Plaignant
M. Guy Cloutier
(poète et écrivain)
Mis en cause
Le Soleil
[Québec] et M. Louis-Guy Lemieux (critique)
Représentant du mis en cause
M. Claude
Beauchamp (rédacteur en chef et éditeur adjoint, Le Soleil [Québec])
Résumé de la plainte
Le journaliste
Louis-Guy Lemieux accorde peu d’attention à la nuit de la poésie, tenue à
Québec le 23 juin 1979, puis signe dans l’édition du 26 juin du Soleil une
critique déficiente intitulée «… et les absents remarqués à la nuit de la
poésie». Le Soleil refuse de publier la lettre ouverte du plaignant visant à
corriger les inexactitudes de cette critique.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a complété l’examen de la plainte de M. Guy Cloutier contre M. Louis-Guy
Lemieux, journaliste, et le journal Le Soleil.
M. Cloutier
reprochait d’une part au journal Le Soleil de n’avoir pas publié, dans sa rubrique
consacrée au courrier des lecteurs, une lettre par laquelle il tentait de
corriger l’impression qu’avait pu, selon lui, laisser aux lecteurs les propos
de M. Louis-Guy Lemieux parus sous le titre, «… et les absents remarqués à la
nuit de la poésie», le 26 juin 1979. Selon le plaignant, certains faits
rapportés d’une façon inexacte par M. Lemieux pouvaient porter atteinte à la
réputation professionnelle des participants à la nuit de la poésie du 23
précédent.
Cette plainte,
indiquait-il au Conseil d’autre part, ne pouvait se limiter au seul fait de la
non-publication de sa lettre, mais portait également sur «des principes qui
concernent directement l’exercice du métier de journaliste et le droit du
public d’être informé par des gens qui ont, sinon la compétence, le respect de
leurs tâches». Aussi reprochait-il plus particulièrement à M. Lemieux d’avoir
assisté de loin au récital en question «dans les coulisses à l’étage supérieur»
et dans des conditions qui rendaient difficile la plus simple audition. En
fait, selon lui, M. Lemieux n’aurait assisté qu’à la toute fin du récital, et
encore là, à l’extérieur de la salle où se déroulait le spectacle, devant
l’écran géant qui le reproduisait, installé pour l’occasion. Le peu d’attention
qu’il avait, partant, accordé à cette nuit de la poésie expliquerait, selon le
plaignant, la représentation erronée de certains faits contenus dans son
article.
Commentaires du mis en cause
Vous indiquiez,
pour votre part, au Conseil que si Le Soleil n’avait pas publié la lettre de M.
Cloutier c’était qu’elle ne correspondait pas à certaines des conditions de la
politique de publication des lettres des lecteurs de ce journal. Vous affirmiez
au Conseil que si le plaignant en avait extirpé les attaques personnelles à
l’endroit du journaliste et qu’il l’ait identifiée conformément aux exigences
habituelles du journal, ce dernier l’aurait publié volontiers.
Réplique du plaignant
En contrepartie,
M. Cloutier estimait que «s’il y a eu attaques personnelles c’est parce que M.
Lemieux a fait intervenir des éléments de sa personnalité qui ne peuvent être
ignorés si on veut comprendre la portée de son article». Aussi, le litige en
question résidait-il non pas dans sa lettre, mais dans «la prétention de M.
Lemieux à pouvoir écrire n’importe quoi tout en étant à l’abri des
contradicteurs éventuels, derrière l’impunité journalistique et la bénédiction
de la direction du journal». Pour cette raison, il se refusait à changer
quelque détail que ce soit à sa lettre, si ce n’est qu’y ajouter son adresse et
son numéro de téléphone.
Analyse
Fidèle à ses déclarations répétées, le Conseil estime, d’une part, que nul ne peut prétendre avoir accès de plein droit à la tribune réservée aux lecteurs d’un journal; la politique de publication des lettres des lecteurs relevant à la fois de la prérogative et de la responsabilité de l’éditeur.
Le Conseil considère d’une part que, dans le présent cas, votre choix rédactionnel de ne pas publier la lettre du plaignant pour le motif que, selon vous, elle contenait des attaques personnelles à l’endroit de l’auteur de la critique en question était justifiable en raison de votre prérogative d’éditeur.
Cependant, le Conseil estime que, malgré la latitude dont jouit un éditeur en pareille matière, ses jugements d’appréciation des lettres des lecteurs doivent demeurer conformes à sa responsabilité d’informateur public soucieux de renseigner adéquatement ses lecteurs tout en favorisant l’expression du plus grand nombre de points de vue possible.
Or, le Conseil est d’avis que la lettre du plaignant est exempte des attaques personnelles que vous avez invoquées comme raison pour ne pas la publier et que sa publication aurait mieux répondu aux exigences du droit du public à l’information.
Les considérations suivantes ont retenu l’attention du Conseil quant au second aspect de la plainte de M. Cloutier dans lequel il mettait en doute la compétence professionnelle et la qualité du travail de M. Lemieux.
Le genre journalistique que constitue la critique, tout comme la chronique qui tient davantage de l’éditorial et du commentaire que de l’information stricte, laisse à son auteur une grande discrétion dans l’expression de ses prises de position et de ses points de vue.
On ne saurait en effet exiger de ceux qui exercent les fonctions de critique, de chroniqueur ou d’éditorialiste qu’ils véhiculent dans leurs écrits des messages qui épousent intégralement l’image et le sens que veulent donner à leurs actions des individus ou des groupes, sans compromettre la liberté d’expression, la liberté d’opinion et partant la liberté de la presse et le droit du public à l’information.
Ceci dit, et d’autre part, quiconque a le droit strict de s’attendre à ce que la presse ne présente pas de lui une image déformée. De même les professionnels de l’information ne peuvent-ils, même par le truchement des genres journalistiques énumérés, renoncer aux exigences de rigueur et d’exactitude que leur impartissent leur fonction et leur responsabilité d’informateur public.
Or, malgré les inexactitudes telles l’absence de certaines personnes qui, effectivement, auraient été présentes à la nuit de la poésie, inexactitudes qui méritent, il est sûr, à l’auteur de la chronique le blâme d’avoir manqué de rigueur sur ce point, il n’est apparu au Conseil que ce seul manque ait faussé le sens de la critique du journaliste au point de transmettre au public une perception trompeuse ou mensongère de la nuit de la poésie.
Puisqu’il s’agit en effet d’un article de critique et non d’une article d’information stricte, il va de soi que les commentaires qu’on y retrouve reflètent les perceptions et les sentiments de l’auteur, lesquels sont matière d’opinion et relèvent de l’exercice normal de sa liberté d’expression.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C11B Information inexacte