Plaignant
M. Jean Quintal,
M. Michel Gagnon et M. André Allaire (médecins)
Représentant du plaignant
M. Robert-Jean Chénier
(avocat, Courtois, Clarkson, Parsons 1/4 Thétrault)
Mis en cause
La Tribune
[Sherbrooke]
Représentant du mis en cause
M. Jean Vigneault
(rédacteur en chef, La Tribune [Sherbrooke])
Résumé de la plainte
La Tribune met
injustement en cause la responsabilité professionnelle des trois médecins
plaignants par la couverture qu’elle accorde aux poursuites judiciaires
intentées contre eux. Les articles en question portent les titres «Poursuite de
100 000 $ contre Sainte-Croix» (8 février 1979), «Poursuite intentée contre un
radiologiste pour une présumée négligence» (21 février) et «Poursuite de 166
000 $ contre un médecin» (19 juillet). La rétractation intitulée «L’action
intentée par la Succession du Dr Leblanc contestée par le radiologiste Michel
Gagnon» (23 mai) ne fait que rappeler les allégations de la poursuite. La
presse devrait éviter de rapporter les procédures judiciaires touchant la
responsabilité médicale avant que les autorités compétentes aient rendu leur
jugement.
Griefs du plaignant
Le Conseil de presse
a complété l’étude de la plainte que monsieur Robert-Jean Chénier, avocat,
portait contre La Tribune, au nom de messieurs Jean Quintal, Michel Gagnon et
André Allaire, médecins, pour des articles non signés qui mettaient en cause
leur responsabilité professionnelle. Ces articles furent publiés dans les
éditions des 8 et 21 février ainsi que dans celle du 19 juillet 1979. Ils
étaient respectivement intitulés: «Poursuite de 100 000 $ contre Sainte-Croix»,
«Poursuite intentée contre un radiologiste pour une présumée négligence» et
«Poursuite de 166 000 $ contre un médecin».
Monsieur Chénier
dénonçait, comme contraire à l’éthique du journalisme et à la responsabilité
sociale des organes d’information, l’attitude de La Tribune dans ce cas. A son
avis, la presse devrait faire montre de prudence et de circonspection lorsqu’il
s’agit de mettre en cause la responsabilité professionnelle de médecins vu les
répercussions que cela peut avoir sur leur réputation et le risque d’ébranler
injustement la confiance du public dans les services de santé.
Aussi, selon
monsieur Chénier, même si la presse ne peut être astreinte aux règles strictes
de la preuve judiciaire, elle devrait à tout le moins faire montre d’un grand
discernement avant de faire état soit de procédures judiciaires intentées
contre des médecins ou encore d’événements propres à mettre en cause leur
responsabilité professionnelle. La presse devrait aussi éviter de substituer
son propre jugement à celui des autorités judiciaires dans ce genre d’affaires.
Elle devrait également éviter de divulguer toute information concernant des
procédures judiciaires avant que les parties intéressées en aient été informées
par les voies normales et, lorsqu’il s’agit d’événements mettant en cause la
responsabilité médicale, avant qu’un jugement n’ait été rendu par les autorités
compétentes.
Dans le présent
cas, les médecins en question avaient appris que des procédures avaient été
intentées contre eux par La Tribune et par des médias locaux, qui ont répété la
nouvelle, avant même qu’elles ne leur aient été signifiées et rapportées au
greffe du tribunal qui en fut saisi.
Monsieur Chénier
soutenait aussi que la divulgation du contenu des procédures en question aurait
dû inciter La Tribune à une certaine réserve compte tenu qu’elles avaient été
intentées en vue d’éteindre la prescription d’une poursuite qui pouvait être
retirée par la suite. Les déclarations contenues dans ces procédures incitaient
aussi à une grande circonspection puisqu’elles n’ont aucune force de preuve et
qu’elles n’expriment les prétentions que d’une des parties en cause. Partant,
elles risquent d’être profondément nuisibles aux parties intimées. Ces
dernières n’ont en effet comme seul moyen de défense, pour faire valoir leur
point de vue, qu’un juste procès devant l’autorité compétente.
Le plaignant
s’en prenait de plus à la réponse de votre journal à sa mise en demeure du 9
mai 1979 de rétablir les faits contenus dans l’article du 21 février 1979 au
sujet de monsieur Michel Gagnon. La rétractation publiée dans l’édition du 23
mai 1979 n’était pas conforme à sa demande, La Tribune n’ayant accordé au point
de vue du docteur Gagnon que deux colonnes alors qu’elle étalait les prétention
de la poursuite sur quatre. D’autre part, loin de rendre justice à monsieur
Gagnon, ce simulacre de rétractation ne faisait que «rappeler à nouveau aux
lecteurs les allégués de la poursuite». Une telle façon de faire expliquait,
d’autre part, la réticence des deux autres médecins touchés par les articles en
question, messieurs Quintal et Allaire, à faire appel à votre journal pour
demander un correctif.
