Plaignant
Un groupe
d’éducateurs et de citoyens de Duberger
Représentant du plaignant
Mme Monique Beaudoin
(représentante, groupe d’éducateurs et de citoyens de Duberger)
Mis en cause
Le Journal de
Québec, M. Michel Trudeau (gérant de la rédaction) et M. Eddie Labrie
(journaliste)
Résumé de la plainte
Une certaine
presse exploite le fait divers criminel de manière éhontée. Le Journal de
Québec et le journaliste Eddie Labrie, notamment, accordent un traitement
sensationnaliste au drame qui a marqué une mère de famille et son fils. Cette
affaire a également été rapportée par d’autres médias, avec moult détails
souvent scabreux. Les médias, particulièrement Le Journal de Québec, devraient
passer sous silence le procès de la mère en question, par respect à l’égard des
personnes concernées.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a complété l’examen de la plainte dont vous le saisissiez au nom d’un
groupe d’éducateurs et de citoyens de Duberger contre Le Journal de Québec et
monsieur Eddie Labrie, journaliste, dans laquelle vous dénonciez, d’une façon
générale, «l’exploitation éhontée» par une certaine presse du fait divers
criminel.
Vous attiriez, plus
précisément, l’attention du Conseil sur le traitement accordé par Le Journal de
Québec au drame qui a marqué une mère de famille de Duberger et son jeune fils,
drame qui a aussi fait, indiquiez-vous au Conseil, l’objet de la manchette
d’autres journaux de même que de la radio et de la télévision avec moult
détails souvent scabreux.
Vous vous en
preniez au fait que des journalistes, «au nom même de la liberté d’expression,
s’arrogent et souvent même outrepassent ainsi des droits que la morale la plus
élémentaire réfute sans procès». Evoquant aussi l’année internationale de
l’enfant puisque, dans ce cas, les premières victimes d’un tel traitement
journalistique étaient des enfants (la victime – ses compagnons de classe),
vous réclamiez une intervention législative qui mettrait terme à «l’infamie» de
ce genre d’information.
Enfin, vous
indiquiez au Conseil que vos démarches tant auprès du gérant de la rédaction au
Journal de Québec, monsieur Michel Trudeau que de monsieur Eddie Labrie, pour
qu’ils cessent de publier des articles à caractère sensationnel sur le drame en
question, sont restées lettre morte. Ces démarches avaient pour but d’éviter
des tribulations inutiles à la famille et aux enfants touchés par ce drame et
aussi d’empêcher que des articles de ce genre n’aient un effet d’entraînement.
Pour les mêmes motifs vous demandiez aussi, au Journal de Québec de garder le
silence autour du procès de la mère de famille en question.
Analyse
Le Conseil est d’avis que lorsque la presse juge pertinent d’informer le public sur les aspects d’intérêt public que peuvent présenter des situations de la nature du sujet traité dans Le Journal de Québec, elle doit le faire avec toute la circonspection qu’exige d’elle sa responsabilité sociale en vue justement de prévenir les effets nocifs que vous évoquez dans votre plainte. A cet égard, le Conseil ne saurait trop insister, comme il l’a d’ailleurs fait à plusieurs reprises dans le passé, sur l’importance pour la presse de redoubler de prudence lorsque sont impliqués dans des drames, soit comme accusés, victimes ou témoins d’événements traumatisants, des enfants ou des personnes mineures; ceci, justement en vue de leur éviter, ainsi qu’à leur famille, des épreuves inutiles et de ne pas compromettre leurs chances de réinsertion sociale et familiale.
Or, il est apparu, dans ce cas, au Conseil, que Le Journal de Québec, par sa façon de traiter l’événement en question, s’est acquitté de sa fonction d’informateur public de façon responsable.
On ne peut, en effet, faire reproche au Journal de Québec d’avoir eu recours, dans ce cas, au sensationnalisme dans l’espoir de retenir la curiosité du public sur les aspects morbides ou spectaculaires du drame plutôt que de l’informer sur les aspects d’intérêt public que pouvait contenir l’événement. Le Conseil n’est pas d’avis non plus que Le Journal de Québec a accordé une importance démesurée à la nouvelle en question par rapport au degré d’intérêt public qu’elle contenait. Il est même d’avis que, dans ce cas, Le Journal de Québec a abordé l’affaire en question avec humanité et déférence à l’endroit des personnes.
Le Conseil est sensible aux appréhensions de votre groupe vis-à-vis les effets nocifs (épreuves, peine, ennuis, effets d’entraînement) de ce genre d’information. Cependant, même en tenant compte que la nature de tels sujets se prête à des révélations brutales dont le caractère peut effectivement confiner à un certain sadisme et à une certaine morbidité, le Conseil estime que la liberté de la presse serait gravement compromise et, partant le droit du public à l’information, si, dans sa façon d’aborder un sujet donné, la presse devait se plier à quelque philosophie ou courant d’idées, fussent-ils de l’Etat, de groupes de pression ou de tout autre mouvement, de s’en faire le porte-parole ou d’adhérer à leur conception des choses. Par exemple, si un groupe comme le vôtre peut craindre que des articles sur ce genre de drame puissent en entraîner la répétition, l’information les concernant peut aussi avoir comme effet de la prévenir et de l’empêcher.
Le Conseil ne croit pas non plus qu’une législation ou une réglementation, visant à interdire aux organes d’information de traiter de l’actualité judiciaire ou à leur dicter comment le faire, soit un remède adéquat ou même efficace. D’une part, la fonction d’informer serait, au sens du Conseil, en contradiction même avec la liberté de la presse si l’Etat avait la possibilité de l’entraver par une quelconque censure, en dictant le contenu de la rédaction ou de la programmation des organes d’information. D’autre part, en plus de comporter des risques sérieux d’atteinte au droit du public à l’information, il est loin d’être certain qu’une telle intervention assurera automatiquement une meilleure qualité de l’information. Le Conseil considère que tout contrôle en cette matière est une responsabilité qui doit être entièrement assumée par les professionnels de l’information. Par le traitement de l’information qu’ils diffusent, les organes d’information et les journalistes doivent s’assurer, en faisant preuve d’une grande rigueur professionnelle et d’un sens aigu de leur responsabilité sociale, qu’ils ne constituent pas eux-mêmes une menace pour les autres libertés et les autres droits tout aussi fondamentaux de la personne.
Le Conseil ne saurait enfin intervenir auprès du Journal de Québec pour lui interdire, comme vous le demandiez à ses responsables, de faire état du procès de la mère de famille en question. Bien que comprenant les motifs de votre intervention en ce sens, le Conseil est d’avis que l’administration de la justice étant du domaine public, c’est le devoir de la presse d’en informer la population conformément aux règles qui permettent aussi à la magistrature, lorsque des intérêts supérieurs le commandent, de tenir des procès à huis-clos. Le tout tient-il encore dans la façon dont la presse s’acquitte de cette fonction.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue