Plaignant
Mme Marie-Josée Savard
Mis en cause
Mme Jessica Ébacher, journaliste, Mme Lise Tremblay, directrice régionale de l’information et l’hebdomadaire L’Express de Drummondville (TC Media)
Résumé de la plainte
Mme Marie-Josée Savard dépose une plainte le 3 février 2015 contre la journaliste Mme Jessica Ébacher et l’hebdomadaire L’Express de Drummondville concernant les articles « Une toute nouvelle maison pour une famille malchanceuse » et « La Foire aux malheurs », publiés le 19 août 2014. La plaignante dénonce de l’information inexacte, un manque d’équilibre et un refus de rétractation et de rectification.
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation et la diffamation ne sont pas considérées comme du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions à ce titre, le grief n’a pas été traité.
Les articles annoncent le tournage d’une émission qui viendra en aide à une famille de la région qui se dit aux prises avec des vices cachés.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
La plaignante soutient que la journaliste ne pouvait faire référence à la présence de vices cachés puisqu’il n’y a pas eu de jugement confirmant que la situation constituait un « vice » et qu’il était « caché ». Elle ajoute que « tous les soi-disant vices rapportés dans l’article ont été dénoncés dans la déclaration du vendeur ou dans le rapport d’inspection préachat ». Elle soutient que le couple a acheté la maison en connaissance de cause et qu’il a bénéficié d’une baisse du prix à l’achat de la maison.
La directrice régionale de l’information indique que la journaliste a rédigé les articles en se basant sur les propos recueillis auprès du couple, de l’animatrice de l’émission et de l’entrepreneur général. Elle soutient de plus que l’expression « vice caché » a été utilisée afin que les lecteurs comprennent que le couple avait eu « plusieurs mauvaises surprises à leur résidence, une fois déménagé ».
La directrice régionale de l’information note qu’au moment de l’entrevue, rien ne laissait croire à la journaliste que « le couple avait reçu un quelconque avis d’un spécialiste lors d’une inspection préachat ».
Dans son guide de déontologie, Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil rappelle : « Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. » (p. 26)
À la lecture des articles mis en cause, le Conseil constate que dans l’article « La Foire aux malheurs », la journaliste reprend à son compte l’affirmation selon laquelle la maison était affectée par des vices cachés, en écrivant : « Acheter une maison, y voir apparaître des vices cachés dignes de la Foire aux malheurs et finalement se rendre compte que les recours sont très limités, voilà un cauchemar que tout nouvel acheteur devrait redouter. » Elle rapporte également les propos des acheteurs qui parlent explicitement, eux aussi, de vices cachés.
Les recherches du Conseil ont permis de constater qu’au sens strict, l’expression « vice caché » peut être utilisée lorsqu’un vice est déclaré tel par un tribunal ou par un règlement entre les parties. L’utilisation de cette expression implique nécessairement la responsabilité légale du vendeur. Ainsi, un vice n’est pas jugé « caché », par exemple, s’il a été dévoilé par le vendeur ou s’il a été constaté par l’acheteur ou par un expert inspecteur avant l’achat final de l’immeuble.
Le Conseil juge qu’il était inexact d’affirmer, par les écrits de la journaliste ou par les propos rapportés des acheteurs, que les vices étaient « cachés » puisqu’aucun jugement de cour ni aucune entente entre les parties ne statuent en ce sens. En reprenant à son compte, sans vérifier, les allégations très sérieuses des nouveaux propriétaires, la journaliste a manqué de prudence, et surtout, a manqué à son obligation de vérifier ses informations. Le Conseil rappelle que les producteurs et les diffuseurs ont la responsabilité de tout ce qu’ils diffusent.
Le grief pour information inexacte est retenu.
Grief 2 : manque d’équilibre
La plaignante déplore que la journaliste n’ait rapporté que les points de vue des nouveaux propriétaires.
Mme Tremblay, pour sa part, fait valoir que « le but de l’article n’était pas de mettre en perspective ce qui s’est réellement passé entre le vendeur de la maison et les acquéreurs, mais plutôt de raconter l’histoire touchante derrière cette mésaventure. » Elle rapporte que la journaliste n’a pas tenté de connaître l’identité de l’ancienne propriétaire, cela ne constituant pas l’objet principal des articles, et cela a permis d’éviter que des informations pouvant nuire à la plaignante soient dévoilées.
La directrice régionale de l’information ajoute qu’à la suite de ses échanges avec la plaignante, la version de cette dernière a été prise en considération dans les articles subséquents portant sur ce sujet. « La journaliste a pris soin d’y aller de façon très générale en évitant le terme “vices cachés”. »
Le guide de déontologie du Conseil stipule que : « Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition. » (DERP, p. 26)
À la lecture des articles, le Conseil constate qu’on y fait état de l’existence d’un conflit réel et sérieux entre la plaignante et les nouveaux propriétaires.
Le Conseil estime que les mis en cause n’ont pas respecté leur devoir d’équilibre alors qu’ils traitaient d’un conflit entre deux parties, en ne présentant pas la version des faits de la plaignante.
Le grief de manque d’équilibre est retenu.
Grief 3 : refus de rétraction et de rectification
La plaignante déplore que la direction de L’Express de Drummondville ait refusé de lui présenter des excuses, de se rétracter et de rectifier les faits en présentant sa version.
La directrice régionale de l’information justifie le refus de modifier les textes en ligne et de présenter des excuses par le fait qu’il était « pratiquement impossible » d’identifier la plaignante. Elle note que l’hebdomadaire n’a pas publié l’adresse de la maison, dont il est question. Elle ajoute que le média n’a pas donné suite à la demande de la plaignante jugeant que le traitement journalistique n’avait pas été préjudiciable.
Le guide de déontologie rappelle que les médias ont la responsabilité de corriger leurs manquements à l’égard de personne mise en cause dans leurs productions journalistiques. « […] les rétractations et les rectifications devraient être faites de façon à remédier pleinement et avec diligence au tort causé. Les médias n’ont aucune excuse pour se soustraire à l’obligation de réparer leurs erreurs, que les victimes l’exigent ou non, et ils doivent consacrer aux rétractations et aux rectifications qu’ils publient ou diffusent une forme, un espace, et une importance de nature à permettre au public de faire la part des choses. » (DERP, p. 46)
Puisqu’il a jugé le mis en cause responsable d’inexactitude et de manque d’équilibre, le Conseil considère que l’hebdomadaire a contrevenu également à son devoir déontologique en ne corrigeant pas ses erreurs avec diligence et de façon à permettre de réparer le tort causé.
Le Conseil retient le grief pour refus de rétractation et de rectification.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil retient la plainte de Mme Marie-Josée Savard et blâme la journaliste Mme Jessica Ébacher et l’hebdomadaire L’Express de Drummondville pour les griefs d’information inexacte, de manque d’équilibre et de refus de rétractation et de rectification.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- Mme Micheline Rondeau-Parent
- M. Adélard Guillemette
- Mme Jackie Tremblay
Représentants des journalistes :
- M. Vincent Larouche
- M. Marc-André Sabourin
Représentant des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C19A Absence/refus de rectification