Le procureur des
plaignants confiant enfin au Conseil qu’en dépit de l’avis de l’avocat de La
Tribune sur la façon d’aborder ce genre de nouvelles, ce journal avait
«récidivé le 19 juillet 1979, soit deux mois après la rétractation concernant
le docteur Michel Gagnon». La façon de faire de La Tribune ne pouvait
s’expliquer par un manque d’attention ou de réflexion sur les conséquences de
tels articles. Monsieur Chénier concluait donc qu’en agissant comme elle
l’avait fait dans le présent cas, «La Tribune avait formé l’opinion publique
avant même que la justice ne se soit prononcée».
Commentaires du mis en cause
Selon vous, «à
moins que la loi de la presse ou que la loi gouvernementale n’interdise un jour
de publier les noms des accusés avant le prononcé de la sentence», un journal
ne peut décider de taire de telles informations. Dans le cas qui nous
intéresse, ajoutiez-vous, il s’agissait de poursuites réellement intentées
contre les médecins en question. De plus, les articles de La Tribune ne
tendaéient en aucune manière à inculper ni surtout à condamner ces médecins, vu
qu’ils rapportaient des faits.
Vous informiez
aussi le Conseil que le correspondant de votre journal à Drummondville avait attendu
deux semaines après le dépôt des plaintes pour en faire un texte destiné à la
publication. Il ignorait de plus qu’un retard dans la signification des
procédures aurait comme conséquence que les médecins en question apprendraient
par votre journal, et non par voies habituelles, qu’ils étaient l’objet de
poursuites.
Enfin, l’article
que La Tribune publiait le 23 mai 1979: «L’action intentée par la Succession du
Dr Leblanc contestée par le radiologiste Michel Gagnon», n’était pas, selon
vous, une rétractation mais plutôt une nouvelle annonçant que monsieur Gagnon
contestait la poursuite dont il était l’objet.
Réplique du plaignant
Le plaignant
informait le Conseil que deux des poursuites auxquelles faisaient références
les articles incriminés avaient été abandonnées. Selon monsieur Chénier, le
fait que les demandeurs aient retiré leurs actions démontrait que celles-ci
avaient été intentées principalement en vue d’interrompre la prescription pour
obtenir un délai additionnel. Ceci illustrait aussi, selon lui, que «la
déclaration n’est pas une source d’information fiable sur la commission de
fautes médicales»; qu’on ne pouvait attacher d’importance à la prise d’une
action judiciaire et que les faits confirmaient «à quel point la conduite du
journal La Tribune était répréhensible».
Analyse
Le Conseil ne peut reprocher, d’une part, à La Tribune d’avoir fait état des poursuites en question, puisqu’elles étaient d’intérêt public, a fortiori par le dépôt au greffe du tribunal de documents, de par leur nature même, publics.
Le Conseil n’estime pas non plus que la presse doive accorder un traitement différent de celui qu’elle accorde normalement à toute personne touchée par des procédures judiciaires, du fait qu’il s’agisse de médecins.
Le Conseil reproche cependant à La Tribune de ne pas avoir accordé au suivi du dossier l’importance qu’elle avait accordée à la nouvelle des poursuites qu’elle avait étalées en manchettes. La Tribune aurait effectivement fait preuve d’un véritable souci d’informer ses lecteurs sur les événements et fait montre d’un plus grand souci d’équité et de justice envers les intimés si elle avait rapporté que deux des poursuites en question ont été, par la suite, abandonnées et qu’aucune suite ne fut donnée à la troisième.
Enfin, le Conseil n’estime pas que La Tribune avait l’obligation de se rétracter pour sa manchette du 21 février 1979. Le Conseil a pris bonne note que ce journal a fait état du point de vue du docteur Gagnon dans son édition du 15 mai 1979. La Tribune informait à nouveau ses lecteurs des intentions de ce médecin dans une nouvelle publiée dans son édition du 23 mai. A ce sujet, le Conseil ne retient pas le grief du plaignant à l’effet que dans ce dernier article, La Tribune ait accordé plus d’importance (2 colonnes contre 4) aux prétentions des poursuivants qu’à celles de l’intimé. Outre que l’équilibre de l’information ne se calcule pas au nombre de lignes, le Conseil estime que La Tribune était tout à fait justifiée de rappeler au public les allégués des poursuites dont elle faisait état dans son article du 21 février 1979.
L’étude des questions juridiques soulevées par ce dossier explique les longs délais écoulés depuis le dépôt de la plainte et la présente décision. D’autre part, étant soumis aux règles de la litispendance, le Conseil se doit de reporter l’étude des cas lorsque certains aspects sur lesquels il est appelé à se pencher, même sur le plan de l’éthique professionnelle, font aussi l’objet de l’attention des tribunaux. Dans le présent cas, deux des poursuites intentées contre les plaignants ont été abandonnées. Quant à la poursuite engagée contre monsieur André Allaire, le Conseil ne s’estime plus lié par les règles de la litispendance puisque cette poursuite n’a fait l’objet d’aucun développement devant les tribunaux depuis le dépôt de la plainte devant lui.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C02C Accorder un suivi à une affaire
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C19A Absence/refus de rectification
- C24C Règles de procédure