Plaignant
Direct Film
Représentant du plaignant
M. Raoul Malouin
(vice-président des services administratifs, Direct Film)
Mis en cause
CBFT-TV [SRC,
Montréal], M. Roger Laporte (journaliste) et M. Michel Chalvin (réalisateur)
Représentant du mis en cause
M. Marc Thibault
(directeur de l’information, Société Radio-Canada [Montréal])
Résumé de la plainte
Les émissions
«Montréal Express» et «Ce Soir» du 18 avril 1979 traitent avec partialité le
conflit qui oppose Direct Film à la Confédération des syndicats nationaux. Les
journalistes de Radio-Canada laissent la CSN formuler des allégations
mensongères et accusent, à tort, Direct Film d’intimider ses employés. Ce
faisant, ils endossent les positions de la CSN et portent préjudice à Direct
Film. L’émission «Montréal Express» diffusée le 20 avril rapporte la version
des faits de Direct Film de manière insatisfaisante. Enfin, Radio-Canada ne
répond pas à la demande de cette entreprise de disposer d’un temps d’antenne
équivalent à celui consenti à la CSN.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte dont le saisissait monsieur Raoul
Malouin, vice-président des services administratifs de Direct Film Inc.,
concernant le traitement journalistique accordé à cette compagnie par la
Société Radio-Canada dans le conflit l’opposant à la Confédération des
syndicats nationaux (CSN) au cours des émissions «Montréal Express» et «Ce
Soir» du 18 avril 1979.
Le plaignant
estimait, d’une part, qu’en laissant dire au représentant de la CSN que les
employés d’Etco Photo, membres de la CSN, gagnaient en moyenne entre trois
dollars et trois dollars soixante-quinze de plus l’heure que les employés de
Direct Film, la Société Radio-Canada «a manqué à l’éthique professionnelle la
plus élémentaire du journalisme». Selon lui, en effet, une simple vérification
des faits aurait convaincu la Société Radio-Canada que la différence des
salaires payés par les deux compagnies n’était pas aussi grande qu’affirmait le
représentant de la CSN, mais même, dans bien des cas, favorisait les employés
de Direct Film; ce qui lui aurait permis de corriger «l’extravagance d’une
information fausse et mensongère».
D’autre part,
monsieur Malouin reprochait aux journalistes d’avoir prétendu que la direction
de Direct Film avait intimidé les employés de ses laboratoires et de ses
magasins et avait agi illégalement alors que, selon lui, les textes que les
journalistes affirmaient détenir pour appuyer leurs dires démontraient
clairement la neutralité de l’entreprise. Selon monsieur Malouin, en endossant
ainsi les accusations non vérifiées et non fondées de la CSN, la Société
Radio-Canada aurait nui à la réputation de Direct Film.
Enfin, le
plaignant déplorait que la version des faits de Direct Film, dont fit état la
Société Radio-Canada au cours de l’émission «Montréal Express» du 20 avril, fut
rapportée «du bout des lèvres et de façon à donner encore plus de poids aux
accusations de la CSN» et cela, malgré que monsieur Adrien Castegnier,
directeur général de la compagnie, ait énoncé clairement les faits au cours
d’une entrevue téléphonique donnée la veille au journaliste de Radio-Canada,
monsieur Roger Laporte. Monsieur Malouin reprochait aussi à la Société
Radio-Canada de ne pas avoir donné de suite à sa lettre du 20 avril, adressée à
monsieur Michel Chalvin, réalisateur, dans laquelle il demandait à ce dernier
de rectifier les faits dans les plus brefs délais en y consacrant un temps
d’antenne équivalent à celui consenti au total à la CSN.
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, vous admettiez, d’une manière générale, que la Société
Radio-Canada n’avait pas traité ce dossier «d’une façon exhaustive et
rigoureuse» et conveniez que «la partie patronale au conflit (Direct Film Inc.)
n’y avait pas eu la meilleure part».
Vous faisiez
tout d’abord remarquer au Conseil que les journalistes de la Société
Radio-Canada n’avaient jamais repris à leur compte l’affirmation du
représentant de la CSN, faite au cours de l’émission «Montréal Express» du 18
avril, selon laquelle les employés d’Etco Photo gagnaient un salaire horaire
beaucoup plus élevé que celui offert par Direct Film. «Etait-ce là leur rôle de
mettre en doute cette affirmation de la CSN? Dans une démarche journalistique
très poussée, cela irait de soi. Mais dans le processus quotidien d’une
information succincte à assurer sur les éléments essentiels d’un dossier,
certainement pas», indiquiez-vous au Conseil.
