Plaignant
Bureau d’aide juridique de Sherbrooke, section jeunesse et Me Geneviève Lafontaine
Mis en cause
M. Stéphane Tremblay, journaliste, Mme Christine Lepage, directrice de l’information et la station CIMT-TVA, Rivière-du-Loup
Résumé de la plainte
Me Geneviève Lafontaine du Bureau d’aide juridique de Sherbrooke, section jeunesse, dépose une plainte le 3 février 2014 contre le journaliste Stéphane Tremblay et la station CIMT-TVA Rivière-du-Loup concernant un reportage diffusé le 16 janvier 2014, sous le titre « Exclusif : Un mouvement religieux… particulier ». La plaignante reproche au journaliste une atteinte au droit à la protection d’une personne mineure, ainsi que sa partialité et son manque d’équilibre.
Le reportage porte sur l’inquiétude d’une mère au sujet de ses fils, confiés par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) à leur grand-mère. Cette dernière les obligerait à fréquenter un mouvement religieux aux pratiques douteuses. Dans le reportage, un des fils, âgé de 15 ans, dit voir « des esprits » et des « démons ».
Analyse
Grief 1 : atteinte au droit à la protection d’une personne mineure
Me Geneviève Lafontaine reproche au journaliste : a) d’avoir permis de dévoiler l’identité de l’adolescent, ce qui est contraire à la Loi sur la protection de la jeunesse; b) d’avoir diffusé les propos de l’adolescent sans son consentement.
a) Dévoilement de l’identité
La plaignante soutient que malgré le fait que l’enregistrement ne montre que la silhouette et la voix du jeune homme, il est possible de l’identifier, à plus forte raison dans un milieu à faible densité de population comme le sien.
Selon Christine Lepage, directrice de l’information de CIMT-TVA, il était impossible pour le public de reconnaître l’adolescent.
Après avoir visionné le reportage, le Conseil est d’avis que les mesures prises par les mis en cause sont suffisantes pour empêcher le dévoilement de l’identité du jeune homme aux yeux du grand public.
Le grief est rejeté sur ce point.
b) Diffusion sans consentement
Selon les informations fournies initialement par Me Lafontaine, la mère du jeune garçon aurait enregistré une conversation entre elle et son fils et en aurait fourni des extraits au journaliste. Le jeune homme aurait ensuite pris contact avec le journaliste, pour lui signifier qu’il ne désirait pas la diffusion de ses propos.
Interrogée par le Conseil, Me Lafontaine a apporté les précisions suivantes à son exposé des faits : d’une part, l’enregistrement réalisé par la mère n’a pas été fait à l’insu de son fils et d’autre part, la mère et le fils se sont rendus ensemble à la station de télévision.
La plaignante a de plus informé le Conseil que le directeur de la protection de la jeunesse de l’Estrie, Alain Trudel, a contacté le journaliste avant la diffusion, pour s’opposer à la publication des propos de l’adolescent.
Mme Christine Lepage, directrice de l’information de CIMT-TVA, réfute l’allégation voulant que la mère ait remis un enregistrement audio au journaliste. Selon elle, l’entrevue a été réalisée par le journaliste avec l’adolescent dans les studios de la station et les extraits diffusés proviennent de cet enregistrement. L’adolescent s’est ensuite opposé à la diffusion du reportage. Le choix de CIMT-TVA de le diffuser malgré cela a été motivé par le consentement initial du jeune homme et l’intérêt public du sujet.
Dans une situation qui menace la sécurité ou le développement de personnes mineures, et afin de ne pas compromettre leurs chances de réinsertion sociale et familiale, le Conseil rappelle, dans son guide Droits et responsabilités de la presse (DERP), que la déontologie journalistique implique le « respect de balises particulières lors de la collecte, du traitement et de la diffusion d’informations concernant les mineurs ». (DERP, p. 43) L’obtention d’un consentement valide, libre et éclairé pour la diffusion des propos de personnes mineures fait certainement partie des balises à respecter.
