Plaignant
Mme Carole
Choinière, M. Yvon Parent et M. Marc Voinson (membres, Kiseokimaw, Kaitac,
Neworisiwa)
Représentant du plaignant
M. Pierre Lepage
(représentant, Commission des droits de la personne du Québec [service de
l’éducation])
Mis en cause
Le Journal de
Montréal et Mme Laurence Richard (chroniqueuse)
Résumé de la plainte
La chronique «Il
était une fois le Québec» de la journaliste Laurence Richard, publiée par Le
Journal de Montréal du 23 mai au 27 juin 1979, contribue à perpétuer une image
négative et déformée des Amérindiens. Les textes «Les Indiens mangeaient
leurs… femmes» (23 mai), «Champlain avait un faible pour les petites
Indiennes» (11 juin) et «Des Indiennes nues tentaient de séduire le Frère
Sagard» (18 juin), notamment, ne constituent qu’une recherche de
sensationnalisme. Ainsi, une publicité parue dans ce journal le 11 septembre
1979 annonce: «L’histoire du Québec dans ses détails les plus intimes vous est
révélée par Laurence Richard dans le Supplément du samedi».
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse du Québec a terminé l’étude de la plainte de Mme Carole Choinière, MM.
Marc Voinson, Yvon Parent et Pierre Lepage, responsables du projet Kiseokimaw,
Kaitac, Neworisiwa, qui dénonçaient la chronique intitulée: «Il était une fois
le Québec» de Mme Laurence Richard que publiait Le Journal de Montréal au cours
de la période du 23 mai au 27 juin 1979.
Les plaignants reprochaient
à ce type de chronique de contribuer à perpétuer une image négative et déformée
de l’Amérindien qui porte atteinte à sa dignité et à sa réputation.
Plus
spécifiquement, ils attiraient l’attention du Conseil sur les articles du 23
mai 1979: «Les Indiens mangeaient leurs… femmes», du 11 juin: «Champlain
avait un faible pour les petites Indiennes» et du 18 juin: «Des Indiennes nues
tentaient de séduire le Frère Sagard», lesquels, en mettant en relief une série
d’informations et de faits isolés sans aucun rapport les uns avec les autres et
sortis de leur contexte, ne constituaient qu’une recherche évidente de
sensationnalisme comme tendrait aussi à le démontrer un texte publicitaire paru
dans l’édition du 11 septembre 1979 du même journal annonçant «L’histoire du
Québec dans ses détails les plus intimes vous est révélée par Laurence Richard
dans le Supplément du samedi».
Le choix des
informations relevées par Mme Richard dans sa chronique n’avait, de toute
évidence selon les plaignants, d’autre but que de piquer la curiosité du
lecteur et son goût de l’exotisme, alors qu’il ne s’agissait là que de
banalités qui n’apportent rien à la compréhension des sociétés amérindiennes et
de l’histoire; au contraire, l’auteur ne réussissant qu’à reproduire fidèlement
le vieux stéréotype de l’Indien «sauvage et barbare».
Tout en
reconnaissant le souci fort louable de l’auteur de la chronique en question et
du journal d’agrémenter l’information, les responsables du projet en question
considéraient que celle-ci ne saurait par ailleurs «aucunement primer sur le
droit du public à une information honnête et complète non plus que sur le droit
des Amérindiens de voir projeter d’eux, par les médias, une image stéréotypée
contraire à leur dignité».
Commentaires du mis en cause
Ayant puisé à
des sources historiques directes, sérieuses et dignes de foi telles les
Cartier, Champlain et le Frère Sagard, Mme Richard faisait valoir au Conseil
qu’elle avait tenté par quelques anecdotes susceptibles d’intéresser les
lecteurs du Journal de Montréal de décrire comment vivaient les Indiens de
cette époque et comment étaient perçues leurs moeurs sociales et amoureuses par
les premiers Français arrivés en Amérique. D’autre part, ces anecdotes de la
petite histoire du Québec concernaient non seulement les Indiens, mais tout
autant les Français que les Anglais. Taire ces sources, même si certaines
d’entre elles peuvent être encombrantes, soutenait-elle, sous prétexte qu’elles
contribuent à présenter une image négative ou déformée de l’amérindien, serait
non seulement appauvrir considérablement notre histoire de récits authentiques,
mais au détriment même de la vérité historique. En outre, cela serait contraire
au principe de la liberté de la presse.
De plus, ayant
pris soin d’écarter de ses chroniques l’image négative et défavorable exploitée
par certains historiens, Mme Richard estimait plutôt avoir contribué à faire
découvrir au lecteur «l’Indien vivant de façon naturelle et spontanée, sans les
préjugés ou jugements moraux des chrétiens dans et par Dame Nature, et pas
toujours dans des conditions de vie facile». Elle estimait avoir rapporté
honnêtement, dans le plus strict respect de leur vérité historique, des faits
par ailleurs aucunement susceptibles, selon elle, de compromettre «la cause
noble de la dignité de l’Indien» qui vise à corriger les images réellement
déformées de notre histoire.
