Plaignant
The Jewish
Community of Boisbriand
Représentant du plaignant
M. Philips Klein
et M. Israel Lowen (représentants, Jewish Community of Boisbriand)
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et Mme Lysiane Gagnon (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean Sisto
(éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
L’article de la
journaliste Lysiane Gagnon intitulé «L’affaire de Boisbriand : Québec veut-il
légaliser la création d’une ville-ghetto?», paru dans l’édition du 29 septembre
1979 de La Presse, renferme des erreurs et des commentaires non fondés. Cet
article incite le conseil municipal de Boisbriand à retirer son soutien à la
demande de charte municipale de la communauté Hassidim. Le journal doit
rectifier les faits dans un article de même importance.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a complété l’étude de la plainte que vous-même et monsieur Israel Lowen portiez,
en décembre dernier, au nom de la communauté juive de Boisbriand contre La
Presse et madame Lysiane Gagnon concernant l’article de cette dernière:
«L’affaire de Boisbriand: Québec veut-il légaliser la création d’une
ville-ghetto» paru sous la rubrique «Pleins Feux sur l’actualité» de l’édition
du 29 septembre 1979.
Selon vous, tant
par les commentaires de la journaliste que par certaines erreurs de fait qu’il
contenait, cet article, en plus de mal informer le public, avait eu pour effet
d’influencer la décision du Conseil municipal de la ville de Boisbriand
d’acquiescer à une demande de la communauté des Hassidim de former à même le
territoire de cette ville une municipalité autonome.
Vous informiez
aussi le Conseil de votre insatisfaction à l’offre de La Presse et de madame
Gagnon de leur faire tenir votre propre point de vue écrit qu’ils s’engageaient
à publier. Cette forme de rétractation vous apparaissait impropre à réparer le
tort causé; la seule façon acceptable étant, selon vous, que le journal et la
journaliste publient eux-mêmes un article de la même importance comme vous leur
demandiez.
Analyse
Le Conseil est d’une part d’avis que l’article en question est un article d’analyse et de commentaires qui tient davantage de l’éditorial que de l’information stricte. Ce genre journalistique donne au professionnel de l’information une grande latitude dans l’expression de ses opinions, de ses commentaires et de ses critiques.
L’attention que décide de porter un professionnel de l’information à un sujet particulier relève en effet de l’exercice normal de sa liberté d’expression et de son jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet de même que la façon de le traiter lui appartiennent en propre.
Evidemment, la liberté de la presse et le droit du public à l’information seraient en danger si les professionnels de l’information, en se soustrayant aux règles de l’éthique journalistique ou en faisant fi des exigences de rigueur, d’exactitude, d’honnêteté que leur impartissent leur fonction et leur responsabilité d’informer, donnaient une image déformée des faits, travestissaient les événements ou adoptaient à l’égard des personnes ou des groupes des attitudes propres à entretenir des préjugés ou à les discréditer auprès de l’opinion publique.
Or, dans le présent cas, le Conseil n’a pu déceler dans l’article incriminé les dérogations à l’éthique du journalisme ou à la responsabilité professionnelle que vous imputez à madame Gagnon et au journal La Presse. Au contraire, le texte de madame Gagnon lui est apparu comme la manifestation de l’exercice normal de la liberté de la presse.
Cet article en outre ne peut certes pas valoir à son auteur le blâme d’avoir manqué de rigueur professionnelle, encore qu’on puisse lui reprocher certaines inexactitudes sur des détails d’ordre secondaire, selon le Conseil (par exemple le fait qu’elle vous assimile à un leader spirituel, l’existence d’autres communautés hassidiques aux Etats-Unis, les proportions du territoire de la municipalité projetée). Ces inexactitudes, selon le Conseil, ne faussent aucunement le sens de l’article en question au point de transmettre au public une perception ou une image trompeuse ou mensongère sur la question traitée par madame Gagnon.
Sur ce point d’ailleurs, madame Gagnon affirmait au Conseil que, si les «soi-disant inexactitudes soulevées avaient été sérieuses» elle aurait évidemment offert de publier un rectificatif encore qu’un rectificatif ne soit jamais, selon elle, aussi bien placé dans le journal qu’une lettre du lecteur. Aussi La Presse vous offrait-elle de rédiger une lettre en ce sens afin que vous puissiez corriger les inexactitudes en question. Or, le Conseil s’étonne que les ayant jugées d’une telle importance, vous n’ayiez pas donné suite à cette offre.
Il en est de même des points de vue exprimés par madame Gagnon dans son article contre lesquels vous vous insurgiez.
La liberté de la presse et, partant, le droit du public à l’information seraient, selon le Conseil, gravement compromis si la presse devait se plier à quelque philosophie ou courant d’idées dans sa façon d’aborder les événements ou encore si l’on devait exiger d’elle qu’elle véhicule des messages qui projettent intégralement l’image que veulent se donner d’eux-mêmes les individus ou les groupes dont la presse choisit d’informer le public.
Bien sûr, tout organisme comme tout individu ou groupe a le droit strict de s’attendre à ce que la presse ne présente pas de lui une image déformée. Les professionnels de l’information ne sauraient non plus contrevenir à la vérité des faits et à l’honnêteté que leur impose leur responsabilité d’informer adéquatement le public.
Outre qu’il soit d’avis que l’article de madame Gagnon, malgré les inexactitudes mineures relevées plus haut, a bien informé le public, le Conseil donne ici raison à la journaliste d’avoir refusé de récrire, sous votre dictée comme vous l’exigiez, un autre article sur le même sujet pour faire valoir votre point de vue. N’étiez-vous pas d’accord avec les opinions émises par madame Gagnon, il eut été très simple pour vous de le lui faire savoir par voie de lettre que La Presse s’engageait à publier. Le Conseil est en effet d’avis sur ce point que les commentaires de la journaliste, comme celle-ci le reconnaît elle-même, sont matière d’opinion qu’il vous appartient en tant qu’intéressé de confronter si vous le jugez à propos. Le Conseil ne saurait que vous encourager, pour l’avenir, à utiliser ce recours pour contester, comme dans le présent cas, les points de vue que vous jugeriez injustes ou non fondés.
En ce qui concerne votre grief sur la décision des autorités de la ville de Boisbriand de retirer leur appui à votre demande de charte municipale, il est bien évident que la presse exerce une influence inévitable auprès de l’opinion publique. Les répercussions que peuvent avoir tel ou tel article ne sont pas entièrement sous le contrôle des journalistes de même que l’utilisation qu’on peut faire de l’information qu’ils diffusent.
Si, pour cette raison et comme il l’a déjà déclaré par le passé, le Conseil ne saurait qu’inciter les médias et les professionnels de l’information à exercer leur fonction en redoublant de rigueur, il n’est pas pour autant dit que cela doive empêcher la presse de s’exprimer librement car alors tout débat démocratique serait irrémédiablement compromis.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11C Déformation des faits
- C19A Absence/refus de rectification