Plaignant
Le Regroupement national des lesbiennes et gais du Québec
Représentant du plaignant
M. Yvon Thivierge
(secrétaire, Regroupement national des lesbiennes et gais du Québec)
Mis en cause
La Presse [Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Jean Sisto (éditeur
adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans son édition du 25 août 1978, La Presse coiffe du titre «On est fâché, fâché…» une lettre ouverte concernant l’annulation d’un stage sur l’homosexualité organisé par l’Office franco-québécois pour la jeunesse. Ce titre discriminatoire risque de perpétuer l’ostracisme à l’endroit des homosexuels. De plus, La Presse porte atteinte à la liberté d’expression en refusant de publier une annonce du mouvement Jeunesse gaie de Montréal.
Griefs du plaignant
Le Conseil a terminé l’étude d’une plainte portée par le Regroupement national des lesbiennes et gais du Québec (RNLGQ) contre le quotidien La Presse concernant le titre «On est fâché, fâché…» coiffant une lettre de la tribune des lecteurs traitant du refus de l’Office franco-québécois pour la jeunesse, section française, de respecter sa décision relative au stage en France sur l’homosexualité. Selon le plaignant, cette formulation «visait à ridiculiser une communauté toute entière, en fonction de modèles sexistes et stéréotypés d’hommes agressifs et dominateurs et de femmes passives et soumises.» A ce grief, que le plaignant considérait comme une illustration de l’attitude de La Presse à perpétuer l’ostracisme à l’endroit de la collectivité gaie, s’ajoutait le refus de votre quotidien de publiser, au mois de juillet 1978, une annonce classée de Jeunesse gaie de Montréal. Le plaignant considérait qu’un tel refus est injuste et discriminatoire, La Presse ayant déclaré «ne pas accepter ce genre d’annonce» dont le texte présenté se lisait comme suit: «Gai(e) et moins de 21 ans? Joignez la Jeunesse gaie de Montréal». Suivaient l’adresse et le numéro de téléphone du groupe.
Commentaires du mis en cause
Vous faisiez remarquer au Conseil, dans votre lettre du 13 février 1979 que, quant à vous, le titre reproché «est une expression bien connue, et souvent employée, pour souligner de façon ironique que l’on se fâche pour rien». Commentant le refus de La Presse de publier l’annonce en question, vous attiriez l’attention du Conseil sur la décision de la Commission des droits de la personne de fermer le dossier dans ce même cas. Les raisons invoquées par la Commission étaient à l’effet que La Presse a une politique de publication des avis personnels dont les conditions n’étaient pas contraires à la Charte des droits de l’Homme et auxquelles le libellé de l’annonce ne satisfaisait pas.
Analyse
Le Conseil est d’avis que l’utilisation de l’expression « On est fâché, fâché… » coiffant la lettre du lecteur en question était inapproprié. Selon le Conseil et suivant votre propre définition de l’expression « pour souligner de façon ironique que l’on se fâche pour rien », le titre ne rendait vraiment pas justice à l’esprit et au contenu de ladite lettre. Il pouvait avoir pour effet de déprécier et de ridiculiser les individus visés. La presse devrait éviter de telles attitudes propres à cultiver les préjugés contre la personne que, par ailleurs, souvent elle dénonce et qui sont encore trop nombreux dans une société qui seveut respectueuse de la personne et de sa liberté. Par ailleurs, le Conseil considère que, comme n’importe lequel groupe, le Regroupement national des lesbiennes et gais du Québec ne peut prétendre avoir accès de plein droit aux pages publicitaires d’un organe d’information. Conséquemment à la pratique de la presse, les décisions à cet égard relèvent en effet de l’éditeur dont c’est la prérogative d’établir la politique de l’organe d’information en matière de publicité. L’exercice de cette prérogative découle de la liberté d’opinion de l’éditeur et le Conseil ne saurait blâmer la direction du quotidien La Presse d’avoir refusé ladite publicité. En outre, le Conseil a pu aussi constater que la politique de publication des annonces classées du quotidien La Presse ne menace pas le droit du public à l’information puisqu’il a déjà publié, à plusieurs reprises dans ses pages, des annonces classées provenant de groupes gais. Le Conseil estime toutefois que, malgré la latitude dont jouit l’éditeur de par sa fonction au sein des organes d’information, ses jugements d’appréciation en matière de publicité doivent, dans une société qui se veut ouverte et progressiste, faire preuve de l’ouverture d’esprit nécessaire à la presse, dont la fonction d’informer comporte aussi le devoir de favoriser l’expression des libertés individuelles et collectives.
Analyse de la décision
- C10A Choix de la publicité
- C10D Refus de publier
- C11F Titre/présentation de l’information
- C18D Discrimination