Plaignant
M. Charles Vaillancourt
Mis en cause
M. Serge Fortin, vice-président, information, l’émission « J’ai une question, Monsieur le maire » et le Groupe TVA-LCN
Résumé de la plainte
M. Charles Vaillancourt dépose une plainte le 25 juin 2014 contre la chaîne d’information en continu LCN, relativement à l’annonce de la mise en ondes, à l’automne 2014, de l’émission : « J’ai une question, Monsieur le maire ». Le plaignant considère que le concept même de l’émission est de nature à engendrer un manque d’équilibre qui induit un traitement partial de l’information.
L’émission hebdomadaire de 30 minutes est diffusée depuis septembre 2014 à LCN.
Le Groupe TVA-LCN n’a pas répondu à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : manque d’équilibre
M. Charles Vaillancourt estime que le concept de l’émission, qui offre une tribune au maire de Montréal, Denis Coderre, sans offrir la contrepartie aux autres élus de la Ville, présentera un sérieux problème d’équilibre en ne reflétant pas équitablement les divers points de vue sur les sujets abordés. « Une chaîne d’information se doit d’être au service du public et pour ce faire elle se doit d’exposer les deux côtés d’une médaille », fait-il valoir. L’arrivée de cette émission à l’antenne de LCN est une menace à la démocratie, ajoute-t-il.
Le plaignant maintient que la participation de M. Coderre implique forcément qu’il ait « négocié » sa participation à l’émission, laquelle aurait été conçue à son avantage. Une animation complaisante serait ainsi favorisée. Les situations embarrassantes pour le maire seraient alors évitées et les questions au coeur des préoccupations de la population seraient occultées.
Dans son guide de déontologie Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil de presse mentionne que « quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition.» (p. 26)
Le concept
Avant d’analyser le concept de l’émission, le Conseil précise que l’affirmation selon laquelle M. Coderre aurait « négocié » sa participation à cette émission est une allégation que le plaignant ne démontre pas. Par ailleurs, le simple fait que le maire ou son représentant ait possiblement négocié les modalités de l’émission ne signifie pas que le résultat de cette « négociation » ne respecte pas les principes déontologiques journalistiques que devait respecter le mis en cause.
Le Conseil retient pour son analyse le concept de l’émission tel que décrit dans un article publié sur le site du Journal de Montréal, le 24 juin 2014. Selon la description qui en est faite, l’émission est centrée sur les questions de citoyens, auxquelles le maire de Montréal, présent en studio aux côtés d’un chef d’antenne, est invité à répondre. Le chef d’antenne anime l’émission, transmet les interrogations du public et formule également des questions de son cru, inspirées de l’actualité de la semaine. Les questions ne sont pas portées à la connaissance de M. Coderre avant l’émission, assure-t-on.
Le Conseil juge que conceptuellement, ce type d’émission peut donner lieu à un traitement déséquilibré de l’information en ce qu’il offre une tribune exclusive à M. Coderre, dont le seul point de vue sera entendu en réponse aux questions du public. Bien que l’exercice d’interaction directe du maire avec la population ne soit pas dépourvu d’intérêt, la formule choisie n’offre pas, a priori, l’expression d’une pluralité suffisante de points de vue, notamment sur des questions controversées auxquelles les élus des partis d’opposition pourraient apporter un éclairage différent, eux qui jouent également un rôle sur ces plans.
Le Conseil précise qu’il entend, par un traitement équilibré, non pas un accès égal, mais proportionnel à l’importance des partis en présence. En ce sens, le traitement journalistique doit être fait dans un esprit d’équité et de justice.
Par ailleurs, l’équilibre d’un traitement journalistique ne se mesure « pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. [Il doit être évalué] de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public ». (DERP, p. 22)
Le manque d’équilibre susceptible de découler de la formule de l’émission peut également conduire à un traitement biaisé de l’information ou, à tout le moins, à une apparence de partialité. Un parti pris, qu’il soit véritable ou apparent, est néfaste pour la crédibilité d’un média et la confiance qui lui est accordée par le public.
