Plaignant
Mme Kateri
Lescop (réalisatrice, Projection Côte-Nord [Canada au travail])
Mis en cause
La Compagnie de
télévision de Sept-Iles et Pierre Meunier (directeur de la programmation)
Résumé de la plainte
Les responsables
de la Compagnie de télévision de Sept-Iles empêchent les participants à un
projet «Canada au travail», baptisé Projection Côte-Nord, d’inviter certains
groupes locaux ou de produire des émissions à caractère social. De telles
interventions, dans le cadre d’un projet à vocation communautaire, sont
assimilables à un contrôle de l’information.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
Presse a terminé l’étude de la plainte que vous portiez auprès de lui contre
les responsables de la Compagnie de télévision de Sept-Iles (CTSI) et plus
particulièrement contre son directeur de la programmation, M. Pierre Meunier.
Vous alléguiez
certains faits qui se seraient produits alors que M. Pierre Meunier cumulait
les fonctions de promoteur et de directeur d’un projet Canada au travail –
Projection Côte-Nord – et de responsable de la programmation de la CTSI.
L’objectif principal de ce projet était de permettre à ceux qui y collaboraient
d’acquérir une expérience pratique en technique télévisée par l’élaboration et
la réalisation d’émissions à caractère artistique, économique et touristique
devant refléter le caractère particulier de la région de Sept-Iles et de
Port-Cartier. Les émissions ainsi produites devaient être diffusées sur le canal
communautaire de la CTSI.
Selon vous, les
employés de Projection Côte-Nord durent exclure de leur orientation toutes les
émissions à caractère social et retirer de leur programmation la participation
de groupes tels la Ligue des droits de l’homme de la Côte-Nord, l’Union des
défavorisés, le groupe des Femmes célibataires ou des individus comme Madame
Anne-Andrée Kapesh, écrivain montagnaise.
Les
interventions du directeur de la CTSI, M. Richard Scanlan, ou de M. Pierre
Meunier sur le contenu des émissions devant être produites par le projet,
créèrent un climat de tension qui atteignit son point culminant au moment de
votre renvoi et du départ précipité d’un confrère, M. Eddie Joncas.
Vous considériez
que l’utilisation qu’a faite la CTSI de ce projet n’est pas conforme à son rôle
de télévision locale et communautaire en ce qui concerne la représentativité
communautaire et le contenu de la programmation dont elle demeure, à titre
d’organe d’information, la responsable.
A cet égard,
dans votre intervention auprès du Conseil, vous insistiez pour savoir si un
projet de nature communautaire, tel Projection Côte-Nord, peut imposer à son
auditoire un horaire excluant la possibilité pour un groupe ou un individu
d’être représenté dans le cadre d’émissions à caractère social. A votre avis,
les interventions des responsables de la CTSI dans le travail des
collaborateurs du projet sont assimilables à un contrôle de l’information et à
de la censure.
Commentaires du mis en cause
Un examen, par
le Conseil, des documents qui se sont amassés dans ce dossier démontre que la
CTSI consacrait, du lundi au vendredi, une demi-heure sur son canal
communautaire aux productions du projet. Une grille détaillée des émissions
préparées par Projection Côte-Nord indique qu’elles portaient sur des secteurs
d’activités regroupant principalement la littérature, la photographie, les
disciplines sportives, le tourisme, la musique, l’expression artistique et
artisanale dans la région. A cela, se greffaient quelques émissions à caractère
économique portant par exemple sur la dévaluation du dollar, d’autres
politiques comme celle traitant de la convention à la chefferie du Parti
libéral du Québec et certaines plus sociologiques dont les sujets pouvaient se
rapporter à la délinquance, à la vie des marins ou à la libération de la femme.
Si ces derniers
types d’émissions se retrouvèrent moins souvent dans la grille de programmation
de Projection Côte-Nord, ceci est attribuable en partie, selon M. Meunier, au
maigre budget alloué par le programme Création d’emplois. Selon lui, il en
résulta que le groupe dut réduire les opérations prévues initialement et
concentrer ses efforts sur l’apprentissage technique des ondes.
Or, selon M.
Pierre Meunier, celui qui prit sa place comme directeur du projet, lorsqu’il
fut nommé directeur de la programmation de la CTSI, n’a pas compris ces
limites. Il semblerait que M. Eddie Joncas voulut se lancer dans des
productions trop professionnelles pour une équipe débutante, confinée à un
budget restreint. C’est ainsi que, moins de trois semaines après avoir quitté
son poste à Projection Côte-Nord et après consultations auprès des dirigeants
de «Création d’emplois», M. Meunier reprit en main la direction du projet.
Cette réintégration iaurait été la case de votre renvoi, votre arrivée au sein
du groupe Projection Côte-Nord coincidant avec le départ de M. Meunier à la
CTSI. Dans ces nouvelles conditions, M. Eddie Joncas aurait refusé de prolonger
sa participation au projet Projection Côte-Nord.
Analyse
Le Conseil reconnaît que c’est dans la participation des citoyens à la programmation communautaire que réside l’élément distinctif le plus important entre la programmation communautaire et celle de type traditionnel. Il importe donc que l’utilisation du canal réservé à cette fin par un câblodistributeur ne soit pas limitée à un seul groupe d’individus mais qu’il fournisse à la communauté le plus d’occasions possible de s’exprimer.
Toutefois, le processus de participation d’individus et de groupes à la programmation communautaire est difficile à aménager étant donné la diversité d’intérêts et de talents que l’on retrouve au sein d’une communauté. Selon le Conseil, les responsables d’un canal communautaire doivent toujours tenir compte, dans le développement d’une programmation communautaire, des besoins sociaux et culturels qu’il faut satisfaire de façon prioritaire compte tenu des ressources financières et des talents créateurs dont il est possible de disposer.
