Plaignant
Le Comité pour
la protection de la jeunesse
Représentant du plaignant
Mme Solange
Chalvin (secrétaire général, Comité pour la protection de la jeunesse)
Mis en cause
Police-Dossiers
[Montréal]
Représentant du mis en cause
M. G.-A. Parent
(directeur, Police-Dossiers [Montréal])
Résumé de la plainte
Le numéro
d’automne 1976 de Police-Dossiers, paru sous le titre «Enfants Martyrs au
Québec, de 1920 à 1976», fait preuve de sensationnalisme et de sadisme. Il
manque de respect à l’égard des victimes et de leurs proches en donnant des
détails qui permettent de les identifier. De plus, il déforme le sens d’une
brochure publiée par le Comité pour la protection de la jeunesse. Enfin,
Police-Dossiers compromet la crédibilité du Comité en laissant croire que ce
dernier lui a transmis des informations sur certains des cas traités.
Griefs du plaignant
Le Comité pour
la protection de la jeunesse du Gouvernement du Québec dénonçait, comme une atteinte
au droit du public à l’information, le caractère et le contenu de l’édition de
l’automne 1976 du périodique Police-Dossiers consacré aux «Enfants Martyrs au
Québec, de 1920 à 1976».
Le Comité pour
la protection de la jeunesse reprochait particulièrement à cette publication:
1) d’avoir, par
sa façon d’exploiter un problème social aussi grave, mal informé le public en
faisant appel au sadisme et à la morbidité, au mépris du respect élémentaire dû
à la personne;
2) d’avoir, en
rappelant à l’attention du public les tragédies personnelles d’enfants, de
mineurs et de familles déjà suffisamment stigmatisés et en donnant sur leur
compte, assez de détails (photos, initiales des noms, prénoms, âges et lieux de
résidence) pour en permettre l’identification, compromis, par les dommages
psychologiques qu’une telle publication peut causer, le droit de ces personnes
à une existence nouvelle et au respect de leur vie privée.
Le Comité pour
la protection de la jeunesse dénonçait enfin Police-Dossiers pour l’utilisation
qu’il a faite de la brochure d’information publiée par le Comité concernant les
services qu’il offre au public. Il lui reprochait particulièrement d’avoir :
1) déformé le
sens du message de cette brochure et faussé aux yeux du public l’approche du Comité
face aux problèmes de l’enfance maltraitée;
2) compromis la
crédibilité du Comité et la confiance que doit avoir en sa discrétion, le
public qui fait appel à ses services, en créant chez ce dernier l’impression
que certains des dossiers, qui sont traités dans la publication, ont été
divulgués par lui, qui semble, par ailleurs, profiter des pages de
Police-Dossiers pour faire sa propre publicité.
Analyse
A la suite d’un examen attentif du dossier et après avoir entendu les témoignages des parties en cause, le Conseil en arrive aux conclusions suivantes:
Selon le Conseil, les responsables du numéro de Police-Dossiers, consacré aux enfants victimes de mauvais traitements, ont publié ce document de la façon dont ils l’ont fait dans l’intention de frapper l’attention du public, croyant par là sensibiliser davantage l’opinion publique aux réalités du problème de l’enfance maltraitée au Québec.
Eu égard à cette intention, en tenant compte du genre de publication qu’est Police-Dossiers et du fait que la nature du sujet traité se prêtait à des révélations brutales dont le caractère peut effectivement confiner à un certain sadisme, à une certaine morbidité, le Conseil voit dans cette façon de traiter un tel sujet une expression normale de la liberté de la presse.
Le Conseil de presse est en effet d’avis que la liberté de la presse serait gravement compromise et, partant le droit du public à l’information, si, dans sa fonction d’informer, la presse devait se plier à quelque philosophie ou courant d’idées fussent-ils de l’Etat, de groupes de pression ou de mouvements scientifiques, dans sa façon d’aborder un sujet donné.
Le Conseil est, par ailleurs, d’avis que lorsque la presse, dans l’exercice de sa fonction, juge pertinent d’informer le public sur les aspects d’intérêt public que peuvent présenter des situations et des problèmes de la nature du sujet traité dans le numéro en question de Police-Dossiers, elle doit le faire avec la circonspection qu’exige d’elle le droit tout aussi fondamental au respect dû à la personne.
L’application de ce principe est d’autant plus de conséquence lorsque sont en cause des enfants et des personnes mineures. Dès lors, le Conseil ne saurait trop insister sur l’obligation pour la presse de s’abstenir, même en l’absence des dispositions légales, de publier quelque mention pouvant permettre l’identification de ces personnes, qu’elles soient impliquées comme accusées, victimes ou témoins, d’événements traumatisants, afin que ne soient compromises leurs chances de réinsertion sociale et familiale.
Le Conseil considère que la presse devrait appliquer ce principe d’une façon stricte et ne permettre d’exception que lorsque, dans l’exercice de sa discrétion et de sa responsabilité rédactionnelles, elle juge que l’intérêt public, commandant la divulgation de l’identité des personnes mineures, est supérieur aux motifs qui incitent à protéger leur anonymat.
Le Conseil est d’avis que dans le présent cas, les précautions prises par Police-Dossiers (certaines photographies retouchées pour voiler les yeux des personnes désignées par leur prénom ou les initiales de leur nom) n’étaient pas suffisantes pour satisfaire aux exigences du principe énoncé plus haut. L’intérêt public, dans ce cas, ne justifiait pas, selon le Conseil, que l’on soit aussi précis (âge, lieux de résidence) et que l’on donne autant de détails circonstanciels sur les événements permettant à l’entourage des personnes mineures de les identifier.
Partant, le Conseil regrette que la direction de Police-Dossiers n’ait pas su établir les distinctions qu’une presse, consciente de sa responsabilité d’informateur public, et de qualité, se doit de faire entre la notion d’intérêt public et celle de curiosité du public.
S’il ne peut blâmer Police-Dossiers d’avoir véhiculé un message qui n’épousait pas intégralement le sens que le Comité pour la protection de la jeunesse veut donner à son action – aucun organe d’information n’étant tenu de se faire le porte-parole d’un organisme officiel – le Conseil est cependant d’avis que les responsables de la publication ont présenté une image déformée du Comité de la protection de la jeunesse.
Estimant en effet que tout organisme comme tout individu a le droit de s’attendre à ce que la presse ne présente de lui une image déformée, le Conseil est d’avis que les responsables de Police-Dossiers ont fait preuve d’un manque de rigueur professionnelle dans la façon d’utiliser la brochure d’information du Comité. En effet, tant l’aspect général de la page qu’ils lui ont consacrée, la reproduction de la maquette du dépliant que le texte se rapportant à l’action du Comité, pouvaient, d’une part, laisser croire au public qu’il s’agissait d’une publicité payée par cet organisme et, d’autre part, créer, dans son esprit, l’impression que le Comité adhérait à la philosophie de Police-Dossiers, alors que ce n’est pas le cas; ce qui a pu nuire à l’action et à la crédibilité du Comité.
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C17D Discréditer/ridiculiser