Plaignant
Le Parti libéral
du Québec
Représentant du plaignant
M. Claude
Desrosiers (président, Parti libéral du Québec)
Mis en cause
CBFT-TV [SRC,
Montréal] et M. Claude-H. Roy (réalisateur)
Représentant du mis en cause
M. Marc Thibault
(directeur de l’information, Société Radio-Canada [Montréal])
Résumé de la plainte
Le document
«A-t-on le gouvernement que l’on mérite?», diffusé le 4 mars 1975 sur les ondes
de la Société Radio-Canada, dans le cadre de l’émission «Format 60», porte
atteinte au droit des individus à la présomption d’innocence. Ce document
rappelle le nom de politiciens libéraux présumément reliés à des situations
condamnables, alors que leur culpabilité n’a pas été démontrée. Le rectificatif
apporté le 11 mars, lors de l’émission suivante, ne fait que renforcer
l’injustice déjà commise.
Griefs du plaignant
M. Claude
Desrosiers, président du Parti libéral du Québec, au nom de cette organisation,
a porté plainte auprès du Conseil de presse du Québec à propos d’une partie de
l’émission «Format 60» diffusée par Radio-Canada, le 4 mars 1975, et intitulée
: «A-t-on le gouvernement que l’on mérite?».
La partie de
l’émission faisant l’objet de la plainte était celle où, après la présentation
d’une séquence de témoignages de la Commission Cliche accompagnée de la musique
du film Z, on rappelait le nom de ministres et députés libéraux présumément
reliés aux situations révélées dans le cadre des grandes enquêtes publiques,
entreprises par la Commission d’enquête sur le crime organisé et plus
spécialement par la Commission Cliche, ou encore au cours de certains débats
parlementaires.
Le Parti libéral
demandait aussi au Conseil d’étudier le texte prononcé au début de l’émission
«Format 60» du 11 mars suivant, à titre de rectification des propos concernant
l’un des ministres mis en cause dans l’émission précédente. Selon M.
Desrosiers, ce rectificatif, loin de corriger les propos antérieurs, les
renforçait et n’apportait, par ailleurs, aucune correction en ce qui concernait
les autres ministres ou députés.
Le Parti libéral
fondait surtout sa plainte sur le droit du public à une information complète et
correcte et sur le droit des individus à la présomption d’innocence, jusqu’à ce
que preuve soit faite de leur culpabilité devant les instances appropriées.
Analyse
Avant de livrer ses conclusions sur l’objet de la plainte portée à son attention, le Conseil tient à rappeler que:
La presse, écrite ou parlée, doit se montrer constamment vigilante à l’égard des activités de l’Etat et de tous ceux qui exercent une responsabilité publique. Elle ne doit pas hésiter à renseigner la population sur toute situation contraire à l’intérêt public dans laquelle se trouvent les personnes qui participent à l’action du pouvoir.
Dans l’accomplissement de sa tâche, la presse doit faire en sorte, en ayant recours aux moyens les plus efficaces à sa disposition, que son information soit vivante, dynamique et susceptible de bien éveiller l’attention de tous les citoyens.
La vigilance que la presse doit exercer l’oblige à ne pas se contenter d’attendre plus ou moins passivement qu’on lui fournisse de l’information: elle doit au contraire être à l’affût de ce qui se passe et exercer, au besoin, un véritable rôle d’investigation. Cette responsabilité découle de l’obligation indiscutable que la presse a de répondre aux exigences du droit du public à être adéquatement informé.
Toutefois, en assumant cette responsabilité, la presse doit faire preuve d’une grande rigueur intellectuelle et se montrer soucieuse d’exposer fidèlement la réalité, en évitant des erreurs de faits et en évitant aussi de publier des renseignements non-vérifiés. Ces exigences, auxquelles la presse ne peut échapper en aucune circonstances, revêtent une importance particulière quand la réputation des personnes est en cause.
Le Conseil de presse, sur la foi du dossier qui lui a été soumis par les parties et de leurs témoignages et se fondant sur les principes précédents, en est arrivé aux conclusions suivantes:
La Société Radio-Canada a démontré qu’elle était consciente de son rôle d’informateur public vigilant lors de l’émission «Format 60» du 4 mars 1975, intitulée «A-t-on le gouvernement que l’on mérite?», et à cette occasion elle a su bien exploiter les techniques propres à la télévision.
Mais, en dépit de cela, le Conseil doit reprocher à la Société Radio-Canada et aux responsables de l’émission en cause de n’avoir pas fait preuve de rigueur et de prudence suffisantes :
– en diffusant, dans le cadre de cette émission, des renseignements incomplets et, dans certains cas, inexacts ou erronés, qui auraient pu être aisément vérifiés puisqu’ils étaient publics bien avant cette émission;
– en ne se basant, lors de la préparation de l’émission concernée, que sur une revue incomplète d’articles de journaux, négligeant de prendre connaissance d’autres articles comportant des démentis ou des corrections aux reproches ou accusations à l’égard de plusieurs des personnes mises en cause;
– en ne prenant pas tous les moyens qu’elle a ou devrait avoir à sa disposition pour vérifier par elle-même la véracité des faits rapportés: il y a lieu, à ce propos, de s’étonner qu’un organisme de l’envergure et du prestige de la Société Radio-Canada ait affiché une telle déficience dans la préparation d’un programme aussi important que celui de «Format 60».
Le Conseil est d’avis que, dans la composition de sa «galerie» de personnages, qui constituait une partie de l’émission, Radio-Canada a commis des erreurs de faits et, en associant indûment dans une même réprobation des noms qui n’auraient pas dû l’être, a mérité le reproche d’avoir eu recours au procédé inacceptable qui consiste à établir la culpabilité par association. Cette façon de faire a constitué, dans ce cas, un manquement au degré de compétence et au sens des responsabilités dont aurait dû faire preuve l’équipe du «60». Nonobstant ce qui précède, le Conseil ne considère pas que le texte de l’émission renfermait quoi que ce soit justifiant le reproche, formulé dans la plainte, que Radio-Canada aurait rendu un verdict qu’il n’appartient qu’aux tribunaux de prononcer.
Le Conseil n’admet pas l’excuse offerte par Radio-Canada, lors des témoignages qui lui ont été présentés, à l’effet que la Société devait tenir compte des circonstances caractérisant la période au cours de laquelle l’émission «Format 60» du 4 mars 1975 a été diffusée. Quelles que soient les circonstances, rien ne justifie de porter injustement atteinte à la réputation des gens. Le Conseil estime également que le fait que tous les noms mentionnés au cours de cette émission l’aient été antérieurement dans certains journaux ne constitue pas une excuse acceptable.
Le Conseil est d’avis que la rétraction faite lors de l’émission «Format 60» du 11 mars, était insuffisante et insatisfaisante.
Analyse de la décision
- C15D Manque de vérification
- C17A Diffamation
- C19B Rectification insatisfaisante