Or, le Conseil constate, comme vous, que les groupes dont vous faites mention n’ont pas eu l’occasion de faire valoir leurs objectifs sur les ondes du canal communautaire par l’entremise de Projection Côte-Nord. Pourtant, cela signifie-t-il que cette absence soit attribuable à des considérations qui relèvent d’un parti pris idéologique et qu’il faille y voir une forme de censure? Le Conseil de Presse n’en est pas arrivé à une telle conviction au cours de l’analyse de ce dossier.
Il apparaît plutôt au Conseil que le conflit, à l’origine de cette plainte, provient d’une divergence de vues quant aux objectifs à atteindre par le biais d’un projet de nature communautaire comme Projection Côte-Nord. En effet, compte tenu des limites budgétaires et du manque d’expérience des personnes qui y collaboraient, il semble que le directeur de Projection Côte-Nord ait jugé préférable d’orienter les efforts des employés de ce projet en sorte qu’ils complètent leur apprentissage des techniques télévisuelles.
Or, il ne relève pas du Conseil de Presse de juger si cette orientation est conforme aux conditions imposées et aux objectifs fixés par les différents paliers impliqués lors de l’acceptation de ce projet de «Création d’emplois». Ceci relève au premier chef de cette instance. Cependant, le Conseil note que rien, dans le dossier qui lui a été transmis, ne démontre que les responsables du programme de «Création d’emplois» ont eu à se plaindre de l’orientation du projet ou de son directeur. Ils ont plutôt accepté que ce dernier reprenne temporairement la direction de Projection Côte-Nord bien qu’il soit devenu employé à temps plein de la CTSI.
Le Conseil estime, quant à lui, que les émissions retenues par le directeur de Projection Côte-Nord, devenu responsable de la programmation de la CTSI, ne réflètent aucunement un abus d’autorité ayant pour but d’interdire délibérément l’accès aux ondes à certaines personnes ou à certains groupes. Le Conseil considère que les décisions rédactionnelles prises dans le cadre de ce projet découlaient de l’exercice normal de la responsabilité qui incombe à toute personne chargée de la gestion d’une équipe de production télévisée.
Ces conclusions se fondent sur les considérations suivantes:
1. Une analyse détaillée de la grille d’émissions produites par l’équipe en question démontre qu’un grand nombre d’individus de la région ont eu l’occasion de participer à une centaine d’émissions touchant surtout les domaines culturel, sportif voire même écnomique, social et politique. Par le biais de ces émissions quotidiennes, le projet visait à réfléter le caractère particulier de la région desservie et le Conseil considère qu’il a atteint, dans la mesure de ses moyens, cet objectif communautaire.
En effet, si la programmation de Projection Côte-Nord n’a pas permis l’expression d’un éventail de points de vue plus large, le Conseil considère que rien ne permet d’imputer cette carence à des motifs d’ordre idéologique, mais bien plutôt aux contraintes matérielles et humaines avec lesquelles il fallait composer. Il faut convenir, selon le Conseil, que le processus d’accès aux ondes d’un canal communautaire est nécessairement sélectif et tributaire de considérations pratiques que l’on ne saurait mitiger dans le présent cas.
2. Les cas spécifiques qui ont été soumis à l’attention du Conseil n’ont pas révélé d’interventions abusives cherchant délibérément à exclure certaines tendances des ondes de la CTSI.
Ainsi, en ce qui concerne l’exclusion dont aurait été victime l’écrivain montagnaise Anne-Andrée Kapesh, le Conseil a pu vérifier que deux émissions traitant de sujets améridiens, l’une à caractère musical et l’autre social, ont été produites par le projet et diffusées par la CTSI.
De même, le Conseil estime que le refus de la direction de la CTSI de diffuser une émission portant sur les services dentaires gratuits aux assistés sociaux, et à laquelle l’Union des défavorisés de Sept-Iles était conviée, ne peut être interprété comme un geste de censure. Il est plutôt apparu au Conseil que ses concepteurs ont préféré l’abandonner lorsque M. Scanlan, directeur de la CTSI, a exigé que les dentistes et le ministère des Affaires sociales soient représentés lors de l’émission. A ce sujet, le Conseil considère que cette exigence de M. Scanlan n’était que légitime en regard du droit du public à une information équilibrée et équitable et il déplore que les concepteurs du projet en soient arrivés à la solution de laisser tomber cette émission plutôt que d’effectuer un compromis, selon le Conseil, acceptable, ce qui a pu avoir pour résultat de priver la communauté d’une source d’information sur un sujet à caractère social susceptible de l’intéresser au plus haut point.
3. Enfin, on n’a pas démontré au Conseil que les groupes communautaires, dont il est fait mention dans cette plainte, sont systématiquement exclus de la programmation de la CTSI. Si c’était le cas, il y aurait sous doute lieu de s’inquiéter et de s’interroger sur les critères d’accès aux ondes du canal communautaire de cette station.
4. La CTSI définit une émission communautaire comme étant toute production préparée et réalisée par et pour les citoyens de la communauté à partir des ressources humaines qu’elle renferme et, orientée vers des objectifs communautaires. Les concepteurs d’émissions de ce type disposent gratuitement d’une période d’antenne d’une heure par jour, du lundi au vendredi, pour diffuser l’émission ainsi préparée. Cette politique semble conforme aux objectifs communautaires et les plaignants n’ont pas démontré au Conseil que la CTSI, d’une façon générale, a fait preuve de parti pris idéologique et d’ostracisme dans l’application de ces principes.
Analyse de la décision
- C02F Création/retrait de rubriques/d’émissions