connaissances requises pour faire une telle affirmation et que le comité des plaintes a eu tort d’accepter comme des vérités toutes les affirmations écrites sur le panneau d’interprétation installé sur la Terrasse.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [17] : « Les recherches du Conseil ont permis de constater que le panneau d’interprétation mentionne d’entrée de jeu : « Une recherche effectuée par Claudia Mendéz et publiée par la Société d’histoire régionale de Lévis a permis de mieux connaître l’histoire de la terrasse du Chevalier-de-Lévis. » Le Conseil juge qu’il s’agit d’un fait et que la journaliste ne commet pas d’inexactitude. »
Au troisième point soulevé, l’appelant estime que le comité des plaintes n’aurait pas dû écrire que la « découverte » de Mme Ishii « est le fruit d’une recherche » de cette dernière, car cela laisse sous-entendre que la recherche de Mme Ishii avait pour objet la cage de la Corriveau, ce qui n’est pas le cas. Mme Ishii cherchait autre chose quand elle a trouvé, par hasard, une ou des images d’une cage.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [21] : « Le Conseil est d’avis que l’objet de cet élément d’information n’est pas de déterminer s’il s’agit bien de la cage de la Corriveau, mais plutôt de rapporter que la découverte est le fruit d’une recherche de Mme Mendéz Ishii. Il s’agit d’un fait et la journaliste le présente de cette manière. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement le principe déontologique de l’information inexacte.
Grief 2 : modification injustifiée d’une lettre provenant d’un lecteur – Selon l’appelant, il n’appartient qu’à l’auteur d’un texte d’apporter des modifications. Il considère que si Le Soleil l’avait invité à abréger sa lettre, il aurait acquiescé à leur demande, mais n’aurait pas fait les mêmes coupures. Il juge inacceptable que le journal ait apporté des modifications qui ne sont pas mineures, à sa lettre, sans qu’il ait pu les voir, avant publication.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [28] : « Le Conseil considère que les modifications apportées à la lettre du plaignant respectent l’esprit de ses propos. Les passages retirés comportaient des éléments personnels qui n’étaient pas essentiels à la compréhension de son argumentation. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement le principe déontologique relatif aux contributions du public : « Les journaux peuvent apporter des modifications aux lettres qu’ils publient […] pourvu qu’ils n’en changent pas le sens et qu’ils ne trahissent pas la pensée des auteurs. » (DERP, p. 38)
Grief 4 : information incomplète – Selon l’appelant, il était important, lors de la publication de la lettre de M. Genest, qu’il soit indiqué que ce dernier est le conjoint de Mme Ishii. À son avis, il n’est pas sérieux de penser que l’impartialité de M. Genest ne saurait être mise en doute parce que ce serait à titre d’historien qu’il prend la défense de sa femme.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [40] : « Dans la réplique intitulée « La rigueur historique », M. Genest se prononce « à titre d’historien lévisien ». En lisant son texte, le lecteur constate qu’il a une très bonne connaissance du dossier sur lequel il se prononce. Le Conseil estime qu’il n’était pas nécessaire de préciser la nature de ses liens avec Mme Mendéz Ishii. Il lui appartenait d’en faire état ou non puisque cela relève de sa vie privée.»
Les membres de la commission d’appel concluent, à la majorité (4/5), que le comité de première instance a mal appliqué le principe déontologique de l’information incomplète. Les membres considèrent que, dans le présent cas, il était essentiel d’informer le public du lien personnel entre M. Genest et Mme Ishii.
Grief 5 : refus d’un droit de réponse à la lettre d’un lecteur – Selon l’appelant, dans une lettre de lecteur, l’auteur M. Genest, a induit les lecteurs en erreur en soutenant que l’on doit à Mme Ishii des éléments d’information inédits et substantiels. C’est d’ailleurs dans ce but que l’appelant désirait répliquer aux propos de la lettre de M. Genest. De plus, il se dit en désaccord avec la conclusion du comité des plaintes voulant que Le Soleil ne soit pas un média spécialisé en histoire et qu’il était libre de mettre un terme au débat opposant des historiens sur une question pointue. À son avis, la question n’intéresse pas que des historiens et ne portait pas sur une question pointue, il s’agissait de déterminer si les informations données par Mme Ishii étaient inédites.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [45] : « Le Conseil reconnaît que Le Soleil est un média généraliste et non un média spécialisé en histoire, et qu’il pouvait décider de mettre un terme à un débat opposant des historiens sur une question pointue. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement le principe déontologique relatif aux contributions du public : « Le public n’a pas accès de plein droit aux pages des médias écrits […]. (DERP, p. 37) Cependant, « Les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable face à l’information qu’ils ont publiée ou diffusée.» (DERP, p. 38)
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel, à la majorité (4/5), renverse le grief d’information incomplète. Cependant, les membres ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance sur les griefs d’informations inexactes, de modification injustifiée d’une lettre provenant d’un lecteur et de refus d’un droit de réponse à la lettre d’un lecteur.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est retenue sur un point et le dossier cité en titre est fermé.
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Hélène Deslauriers
M. Pierre Thibault
Représentants des journalistes :
M. Daniel Renaud
M. Jean Sawyer
Représentant des entreprises de presse :
M. Denis Bélisle