Plaignant
M. Sylvain Choquette
Mis en cause
Mme Marie-Pier Cloutier, journaliste, M. Serge Fortin, vice-président, information, l’émission « J.E. » et le Groupe TVA
Résumé de la plainte
M. Sylvain Choquette dépose une plainte le 16 mai 2014, contre la journaliste Marie-Pier Cloutier et l’émission « J.E. », relativement à un reportage intitulé « Tricher, est-ce facile? », diffusé le 17 octobre 2014 à l’antenne de TVA. Le plaignant estime que la journaliste a eu recours de façon injustifiée à un procédé clandestin et a manqué de rigueur de raisonnement.
Le reportage visait à établir s’il était facile, pour un étudiant, de plagier ou d’utiliser divers moyens frauduleux pour améliorer sa performance dans les établissements collégiaux et universitaires au Québec. Le segment du reportage visé par la plainte relate l’expérience d’une journaliste qui s’est introduite dans la classe d’un cégep, lors d’un examen, dans le but de voir s’il est possible, pour un étudiant, de payer quelqu’un d’autre pour faire un examen à sa place.
Analyse
Grief 1 : recours injustifié à un procédé clandestin
Choquette déplore la méthode employée par Mme Cloutier, en raison de l’impact négatif qu’elle a produit : elle a « dérangé une classe complète ». Il émet par ailleurs un doute sur l’utilité de la démarche de la journaliste qui, selon lui, « n’allait rien prouver ».
Le Groupe TVA n’a pas répondu à la présente plainte.
Dans son guide de déontologie, Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil énonce : « Le recours à des procédés clandestins doit demeurer exceptionnel et doit se justifier par le fait qu’il n’existe aucun autre moyen d’obtenir les informations recherchées. Les médias et les journalistes doivent par conséquent faire preuve de prudence et de discernement dans le recours à de tels procédés. Ils doivent également en informer le public lors de la diffusion des résultats de leur enquête. Les médias et les journalistes doivent éviter l’utilisation abusive des procédés clandestins […] De tels abus ont non seulement pour conséquence de banaliser la pratique du véritable journalisme d’enquête, mais ils portent également atteinte à la crédibilité des médias et des journalistes ainsi qu’à la crédibilité des informations livrées au public par la suite de telles enquêtes.» (pp. 26-27)
Dans le reportage, la journaliste informe les téléspectateurs de la méthode utilisée : s’introduire clandestinement dans une classe de cégep en période d’évaluation, et tenter de faire un examen. Elle explique également l’objectif poursuivi : « voir si un élève peut payer une autre personne pour le faire [l’examen] à sa place ».
Les images prises par une caméra cachée montrent que la journaliste reçoit une copie d’examen sans avoir à s’identifier. Mme Cloutier explique ensuite qu’elle a été repérée par la professeure lorsqu’elle a remis sa copie qu’elle avait identifiée de son véritable nom. Elle conclut : « Tout compte fait, si une étudiante de la classe m’avait donné son nom et par le fait même, son numéro de groupe, personne ne se serait douté de quoi que ce soit. »
Le reportage montre enfin la réaction négative de la professeure, recueillie par vidéo après que la journaliste se soit identifiée. On entend l’enseignante déplorer la méthode frauduleuse de la journaliste et appeler la sécurité.
L’enseignante a affirmé au Conseil avoir réagi, à la remise de la copie d’examen de la journaliste, parce que le visage de cette dernière lui était inconnu, et non parce qu’elle ne reconnaissait pas le nom inscrit sur le cahier.
Le plaignant évalue que la méthode choisie par la journaliste n’était pas utile et ne pouvait rien prouver. Le Conseil abonde dans le même sens et estime qu’étant donné l’objectif poursuivi par la journaliste, d’établir s’il est possible de faire un examen à la place d’un étudiant, elle ne s’est pas donné les moyens de prouver cette hypothèse. Lorsqu’ils ont recours à un procédé clandestin, les journalistes doivent faire preuve de prudence et de discernement en concevant et en appliquant une méthode permettant de recueillir la preuve de ce qu’ils entendent démontrer. Ce qui n’est assurément pas le cas ici. Le Conseil est plutôt d’avis que la méthode choisie par la journaliste était bâclée et ne permettait pas de recueillir l’information recherchée. Le comportement de la journaliste banalisait la pratique du journalisme d’enquête et discrédite les médias et les journalistes aux yeux du public.
Le grief de recours injustifié à un procédé clandestin est donc retenu.
Grief 2 : manque de rigueur de raisonnement
M. Sylvain Choquette explique qu’après avoir visionné le reportage, il a constaté que la conclusion de la journaliste n’était pas fondée. « Si elle voulait effectivement prouver qu’elle pouvait prendre la place d’une étudiante, elle n’avait qu’à tenter de le faire… et ce n’est pas ce qu’elle a fait. » Le plaignant estime que même si la professeure n’avait pas démasqué la journaliste à sa sortie, celle-ci « aurait seulement pu conclure que son examen avait été reçu par la professeure, car en fait, rien ne dit que la professeure n’aurait pas rejeté le papier par la suite ».
Le guide DERP stipule que : « Les professionnels de l’information qui signent des analyses, des dossiers, ou qui sont responsables d’émissions d’affaires publiques, doivent respecter scrupuleusement les faits, les événements, les situations et les questions sur lesquels ils portent leur attention. Ils sont soumis aux mêmes exigences de rigueur, d’exactitude et d’impartialité dans leur analyse et leur traitement des sujets que pour tout autre genre journalistique.» (p. 26)
Dans le reportage, la journaliste conclut : « Tout compte fait, si une étudiante de la classe m’avait donné son nom et par le fait même, son numéro de groupe, personne ne se serait douté de quoi que ce soit. »
Le Conseil constate que la copie d’examen de Mme Marie-Pier Cloutier n’a pas suivi la filière normale et que la journaliste n’appuie pas son affirmation sur la réalité concrète résultant de sa démarche journalistique, mais sur des hypothèses. Des hypothèses d’ailleurs en contradiction avec les faits rapportés par la professeure, qui dit avoir réagi lorsqu’elle n’a pas reconnu le visage de Mme Cloutier et non en lisant son nom sur sa copie d’examen. Faire dire aux faits ce qu’ils ne contiennent pas constitue une erreur de raisonnement que tout média d’information respectueux de la déontologie doit éviter.
Le grief pour manque de rigueur de raisonnement est donc retenu.
Refus de collaborer
Le Groupe TVA n’a pas répondu à la présente plainte.
Le Conseil reproche au Groupe TVA son manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte le concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Sylvain Choquette contre la journaliste Marie-Pier Cloutier et l’émission « J.E. » du Groupe TVA, pour les griefs de recours injustifié à un procédé clandestin et de manque de rigueur de raisonnement.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme le Groupe TVA.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 8.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger
M. Adélard Guillemette
Mme Jackie Tremblay
Représentants des journalistes :
Mme Katerine Belley-Murray
M. Marc-André Sabourin
Représentant des entreprises de presse :
M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C15A Manque de rigueur
- C23E Enregistrement clandestin
- C24A Manque de collaboration