Plaignant
M. Egide Lemay
(caporal, Sûreté du Québec)
Mis en cause
Le Soleil
[Québec] et M. Pierre Champagne (chroniqueur)
Résumé de la plainte
Dans ses
chroniques «Kid la gachette», «Kid la gachette (2)» et «Policiers»,
respectivement publiées par Le Soleil les 13 juin, 17 juillet et 24 octobre
1979, le journaliste Pierre Champagne cherche à discréditer un patrouilleur de la
Sûreté du Québec qui a arrêté son frère. Le journaliste s’en prend à cet agent
et aux policiers en général par simple vengeance.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte du caporal Egide Lemay de la Sûreté du
Québec concernant trois de vos chroniques, parues dans les éditions des 13
juin, 17 juillet et 24 octobre 1979 du journal Le Soleil, propres, selon lui, à
jeter le discrédit sur le travail des policiers parce que basées sur une
information non vérifiée.
Cette information,
selon le plaignant, s’appuyait sur des faits rapportés par votre frère, M.
Louis Champagne, à la suite de son interception par un agent de la Sûreté du
Québec, le 30 mai 1979, dans le parc des Laurentides. Votre frère aurait alors
déclaré au policier, entre autres, qu’il avait «des contacts avec la presse» et
«que des zélés comme lui il s’en occuperait».
Prisant peu,
d’une part, le parallèle que vous établissiez dans le premier de ces articles, «Kid
la gachette», entre les animaux du parc (orignaux) et les policiers, le
plaignant dénonçait votre façon de discréditer ces derniers et en particulier
l’agent en question, identifié par son numéro matricule, en laissant croire au
public qu’il fût prêt à abuser de la force nécessaire à l’accomplissement de
son devoir.
D’autre part,
déplorant que votre second article, «Kid la gachette (2)», entretînt
l’impression laissée par le premier, le caporal Lemay, n’y voyant que du
«potinage à sensation au dépend de cette cible idéale, la police, sans aucune
valeur pour l’information du public», vous reprochait, entre autres, de
persister à comparer le patrouilleur en question à un «Kid» sans responsabilité
et ce, malgré qu’il vous eût fait part de son désarroi et de ses explications
concernant les techniques d’usage de la force policière.
Enfin, le
plaignant tirait de l’affirmation contenue dans votre troisième article,
«Policiers», à l’effet que les deux autres se voulaient «satiriques et
méchants», la conclusion que vous visiez plutôt à vous venger d’une situation
impliquant votre frère qu’à informer véritablement la population sur un
événement d’intérêt public. Selon lui, vous auriez profité de l’incident en
question pour passer votre véritable message, «déguisé» dans vos articles
précédents, à l’effet que le policier en question avait tendance à dégainer son
arme trop rapidement pour arrêter un automobiliste, ce qui, selon lui, est
complètement faux.
Aussi, le
plaignant s’interrogeait-il sur la responsabilité des professionnels de
l’information qui, comme vous, exploitent des incidents de ce genre pour
prendre à témoin une population et tenter de la manipuler à leur guise sans
vérifier auprès des sources autorisées le bien-fondé de faits qu’ils lui
exposent ou encore sans tenir compte des informations qu’ils en reçoivent.
Commentaires du mis en cause
De votre côté,
vous estimiez qu’il n’y avait rien de mal à écrire une chronique «de façon
satirique et méchante si le fond de l’histoire est véridique», d’autant plus
que vous n’aviez jamais identifié formellement le policier en question. Or,
selon vous, les faits n’ont jamais été niés par le plaignant et le débat de
fond que vous souleviez dans vos articles, à savoir le désarmement des
policiers, était une «question sociale légitime».
Tout en
reconnaissant que vous vous étiez «appuyé uniquement sur des faits rapportés
par (votre) frère» pour rédiger le premier article, vous faisiez valoir au
Conseil que vous aviez donné, dans le second, la version de M. Lemay, en plus
d’y réaffirmer votre opinion personnelle sur la question du désarmement des
policiers.
Enfin, niant
avoir voulu établir quelque parallèle que ce soit entre les originaux et les
policiers, vous exposiez au Conseil qu’en aucun cas, dans votre second article,
vous ne compariez le policier en question à un «kid», si ce n’est que dans le
titre qui reprenait, comme vous le faites souvent, celui du premier article.
Analyse
Le Conseil reconnaît d’une part qu’un chroniqueur jouit d’une grande latitude dans la formulation de ses jugements et l’expression de ses prises de position. Le genre journalistique particulier que constitue la chronique qui tient à la fois autant de l’éditorial et du commentaire, que du reportage d’information, permet en effet au journaliste d’adopter même un ton de polémiste pour prendre parti et exprimer ses critiques, faire valoir ses points de vue sur une idée, une situation, une personne, un groupe, etc.
En reconnaissant aussi que les professionnels de l’information peuvent présenter les faits dans le style qui leur est propre et même, comme en l’occurrence, faire appel à l’humour et à la satire, le Conseil estime toutefois que ceux-ci ne sauraient, même par le truchement d’une chronique, fût-elle à potins, se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude que leur impartissent leur fonction et leur responsabilité d’informateur public. Le Conseil considère en effet que les professionnels de l’information doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de travestir les événements de façon à leur donner une signification qu’ils n’ont peut-être pas et qui peuvent ainsi laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes auprès de l’opinion publique.
Or, dans le présent cas, il est apparu au Conseil que vos chroniques, tant par les titres qui coiffent deux d’entre elles que par le ton, les insinuations et les interprétations qu’on y retrouve, ont pu avoir comme effet de fausser la perception du public vis-à-vis l’événement décrit, donc le mal informer, tout en mettant en doute l’intégrité de l’ensemble des membres de la Sûreté du Québec et, plus particulièrement, celle du policier en question, même si vous avez pris la précaution de ne l’identifier que par son numéro de matricule.
Le Conseil considère aussi que dans ce cas, il aurait été plus conforme aux exigences du droit du public à l’information de mentionner que les faits à la base de vos commentaires vous avaient été rapportés par votre frère, directement impliqué dans l’événement, d’autant plus que vous n’aviez pas jugé utile d’obtenir, avant de les divulguer, la version de l’autre partie intéressée. Le public aurait été ainsi mieux à même de porter son propre jugement sur l’incident en question. Vous vous seriez vous-même mis à l’abri de la critique du plaignant à l’effet que vous auriez profité de votre tribune pour faire état d’un incident qui vous touchait de près.
Analyse de la décision
- C11C Déformation des faits
- C22H Détourner la presse de ses fins