Plaignant
M. Jean-Jacques
Dragon
Mis en cause
Le Courrier de
Saint-Hyacinthe
Représentant du mis en cause
M. Pierre
Bornais (rédacteur en chef, Le Courrier de Saint-Hyacinthe)
Résumé de la plainte
Le Courrier de
Saint-Hyacinthe refuse de publier certaines lettres ouvertes du plaignant, portant
ainsi atteinte à sa liberté d’expression. Cette attitude s’explique par les
engagements sociaux et politiques du plaignant, qui lui valent l’inimitié de M.
Pierre Bornais, rédacteur en chef du Courrier, et de M. Denis Chartier,
président de la compagnie éditrice.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte dont vous le saisissiez concernant
plusieurs refus du Courrier de Saint-Hyacinthe de publier vos lettres ouvertes
dans la rubrique réservée aux lecteurs, entre autres, celle du 28 février à
l’adresse de monsieur Maurice Bellemare, député de la région à l’Assemblée
nationale, et celle du 22 mars 1979 à l’intention de monsieur Claude Poirier,
animateur à la station de radio CKVL de Montréal.
Selon vous, ces
refus «tout à fait injustes, sans motif sérieux… et parfois sans
explication», constituaient «une entrave à la libre expression de vos
opinions». Ils étaient dus, estimiez-vous, à vos engagements sociaux et
politiques dans la région qui vous valurent certaines inimitiés, notamment
celles de monsieur Pierre Bornais, rédacteur en chef de l’hebdomadaire, et de
monsieur Denis Chartier, président de la compagnie éditrice.
Commentaires du mis en cause
Pour sa part,
monsieur Pierre Bornais indiquait au Conseil que Le Courrier de Saint-Hyacinthe,
en plus d’imprimer gratuitement votre brochure intitulée «S.O.S. Vérité» qui
résumait vos opinions sur de nombreux sujets, avait publié de façon régulière
depuis 1974 plusieurs de vos lettres ouvertes dans la rubrique réservée aux
lecteurs. En outre, il vous avait confié, ajoutait-il, la responsabilité de la
chronique hebdomadaire «Un oeil sur l’actualité», expérience qui avait été
cependant de courte durée étant donné les difficultés rencontrées à satisfaire
vos exigences respectives.
Reconnaissant
que quelques-unes de vos lettres ouvertes n’avaient pas été publiées dans la
rubrique en question en raison «d’un manque d’espace dans un temps raisonnable
ou parce que leur sujet ne semblait pas pertinent» à la vocation régionale de
l’hebdomadaire, le rédacteur en chef exposait au Conseil qu’en aucun cas, à sa
connaissance, il n’avait exercé, tant à votre endroit qu’à celui de quelque
personne que ce soit, «des mesures tendant à refuser un droit qu’il avait été
le premier à demander pour les lecteurs du journal».
En outre, selon
monsieur Bornais, la non publication de votre lettre du 23 février 1979, à
l’adresse de monsieur Maurice Bellemare, était due au fait que tout le dossier
des lettres ouvertes, y incluant la vôtre, avait été malencontreusement égaré
au cours d’un déménagement de bureau. De plus, il vous avait offert, lors de
votre visite subséquente à son bureau, de publier votre lettre dans la
prochaine édition du journal à la condition cependant que vous lui en remettiez
copie. Or, ayant tenté à deux reprises, mais en vain, de communiquer avec vous
à cette fin, il répétait cette offre dans la lettre qu’il adressait au Conseil
le 13 juin 1979, offre qui vous a été communiquée par le Conseil mais que vous
avez refusée puisque vous ne vous estimiez «tout simplement pas satisfait des
explications de monsieur Bornais».
Quant à votre
lettre ouverte du 22 mars 1979 s’adressant à monsieur Claude Poirier, animateur
à CKVL (Montréal), le rédacteur en chef alléguait qu’il avait refusé de la
publier parce qu’elle était d’aucun intérêt pour les lecteurs du Courrier de
Saint-Hyacinthe, le sujet traité ne correspondant aucunement à la vocation
spécifique de l’hebdomadaire qui exige que «l’accent soit mis sur l’information
régionale».
Pour conclure,
le rédacteur en chef estimait qu’il serait intéressant «que le Conseil de
presse du Québec émette des directives générales sur le sujet des lettres
ouvertes car, si les tribunaux jugent de la question en se basant sur une
législation de plusieurs décennies, l’utilisation des lettres ouvertes doit
être soumise à un contrôle non seulement au chapitre des détails techniques,
mais aussi de la pertinence de la question abordée et du respect des hommes et
de événements».
Analyse
Comme il vous l’avait déjà mentionné dans sa lettre du 6 juin 1979, le Conseil considère qu’un individu ou un groupe ne peut prétendre avoir accès de plein droit à la rubrique d’un journal réservée aux lecteurs. Conséquemment à la pratique de la presse, les décisions à cet égard relèvent en effet de l’autorité rédactionnelle de l’éditeur ou de son mandataire dont c’est la prérogative d’établir la politique du journal en cette matière.
Le Conseil estime toutefois que, malgré la latitude dont jouit l’éditeur, de par sa fonction au sein d’un journal, ses jugements d’appréciation en matière de publication des lettres ouvertes doivent, dans une société qui se veut ouverte et progressiste, faire preuve de la largeur de vues nécessaire à la presse dont la fonction d’informer comporte aussi le devoir de favoriser l’expression des libertés individuelles et collectives. Si un journal a une rubrique réservée aux lecteurs, pratique que le Conseil encourage puisqu’en favorisant l’expression d’autant de points de vue que possible cela rehausse la qualité du journal, il devrait faire en sorte que l’accès du lecteur soit réel et effectif.
Or, le Conseil estime que les responsables du Courrier de Saint-Hyacinthe ont agi envers vous dans le plus grand respect de ces exigences puisqu’ils vous ont donné à multiples reprises comme ils l’ont démontré, liste à l’appui, l’occasion d’exprimer votre point de vue dans les pages de leur journal et qu’ils n’ont jamais, comme vous le reconnaissiez d’ailleurs vous-même dans votre lettre au Conseil du 14 juin 1979, opposé de refus systématique aux lettres que vous leur proposiez.
Ä cet égard, le Conseil ne peut que reconnaître la bonne foi des responsables du Courrier de Saint-Hyacinthe puisque, à son sens, vous n’avez pu lui démontrer pourquoi il ne saurait accorder crédit à leurs explications.
Le Conseil vous remercie d’avoir porté ce cas à son attention qui l’aidera dans sa recherche de solutions pratiques aux problèmes courants que semble soulever la publication des lettres du lecteur conformément au voeu exprimé par le rédacteur en chef du Courrier de Saint-Hyacinthe.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
Appelant
M. Jean-Jacques
Dragon
Décision en appel
En appel, le
Conseil maintient sa décision de première instance, le plaignant n’ayant pas
démontré en quoi le rédacteur en chef du Courrier de Saint-Hyacinthe aurait
manqué à son devoir et à sa responsabilité d’informateur public ou agi envers
lui contrairement aux règles de l’éthique journalistique.
En tenant compte
des obligations qu’imposent aux organes d’information leur devoir et leur
responsabilité d’informateur public, le Conseil ne saurait se substituer à
l’autorité rédactionnelle de ces derniers pour les obliger de quelque façon à
publier quelque lettre des lecteurs que ce soit. S’il s’immisçait dans de
telles décisions, le Conseil se transformerait en mécanisme de direction et
d’orientation de l’information contrairement au mandat et aux objectifs qui
sont les siens.