Plaignant
Le Temps Fou
[Montréal]
Représentant du plaignant
M. Christian
Lamontagne (directeur, Le Temps Fou [Montréal])
Mis en cause
Le Service
canadien des pénitenciers
Représentant du mis en cause
M. Bernard LeBel
(directeur adjoint à la socialisation, Centre fédéral de formation de Laval) et
M. Jean-Paul Dugas (directeur général des pénitenciers, Service canadien des
pénitenciers)
Résumé de la plainte
Le Service
canadien des pénitenciers refuse aux détenus du Centre fédéral de formation de
Laval la permission de s’abonner à la revue Le Temps Fou. Cette décision
constitue une atteinte à la liberté de l’information et aux droits fondamentaux
de la personne.
Griefs du plaignant
Le Conseil de presse
du Québec, organisme essentiellement voué à la protection du droit du public à
l’information et à la liberté de la presse, était saisi il y a quelque temps,
d’une plainte par M. Christian Lamontagne, directeur de la revue Le Temps Fou,
dans laquelle celui-ci dénonçait le refus du Service canadien des pénitenciers
de permettre aux détenus du Centre fédéral de formation de Laval de s’abonner à
cette revue. M. Lamontagne se plaignait aussi du fait que les autorités de ce
Centre empêcheraient l’un des abonnés de recevoir cette revue, ce qui, à son
sens, constitue une atteinte à la liberté de l’information et aux droits
fondamentaux de la personne.
Commentaires du mis en cause
Le directeur
adjoint à la socialisation du Centre fédéral de formation, M. Bernard LeBel, expliquait
d’une part au Conseil que le résident en question s’était abonné sans passer
par le bibliothécaire institutionnel, contrairement à la procédure établie.
D’autre part, l’interprétation des différents règlements concernant les
pénitenciers l’incitait à conclure que la revue Le Temps Fou n’était pas
propice à la réhabilitation des détenus non plus qu’elle ne constituait un
acquis pour ces derniers. Pour ces raisons, les autorités du pénitencier
avaient cru bon d’intercepter, pour l’instant, la revue qui fut placée avec les
effets personnels du résident en question.
Le directeur
général des pénitenciers, M. Jean-Paul Dugas, indiquait pour sa part au Conseil
que en vertu de la directive du commissaire 215 du 19 juin 1978, «les
abonnements à des publications sont autorisés par le directeur de
l’établissement ou son délégué conformément aux stipulations de l’article 2.21
du règlement sur le Service des pénitenciers» qui se lit comme suit:
«Nulle lecture,
quelle qu’elle soit, ne doit être permise dans une institution, si elle est
susceptible:
a) de
ridiculiser ou mépriser une religion ou une croyance,
b) de soulever
des controverses entre les membres de religions ou de croyances différentes, ou
c) d’exercer une
influence défavorable sur le bon ordre et l’administration de l’institution.»
Selon M. Dugas,
c’est conformément à ces dispositions que les numéros du Temps Fou, comme
n’importe quelle autre publication, devaient être soumis à l’examen des
directeurs des établissements pénitenciers. Si ceux-ci jugeaient que ces
publications n’étaient pas conformes à l’esprit de ces règlements, ils
pouvaient refuser aux détenus de les recevoir.
M. Dugas
indiquait toutefois que réparation serait faite auprès du détenu en question et
que les autres détenus des différents établissements pourraient également
s’abonner à cette revue s’ils le désiraient.
Analyse
Le Conseil a apprécié, d’une part, l’attention accordée à ce cas, à la suite de son intervention, par le directeur régional général des pénitenciers qui affirmait au Conseil que les mesures appropriées seraient prises par les autorités pénitentiaires pour corriger la situation dénoncée.
Conformément aux objectifs qu’il poursuit, le Conseil est d’avis que les détenus, comme tous les autres citoyens, ont un droit inaliénable à l’information tel que le reconnaissent d’ailleurs universellement les chartes des droits de l’Homme. Ä moins de circonstances exceptionnelles, ceux-ci ne devraient pas en être privés.
Confiant que les autorités pénitentiaires épousent ce grand principe et font tout en leur pouvoir pour étendre les libertés des détenus, le Conseil estime toutefois devoir attirer votre attention sur les lacunes que contiennent les présents règlements que la plainte déposée par la revue Le Temps Fou lui a permis d’examiner.
Il lui appert en effet que par la large part d’arbitraire que permet leur interprétation, ces règlements comportent des risques graves pour la libre circulation des idées et même la liberté de la presse telle que reconnue dans la Charte canadienne des droits de l’Homme (article I, paragraphe F). Ces règlements sont aussi contraires, à son avis, au droit à l’information tel que reconnu par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
Aussi, en vue de prévenir ces dangers, le Conseil ne saurait-il qu’inciter instamment les autorités pénitentiaires chargées de l’interprétation et de l’application de ces règlements à faire preuve de largeur d’esprit et d’une extrême prudence en sorte d’éviter toute censure qui, à moins de raisons extrêmement graves, lui apparaît inutile et dangereuse.
Le Conseil considère en effet que si l’intérêt public oblige la société à se pourvoir de moyens propres à assurer la protection du public, il lui impose également le devoir de tenir compte, ce faisant, des exigences du droit tout essentiel de l’individu, fut-il un détenu, à l’information.
Analyse de la décision
- C07A Entrave à la diffusion/distribution