Plaignant
Le Centre
Communautaire Juridique de Québec et une personne mineure
Représentant du plaignant
M. Paul-André
Rousseau (avocat, Centre Communautaire Juridique de Québec)
Mis en cause
Le Journal de
Québec et M. Yvon Pellerin (journaliste)
Résumé de la plainte
Dans son édition
du 24 février 1976, Le Journal de Québec publie un article du journaliste Yvon
Pellerin intitulé «Du sang sur les mains?» et des photos qui identifient un
mineur impliqué dans une affaire d’homicide. Ce faisant, le journal manque de
respect à l’égard des personnes concernées en plus de déroger aux dispositions
de la Loi des jeunes délinquants.
Griefs du plaignant
Me Paul-André
Rousseau, avocat au Centre Communautaire Juridique de Québec, portait plainte
auprès du Conseil de presse du Québec au nom de son client mineur, au sujet de
la publication, par Le Journal de Québec, dans son édition du 24 février 1976,
de photographies ainsi que d’un article signé par le journaliste, M. Yvon
Pellerin, identifiant un jeune prévenu de 17 ans, impliqué dans une affaire
d’homicide, lors de sa comparution pour enquête devant le coroner pour le
District de Québec, et ceci en dépit de l’avertissement formel donné alors aux
journalistes par le coroner à l’effet qu’aucune photographie ou mention n’était
permise parce que le prévenu était mineur au sens de la loi.
Qualifiant la
façon dont fut traitée cette affaire par Le Journal de Québec comme relevant du
plus pur jaunisme et témoignant du mépris le plus total aussi bien pour la
victime que pour le jeune prévenu et leur famille, le plaignant alléguait que
ce geste constituait une contravention flagrante tant à l’esprit qu’à la lettre
de la Loi des jeunes délinquants qui, en vue de faciliter la réhabilitation et
de préserver la réputation des personnes mineures faisant l’objet de procédures
judiciaires, interdit l’identification de ces personnes.
Analyse
Le Conseil de presse, sur la base des faits exposés dans la plainte, que ni la direction du Journal de Québec ni son journaliste n’ont contestés, étant donné qu’ils n’ont pas jugé bon de répondre à la demande de renseignements qu’il leur a été faite, juge répréhensible le geste posé par Le Journal de Québec et son journaliste, M. Yvon Pellerin, et blâme les responsables de la rédaction de ce journal d’avoir permis la publication des photographies et du nom du prévenu mineur.
Le Conseil de presse fonde son jugement sur les considérations suivantes :
a) Les responsables de la rédaction au Journal de Québec, à tous les échelons concernés, en ne tenant pas compte de l’avertissement du coroner, ont affiché le plus profond mépris pour les motifs qui, au Québec comme en beaucoup d’autres pays respectueux de la personne, incitent les pouvoirs publics et judiciaires à adopter des mesures visant à la protection de ceux qui, en raison de leur jeune âge, ne doivent pas être livrés par la presse en pâture à la curiosité populaire, risquant ainsi de voir leurs chances de réhabilitation amoindries si on les désignent à l’attention du public, surtout en les nommant et en faisant paraître leur photo.
Le Conseil est d’avis que lorsque le législateur et les tribunaux jugent nécessaire d’accorder cette protection spéciale aux personnes mineures, la presse doit éviter toute mention qui pourrait permettre l’identification de ces personnes.
Le Conseil est même d’avis qu’en l’absence de l’intervention de l’Etat ou des tribunaux en cette matière, la presse devrait d’elle-même s’astreindre à la même obligation, et ce pour les mêmes motifs qui inspirent l’action du pouvoir public ou de la justice.
Prétendre qu’en s’imposant cette discrétion, la presse porte atteinte au droit du public à l’information, c’est affirmer que ce droit ne lui permet plus d’exercer, dans le meilleur intérêt général des pouvoirs qui sont l’un des principaux attributs de sa liberté, soit le pouvoir de décision en matière rédactionnelle et celui de choisir l’information à fournir au public.
b) Le Journal de Québec, par son manque de circonspection dans la publication de ce fait et par sa façon de l’exploiter n’a pas su faire les distinctions que la presse se doit de faire entre les notions d’intérêt public et celle de curiosité du public. Le Journal de Québec s’est laissé guider par le souci de faire appel à la curiosité morbide des lecteurs. Cette façon de faire, qui est celle des professionnels de la presse à scandale, est inspirée bien plus par le désir d’assouvir chez certains une soif de sensations fortes que par le souci de bien renseigner la population sur les aspects d’intérêt public que peuvent offrir des événements de ce genre.
Le titre, en particulier, est à cet égard fort révélateur, même si le contenu de la nouvelle est, du point de vue des convenances que la presse doit respecter, inacceptable.
En effet, ce titre «Du Sang sur les Mains?» par les mots employés, par la couleur et la dimension des caractères utilisés ne laisse aucun doute sur le désir de ceux qui ont participé à la publication de la nouvelle de rechercher le sensationnel en même temps que d’exploiter la curiosité morbide des gens.
En outre, ce titre, en dépit du point d’interrogation qui en fait partie, est, de l’avis du Conseil, un jugement prématuré qu’il n’appartient pas à la presse de porter et qui, de plus, est préjudiciable à la réputation des prévenus qui sont présumés innocents aussi longtemps que le tribunal ne les a pas trouvés coupables.
Le Conseil de presse tient à ajouter qu’il déplore que l’on ait, dans l’article concerné, rappelé que le frère du prévenu mineur avait été accusé et condamné pour une offense nullement reliée à l’affaire en cause. Ce procédé, qui tend à établir une culpabilité par association, risque d’avoir des effets préjudiciables pour le prévenu, à tout le moins aux yeux du public. Aussi le Conseil juge que cette façon de faire est inadmissible et condamnable.
Enfin, le Conseil de presse tient à réaffirmer que des pratiques journalistiques du genre de celles auxquelles Le Journal de Québec a eu recours dans cette affaire, ont comme résultat inévitable de jeter le discrédit sur la presse; elles révèlent, soit par inconscience, soit par vénalité, un mépris des personnes et des institutions indigne d’une presse responsable.
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C17H Procès par les médias