Bien que ne
partageant pas effectivement les restrictions des plaignants sur les effets de
ces articles, Mme Richard s’engageait cependant à être plus circonspecte sur ce
sujet à l’avenir. Ses textes ne lui apparaissaient pas mériter les griefs que
l’on pouvait formuler à l’endroit de certains des titres que leur avait accordé
Le Journal de Montréal dont elle reconnaissait le caractère «quelque peu
tendancieux, choquant même, et justement peut-être sujets à reproduire cette
image dont parlent les plaignants».
Enfin, tout en
convenant qu’une thèse sur le sujet aurait été plus complète, Mme Richard
signalait au Conseil que la formule adoptée des paragraphes courts, parfois
sans lien de conséquence, était plus adaptée au Journal de Montréal dont les
lecteurs ne se plairaient guère dans une formule longue, académique.
Analyse
Le Conseil de presse du Québec, d’une part, n’a pas à se prononcer sur le débat de fond qu’illustre le présent cas, lequel est directement lié aux conceptions que l’on peut avoir de l’histoire et de l’anthropologie. Quant aux problèmes d’éthique journalistique qu’il soulève, le Conseil en arrive aux conclusions suivantes:
L’attention que décide de porter la presse à un sujet particulier relève de son jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet de même que la façon de le traiter lui appartiennent en propre. La liberté de la presse et partant le droit du public à l’information seraient gravement compromis si la presse devait se plier à quelque philosophie ou courant d’idées dans sa façon d’aborder les événements ou encore si l’on devait exiger d’elle qu’elle véhicule des messages qui projettent intégralement l’image que veulent se donner d’eux-mêmes les individus ou les groupes dont elle choisit d’informer le public. Ce droit et cette liberté seraient tout aussi en danger si la presse, se soustrayant aux règles de l’éthique journalistique ou faisant fi des exigences de rigueur, d’exactitude, d’honnêteté que lui impartissent sa fonction et sa responsabilité d’informateur public, donnait une image déformée des faits, travestissait les événements, adoptait à l’égard des personnes ou des groupes des attitudes propres à entretenir les préjugés populaires et à les discréditer auprès de l’opinion publique.
Or, dans le présent cas, le Conseil n’a pu déceler dans les articles en question les dérogations à l’éthique du journalisme ou à la responsabilité professionnelle que vous imputez à Mme Laurence Richard et au Journal de Montréal. Au contraire, les textes de Mme Richard ainsi que leur publication dans Le Journal de Montréal lui sont apparus comme la manifestation de l’exercice normal de la liberté de la presse.
«Il était une fois le Québec» est, au sens du Conseil, une chronique intéressante, bien rédigée et bien documentée, qui ne mérite pas à son auteur le blâme d’avoir manqué de rigueur non plus que de s’être laissée guider par un souci de recourir au sensationnel pour entretenir les préjugés populaires dans l’espoir de retenir la curiosité du public.
Si on peut, à bon droit, soutenir que les articles de Mme Richard auraient largement gagné à être plus exégétiques et que, partant, le public aurait été mieux informé sur l’histoire des Indiens au Québec, on ne peut cependant lui faire grief non plus qu’au Journal de Montréal d’avoir manqué aux exigences de l’éthique professionnelle ou aux impératifs du droit du public à l’information pour n’avoir pas traité d’une façon exhaustive de tous les aspects du sujet dont ils ont choisi d’informer le public.
Le Conseil considère toutefois que les titres attachés par Le Journal de Montréal aux articles du 23 mai, du 11 et du 18 juin 1979 de Mme Richard ont fait preuve d’un manque de rigueur puisqu’en plus de leur caractère sensationnel donnant prise aux griefs des plaignants, ils ne sont pas conformes au contenu des textes en question. Le Conseil déplore une telle façon de faire qui, soit par inconscience ou vénalité, a comme résultat inévitable de diminuer la qualité de l’information.
Le Conseil tient à rappeler à cet égard que bien que les titres relèvent de la discrétion rédactionnelle de la presse, celle-ci en ayant recours aux moyens les plus efficaces à sa disposition pour rendre l’information qu’elle diffuse vivante, dynamique et susceptible de retenir l’attention du public, doit s’efforcer de refléter fidèlement l’esprit et le contenu des textes qu’ils accompagnent. Elle doit aussi en tout temps se refuser à flatter, dans ses titres, les préjugés populaires.
Le Conseil regrette enfin que Le Journal de Montréal, même en l’absence d’une demande formelle de leur part, n’ait pas jugé utile de faire état dans ses pages de la protestation des auteurs du projet Kiseokimaw, Kaitac, Neworisiwa. Ceci aurait eu l’avantage de permettre au public de prendre connaissance de leur point de vue critique sur les articles de Mme Richard, la pertinence de leur publication par Le Journal de Montréal de même que sur la façon de ce dernier de les présenter.
Le Conseil vous remercie d’avoir porté ce cas à son attention. Ceci constitue un autre exemple de la vigilance à laquelle se doit le public en matière d’information et un rappel aux professionnels de l’information et aux médias des exigences d’une information adéquate.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C24D Hors mandat