Examen de deux éditions
Pour vérifier les effets de la formule choisie, le Conseil analyse la présente plainte à la lumière des émissions du 28 novembre et du 5 décembre 2014.
Le Conseil constate que le chef d’antenne et animateur, M. Jean-François Guérin, en plus de soumettre les interrogations de citoyens au maire, pose à l’occasion des questions de son cru, en tentant de refléter la position des autres partis politiques municipaux. De plus, le chef d’antenne produit des micros-trottoirs et des reportages donnant la parole à des citoyens. M. Coderre est invité à réagir à ces documents vidéo au cours de l’émission.
Aux questions acheminées par les citoyens par courriel, Facebook, vidéo, ou via des micros-trottoirs, l’animateur ajoute à l’occasion des sous-questions, inspirées de l’actualité. M. Guérin anime de plus la page Facebook de l’émission. Il alimente celle-ci à partir de l’actualité montréalaise et des controverses qu’elle suscite et invite les internautes à lui acheminer des questions sur des thèmes qu’il propose.
De façon générale, il apparaît que M. Guérin se permet de relancer son interlocuteur sur des questions délicates ou de le faire réagir à un point de vue contraire au sien.
Ces diverses méthodes de traitement journalistique permettent au chef d’antenne de refléter indirectement des points de vue différents de ceux du maire sur les sujets abordés. Ce faisant, il rétablit en partie l’équilibre dans l’information transmise au public et corrige partiellement le biais ou l’apparence de biais induit par le concept de l’émission.
Conclusion
Après avoir examiné le concept de l’émission et sa réalisation concrète lors de deux éditions diffusées, le Conseil estime, à la majorité, que le traitement journalistique effectué dans le cadre de l’émission offre un canal d’expression au point de vue de l’opposition. Bien qu’indirecte, cette voie de passage pour les opinions concurrentes à celles du maire permet aux mis en cause de respecter l’exigence d’une information équilibrée.
Cependant, deux membres sur six évaluent que la limite imposée par le concept même de l’émission est trop contraignante et ne permet pas à l’animateur, malgré ses efforts, de porter les voix d’opposition sur le plateau de LCN. Pour ces membres dissidents, le traitement journalistique de M. Guérin ne peut se substituer à l’expression directe de voix discordantes. Il en résulte une information qui manque d’équilibre et qui risque de présenter une apparence de partialité, font-ils valoir.
En conséquence, le grief pour manque d’équilibre est rejeté.
COMMENTAIRE ÉTHIQUE
Bien que le concept actuel de l’émission ne soit pas dénué d’intérêt, notamment quant à la proximité qu’il crée entre le public et le maire, il demeure que d’un point de vue éthique, la représentation de diverses forces politiques en présence à l’Hôtel de Ville de Montréal serait mieux reflétée par une formule permettant aux élus des différents partis politiques d’exprimer leurs points de vue de façon directe, comme le fait M. Coderre. Une telle approche permettrait d’éviter de faire porter tout le poids de l’expression des voix de l’opposition sur les épaules de l’animateur, en plus de dissiper toute apparence de partialité. Le Conseil précise que l’accès à la tribune de l’émission devrait être équitable, ce qui implique non pas un temps d’antenne égal à celui accordé au maire pour tous les élus, mais bien guidé par la proportionnalité du poids démocratique de ces derniers.
Refus de collaborer
Le Groupe TVA-LCN a refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil reproche au Groupe TVA-LCN son manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette, à la majorité, la plainte de M. Charles Vaillancourt contre le Groupe TVA-LCN, et l’émission « J’ai une question, Monsieur le maire », pour le grief de manque d’équilibre.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme le Groupe TVA-LCN.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 8.2)
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger
M. Adélard Guillemette
Mme Jackie Tremblay
Représentants des journalistes :
Mme Katerine Belley-Murray
M. Marc-André Sabourin
Représentant des entreprises de presse :
M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C13A Partialité
- C24A Manque de collaboration