Plaignant
La Société des
rédacteurs, Le Jour [Montréal]
Représentant du plaignant
Mme Paule
Beaugrand-Champagne (présidente, Société des rédacteurs, Le Jour [Montréal])
Mis en cause
Gouvernement du
Québec
Représentant du mis en cause
[nd]
Résumé de la plainte
Certains
ministères et organismes para-gouvernementaux québécois boycottent Le Jour lors
de l’octroi de leur publicité. De plus, le gouvernement du Québec confie à des
agences de publicité partisanes, qui boycottent à leur tour ce journal, une
grande partie des fonds destinés à l’information gouvernementale.
Griefs du plaignant
La Société des
rédacteurs du journal Le Jour a dénoncé auprès du Conseil de presse du Québec
ce qu’elle appelait le boycottage de ce journal en ce qui concerne la publicité
gouvernementale et, en particulier, la publicité provenant du gouvernement du
Québec et des organismes qui en dépendent directement. La plaignante attribuait
ce boycottage à des motifs de partisannerie politique et soutenait qu’en
conséquence les lecteurs du Jour étaient privés d’informations d’intérêt public
auxquelles, à l’instar de tous les citoyens québécois, ils ont droit et au coût
desquelles ils participent comme tous les autres contribuables du Québec.
En outre, la
Société des rédacteurs du Jour considérait qu’il s’agissait là non seulement
d’une violation flagrante du droit du citoyen à l’information transmise par les
pouvoirs publics mais également d’une atteinte aux libertés démocratiques
fondamentales de la presse et du droit à la libre expression des idées.
A l’appui de sa
plainte, la Société des rédacteurs soutenait qu’en plusieurs occasions Le Jour
avait été le seul quotidien à être rayé de la liste des organes d’information
chargés de diffuser les messages publicitaires d’intérêt public du gouvernement
du Québec. Elle attribuait cette exclusion à l’existence de directives
formelles à cette fin de la part de certains ministres, notamment du ministre
des Finances, ou à l’intervention d’autorités responsables, à divers niveaux, de
l’administration de certains ministères et agences gouvernementales et
para-gouvernementales.
La Société des
rédacteur du Jour faisait, de plus, grief aux autorités gouvernementales du
Québec de confier à des agences de publicité considérées comme partisanes le
soin de gérer et d’administrer une importante partie des fonds destinés à
l’information gouvernementale et elle accusait ces agences d’exclure
systématiquement ce journal de la liste des quotidiens appelés à fournir au
public l’information publicitaire gouvernementale, et ce pour des
considérations politiques et non en fonction de critères professionnels
reconnus.
Analyse
Le Conseil de presse, après examen du dossier porté à son attention et après avoir entendu le témoignage de nombreuses personnes venant tant des milieux administratifs gouvernementaux et de plusieurs agences de publicités que du personnel du journal Le Jour, en est arrivé aux conclusions suivantes:
Le Conseil a eu la preuve et a acquis la conviction que, dans plusieurs des cas invoqués par la Société des rédacteurs du Jour, il y a eu pour des motifs de politique partisane des interventions tant directes qu’indirectes de la part de ministres (par exemple, deux directives écrites du ministre des Finances adressées aux autorités de deux sociétés d’Etat relevant de ce ministère) et de responsables à divers autres niveaux de l’administration gouvernementale à l’effet d’exclure Le Jour de la liste des organes d’information appelés à diffuser l’information ou la publicité provenant du gouvernement ou d’agences gouvernementales ou para-gouvernementales.
Le Conseil de presse juge que de telles interventions dans les cas où il s’agit de communications d’intérêt public constituent une atteinte au droit du public à l’information et une menace à la liberté de la presse. Aussi le Conseil en blâme-t-il les auteurs.
Le Conseil est d’avis que la diffusion de l’information gouvernementale, y compris les textes publicitaires qui sont d’intérêt public, doit se faire non en considération d’options politiques mais en vertu de critères connus et visant principalement à respecter le droit des citoyens à être adéquatement informés.
Le Conseil reconnaît que le journal Le Jour est un organe d’information générale destiné au public, au même titre que tous les autres quotidiens et, nonobstant son orientation politique et idéologique déclarée, non un organe d’information et de propagande politiques s’adressant aux seuls membres d’un parti politique.
Le Conseil a aussi pu vérifier qu’au moment de son enquête le Parti québécois, en tant que tel, ne détenait qu’une faible part des titres de propriété de la société éditrice du journal et qu’ainsi il ne détenait pas suffisamment d’actions pour être en mesure de contrôler le journal.
