Plaignant
Mme Inge
Stephens
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et M. Léopold Lizotte (journaliste)
Résumé de la plainte
L’article du
journaliste Léopold Lizotte intitulé «Un transsexué « en panne » n’est
pas un invalide», paru dans l’édition du 13 juin 1979 de La Presse, ridiculise
la situation de la plaignante sous prétexte de faire une compte rendu d’un
jugement la concernant. Les interprétations du journaliste déforment le sens du
jugement en question en plus de porter préjudice à la plaignante, qui songe à
porter sa cause en appel.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse du Québec a terminé l’étude de la plainte de madame Inge Stephens contre
La Presse et monsieur Léopold Lizotte, journaliste, concernant l’article paru
sous la signature de ce dernier dans l’édition du 13 juin 1979 de ce journal.
Cet article intitulé «Un transsexué « en panne » n’est pas un invalide»
se voulait un compte rendu du jugement concernant madame Stephens, prononcé en
cour supérieure le 11 juin 1979 par l’honorable juge Maurice Archambault.
Madame Stephens
dénonçait «le jaunisme bien camouflé» du journaliste qui en prétendant faire un
compte rendu du jugement en question ridiculisait la situation «en y insérant subtilement
la coloration de ses préjugés» notamment par l’emploi de mots et d’expressions
tels que «transsexué en panne», «déboussolé», «il est malheureux parce que sans
être tout à fait un homme, il n’est pas encore une femme», etc. qui, selon
elle, ne sont que «pures inventions qui n’ont rien à voir avec le jugement».
De plus, les
interprétations du journaliste ont eu comme effet, selon madame Stephens, de
déformer le sens du jugement en question, le juge s’étant limité dans sa décision
à lui reconnaître une certaine invalidité «psychique plutôt que physique» sans
conclure cependant qu’elle était apte à remplir certains emplois. Cette
dernière interprétation du journaliste qu’elle considérait comme du salissage
lui apparaissait d’autant plus de conséquence qu’elle pouvait éventuellement
influencer l’issue d’un recours en appel de cette décision judiciaire.
Commentaires du mis en cause
Reconnaissant
qu’une certaine ironie pouvait effectivement se dégager de son texte, monsieur
Lizotte prétendait par ailleurs qu’il avait rapporté fidèlement le jugement en
question dans une forme propre au style journalistique, ne se croyant pas tenu
de citer textuellement les propos du juge à la façon d’un recueil judiciaire.
Analyse
Le Conseil est d’avis d’une part que dans l’accomplissement de sa tâche, la presse doit faire en sorte que son information soit vivante, dynamique et susceptible d’éveiller l’attention du lecteur. Il ne peut donc faire grief au journaliste, dans le présent cas, d’avoir traité l’événement en question dans un style propre à rendre la nouvelle intéressante.
Néanmoins, le Conseil estime que la presse doit, tant par le ton que par le vocabulaire qu’elle emploie dans ses écrits, demeurer toujours soucieuse du respect dû aux personnes et éviter de galvauder les situations dans lesquelles elles se trouvent et qui sont susceptibles d’attirer sur elles la raillerie ou encore d’alimenter à leur égard les préjugés populaires. Le Conseil est d’avis que l’ironie qui se dégage de l’article en question a pu justement avoir pour effet de ridiculiser les transsexuels en général et madame Stephens en particulier, même si le journaliste, dans ce cas, a pris la précaution de ne l’identifier que par son prénom.
Le Conseil bien sûr n’a pas à établir de lexique des termes que la presse doit employer ou éviter. Cependant, il considère que celle-ci devrait, avec grande rigueur, en mesurer la portée et manifester à l’endroit des personnes de l’humanité et de la déférence plutôt que de mettre l’accent sur les aspects spectaculaires et sensationnels des situations dont elles sont souvent victimes.
Malgré ces manquements, le Conseil n’estime pas toutefois que le reportage de monsieur Lizotte ait eu comme effet de mal informer le public sur le sens du jugement qu’il commentait ou qu’il en ait fait une interprétation qui pouvait compromettre les intérêts que défend madame Stephens.
Le Conseil n’est pas non plus d’avis que le présent cas constitue l’illustration d’une habitude qu’on voudrait imputer au journal La Presse de traiter avec légèreté des situations comme celle qui a fait l’objet de la présente plainte. Le Conseil est-il d’avis au contraire que La Presse démontre de façon coutumière une grande rigueur. Aussi, le lecteur a-t-il pu se rendre compte que La Presse avait publié, dans son édition du 10 juillet 1979, un reportage, signé par madame Jeanne Desrochers concernant madame Stephens, qui est apparu au Conseil comme conforme aux règles de l’art.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C11C Déformation des faits
- C17D Discréditer/ridiculiser