Vous
reconnaissiez, d’autre part, que la Société Radio-Canada aurait dû présenter
l’information diffusée au cours des émissions «Montréal Express» et «Ce Soir»
«sans se prononcer elle-même sur le fond du litige et porter jugement» en décrétant
que «l’entreprise se livrait illégalement à des tactiques d’intimidation contre
ses employés». «Seul en effet, indiquiez-vous, un tribunal peut rendre un
verdict catégorique comme celui-là, d’autant plus que la CSN elle-même, qui se
faisait fort d’accuser Direct Film, annonçait du même coup son intention de le
saisir de ses accusations et d’en faire la preuve en temps opportun». Ä cet
égard, vous faisiez aussi valoir au Conseil qu’il peut arriver, dans le cadre
d’une émission en direct dont la cadence est souvent accélérée, que «des
journalistes même d’expérience soient pris au dépourvu par une question de
l’animateur et fassent une affirmation qui dépasse leur pensée». Ceci semblait
avoir été le cas, souteniez-vous, durant l’émission «Montréal Express» alors
que le reporter «était vraisemblablement un peu conditionné par tout ce qu’il
avait vu et entendu lors de la conférence de presse de la CSN».
Enfin, en
admettant que la diffusion de la version des faits de Direct Film, lors de
l’émission «Montréal Express» du 20 avril, avait été «fort sommaire» et que le
texte résumant sa réaction «aurait pu être plus étoffé», vous attiriez
l’attention du Conseil sur le fait que l’accès aux ondes de Radio-Canada
n’avait jamais été refusé au représentant de cette compagnie. Cette dernière,
souteniez-vous, aurait eu un temps d’antenne comparable à celui du porte-parole
de la CSN si son directeur général avait apporté «un démenti public en bonne et
due forme» aux accusations de la CSN et «répondu aux questions très précises
qui se posaient sur des agissements fort troublants de la compagnie à
l’occasion de la campagne de syndicalisation de la CSN parmi ses employés».
Analyse
Le Conseil a pris bonne note d’une part du fait que Radio-Canada n’a pas repris à son compte l’affirmation du représentant de la CSN à l’effet que les employés d’Etco Photo avaient un salaire horaire beaucoup plus élevé que les employés de Direct Film. Il ne peut non plus faire grief aux responsables du reportage en question d’avoir laissé ce représentant s’exprimer sur les prétentions de la centrale syndicale.
Le Conseil s’interroge toutefois sur la valeur réelle de l’explication du directeur de l’information de la Société Radio-Canada à savoir que ce n’était «certainement pas» le rôle des journalistes de mettre en doute ladite affirmation «dans le processus quotidien d’une information succincte à assurer sur les éléments essentiels d’un dossier». Même dans un tel contexte, n’est-ce pas la responsabilité première d’un professionnel de l’information de prendre toutes les précautions possibles pour transmettre au public l’information la plus rigoureuse qui soit?
Le Conseil considère aussi que, tant par le jugement porté par le journaliste sur le comportement de Direct Film que par le peu de cas qu’elle a fait de la version des faits proposée par cette entreprise, la Société Radio- Canada n’a pas agi avec toute la rigueur qu’imposent à la presse sa responsabilité d’informateur public et le respect du droit du public à une information complète et impartiale.
Selon le Conseil, ces manquements ont pu avoir pour effet d’entretenir une confusion préjudiciable à la réputation de Direct Film auprès du public en plus d’empêcher celui-ci de se faire une idée aussi juste que possible de l’événement en question, faute d’une représentation fidèle de la situation.
Il est possible que le manque de rigueur dénoté dans ce cas soit imputable aux contraintes inhérentes à la mise en ondes d’une émission en direct. Ces contraintes qui peuvent expliquer certains manquements ne sauraient toutefois être invoquées comme excuses pour transmettre au public une information inadéquate. Elles devraient inciter les organes d’information à redoubler de vigilance dans la confection de leurs reportages.
Enfin, le Conseil a pris bonne note que la Société Radio-Canada n’a pas refusé l’accès à ses ondes au directeur général de Direct Film et qu’elle s’est dite prête à lui accorder «un traitement comparable à celui du porte-parole de la CSN» à la condition qu’il apportât «un démenti public en bonne et due forme» et répondît à des questions très précises.
Comme vous l’avez admis d’une part dans votre lettre du 28 août, le texte diffusé par la Société Radio-Canada résumait à sa plus simple expression la position de Direct Film. D’autre part, rien n’indique non plus que le directeur général de la compagnie ait refusé de répondre à quelque question de la Société Radio-Canada; le plaignant prétendant même que le directeur général de l’entreprise, monsieur Castegnier, avait rétabli clairement les faits au cours de l’entrevue qu’il accordait à monsieur Roger Laporte le 19 avril.
Le Conseil estime que ladite entrevue de même que la lettre que faisait tenir le plaignant le 20 avril à monsieur Michel Chalvin, constituaient des formes de démenti dont la Société Radio-Canada n’aurait dû négliger l’importance dans son souci de mieux informer le public sur le véritable état du conflit opposant Direct Film à la Confédération des syndicats nationaux.
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C09B Droit de réponse insatisfaisant
- C11C Déformation des faits
- C11G Rapporter des propos/témoignages erronés
- C15D Manque de vérification