Le Conseil a aussi pu vérifier que des membres du Conseil d’administration du journal occupaient des postes importants au sein du Parti québécois et que le Parti québécois avait contribué au financement du Jour sous d’autres formes que par sa participation comme actionnaire. Ces faits, au sens du Conseil, ne sont pas suffisants pour faire de ce journal un journal de parti.
Le Conseil est dès lors d’avis que ce quotidien avait le droit, en matière de publicité gouvernementale et para-gouvernementale, de jouir de la part des pouvoirs publics, des organismes qui en dépendent ou des agences de publicité au service du gouvernement, du même traitement que celui qui est accordé aux autres journaux. Le Conseil ne peut que réprouver toute pratique visant à exclure un journal pour le seul motif de son orientation politique ou idéologique.
Il n’appartient pas au pouvoir public et à ceux qui l’exercent de récompenser ou de punir un organe d’information générale à cause de sa politique éditoriale ou des idées politiques de sa rédaction. Agir autrement constitue une négation de la liberté d’expression et du droit du public à être informé et une intrusion dans la conduite éditoriale de cet organe d’information, en violation flagrante de la liberté de presse.
Pour cette raison fondamentale, on ne peut admettre que les fonds publics servant à acquitter le coût de la publicité relevant du gouvernement soient considérés comme l’équivalent de faveurs gouvernementales ou comme de simples octrois, déguisés ou non.
Ces observations s’appliquent aussi bien à la publicité gouvernementale de caractère commerciale qu’à celle à caractère d’information publique d’intérêt général. Dans le premier cas, la publicité doit surtout se faire en fonction de critères d’ordre commercial inspirés d’une gestion adéquate des fonds publics. Quand au second cas, il ne fait aucun doute que la publicité doit correspondre à l’obligation qu’ont les pouvoirs publics d’informer adéquatement tous les citoyens et cela d’une façon qui respecte intégralement le droit de ces derniers d’être renseignés sur la chose publique.
Le Conseil de presse a constaté que la principale cause de l’état de choses dénoncé par la Société des rédacteurs du Jour est l’absence, en matière d’information et de publicité gouvernementales, de normes administratives, étrangères à toute considération politique, publiquement connues et fidèlement observées.
Un tel état de chose donne facilement ouverture à l’expression de favoritisme en ce qui concerne le choix par le gouvernement des agences de publicité aussi bien que le choix des organes d’information comme véhicules publicitaires. Le Conseil juge aussi inadmissible et contraire à l’éthique des pouvoirs publics que des personnes en autorité chargées de l’administration de la chose publique puissent, à cause précisément de cette absence de normes, se servir de leur pouvoir pour exercer une telle discrimination à l’endroit d’un organe d’information générale.
Le Conseil de presse ne saurait trop insister sur l’urgence et l’importance pour le gouvernement de définir et de mettre en oeuvre une politique en matière de publicité gouvernementale qui se traduirait par des normes et critères propres à répondre plus adéquatement aux exigences d’une gestion efficace des deniers publics en cette matière de même qu’à renseigner pleinement la population sur tous sujets d’intérêt public qu’il choisit de leur transmettre par voie de messages publicitaires.
Le Conseil est d’avis que la discrimination politique exercée à l’endroit du journal Le Jour n’est pas l’expression d’une politique systématique ou d’une volonté générale de l’ensemble des membres du gouvernement du Québec mais est due à l’initiative de personnes en autorité laissées libres d’agir à leur discrétion.
Le Conseil, en outre, n’a pu obtenir la preuve que la perte financière subie par Le Jour, comme conséquence directe ou indirecte des interventions que la Société des rédacteurs a dénoncées, était suffisante pour mettre en péril, à elle seule, l’existence du journal.
Sans mitiger le blâme qu’il adresse aux auteurs de telles interventions, il a été démontré au Conseil que dans plusieurs des cas où Le Jour invoquait des pratiques de boycottage à son seul endroit, d’autres quotidiens n’avaient pas non plus été choisis pour véhiculer les messages publicitaires gouvernementaux et cela pour des raisons d’ordre commercial et concurrentiel auxquelles Le Jour est confronté comme toute entreprise de presse québécoise. Il faut admettre, en effet, que le fait qu’un organe d’information existe ne crée pas aux pouvoirs publics, pour cette seule raison, l’obligation d’y faire paraître leur publicité.
Analyse de la décision
- C21F Pressions/représailles contre un média