Cependant, l’intérêt public du sujet traité a aussi son poids dans la décision de diffuser. Les médias et les journalistes doivent donc soupeser et mettre en équilibre leur devoir d’informer et la protection des personnes mineures. Quelle que soit leur décision, ils « doivent faire preuve de circonspection, de retenue et de respect envers les personnes en cause » et éviter de leur causer du tort inutilement. (DERP, p. 44)
Devant le retrait du consentement du jeune, les mis en cause devaient apprécier le tort potentiel qui lui serait causé par la diffusion du reportage, tout en tenant compte de l’intérêt public de l’information rapportée.
Le reportage amène sur la place publique un questionnement quant au rôle joué par la DPJ dans la protection du bien-être et du développement d’un adolescent fréquentant un mouvement religieux douteux. Sa grand-mère, à qui la garde du jeune a été confiée par la DPJ, est elle-même adepte du mouvement et n’a peut-être pas le recul nécessaire pour évaluer la situation. Le Conseil est d’avis que ces faits, mis en lumière par le reportage, sont clairement d’intérêt public et que le témoignage de l’adolescent en constitue un élément essentiel.
Compte tenu des mesures prises par les mis en cause pour protéger l’identité du jeune homme, le Conseil estime, par une décision majoritaire (4/7), qu’il était justifié par l’intérêt public de diffuser son témoignage.
Le Conseil rejette le grief sur ce point.
Trois membres du comité (3/7) estiment cependant que les impacts négatifs de la diffusion du témoignage du jeune homme, notamment sur son milieu familial, l’emportaient sur l’intérêt public et que les mis en cause ont commis une faute déontologique en l’utilisant dans le reportage malgré son refus.
Au vu de ce qui précède, le grief pour atteinte au droit à la protection d’une personne mineure est rejeté.
Grief 2 : partialité et manque d’équilibre
La plaignante maintient que la mère de l’adolescent a enregistré une conversation avec son fils et qu’elle n’a fourni que des fragments de cet enregistrement au journaliste. Elle admet qu’il est possible qu’une entrevue ait été réalisée dans les studios de CIMT-TVA. Que le choix des extraits soit le fait de la mère ou du journaliste, Me Lafontaine a l’impression qu’« on retient ce qui fait notre affaire » dans le reportage présenté au public. Elle estime que celui-ci est partial, ne reflète pas de façon équilibrée la réalité et, par ce fait, trompe le public.
Le journaliste Stéphane Tremblay assure qu’il a réalisé des entrevues « de bout en bout », en studio, d’abord avec la mère puis avec le fils, et qu’il a fait lui-même la sélection des extraits intégrés au reportage.
Le Conseil note que « […] les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition ». (DERP, p. 26)
Dans le reportage, en plus des propos du jeune homme, ceux de sa mère et de son grand-père dépeignent une image peu rassurante du mouvement religieux fréquenté par l’adolescent et sa grand-mère. Le journaliste écrit, dans l’article qui accompagne la vidéo, qu’il n’a pas été en mesure d’obtenir un commentaire de la grand-mère et que la DPJ de l’Estrie a refusé de commenter le dossier.
À la lumière des informations qui précèdent, le Conseil évalue que le journaliste a déployé les efforts nécessaires pour traiter du sujet sans parti pris et de façon équilibrée.
Le grief pour partialité et manque d’équilibre est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Me Geneviève Lafontaine du Bureau d’aide juridique de Sherbrooke, section jeunesse, à l’encontre du journaliste Stéphane Tremblay et de la station CIMT-TVA Rivière-du-Loup, pour les griefs de dévoilement de l’identité d’une personne mineure, de partialité et de manque d’équilibre. Par ailleurs, le Conseil de presse rejette, à la majorité, le grief de diffusion sans consentement.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger
Mme Micheline Rondeau-Parent
M. Alain Tremblay
Représentants des journalistes :
M. Denis Guénette
M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
M. Éric Latour
Mme Micheline Pepin
Analyse de la décision
- C02F Création/retrait de rubriques/d’émissions
- C12A Manque d’équilibre
- C13A Partialité
- C16B Divulgation de l’identité/photo