Plaignant
La Société
populaire Tricofil
Représentant du plaignant
M. Jean-Guy Frenette
(président, Société populaire Tricofil)
Mis en cause
La Presse
[Montréal], M. François Berger et M. François Forest (journalistes)
Représentant du mis en cause
M. Jean Sisto
(éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Les journalistes
François Berger et François Forest de La Presse mènent une véritable campagne
de dénigrement à l’endroit de Tricofil. De juillet à décembre 1979, ces
journalistes rapportent des informations inexactes et biaisées concernant cette
entreprise. Les titres coiffant certains de leurs articles sont trompreurs. De
plus, le journaliste François Forest s’introduit sans autorisation sur la
propriété de Tricofil en compagnie d’un photographe. Finalement, La Presse
refuse de publier les mises au point de Tricofil.
Griefs du plaignant
Le Conseil de presse
a terminé l’étude de la plainte de monsieur Jean-Guy Frenette, président de la
Société populaire Tricofil Inc., contre La Presse et messieurs François Berger
et François Forest, journalistes.
Monsieur
Frenette dénonçait, d’une façon générale, l’information diffusée par La Presse
en juillet et décembre 1979. En effet, à cause de son caractère biaisé et
malhonnête, le traitement journalistique accordé par ce journal et ses
journalistes à la Société Tricofil était plus assimilable, selon lui, à une véritable
«campagne de dénigrement» et à «une croisade contre un projet collectif» qu’à
de «l’information objective».
Il attirait plus
spécifiquement l’attention du Conseil sur la fausseté et l’inexactitude des
renseignements contenus dans les articles suivants:
a) Les articles
de M. François Berger
Le plaignant
dénonçait en premier lieu la fausseté des titres, «Tricofil encore au bord de
la faillite» et «Tricofil encore dans le trou», accrochés aux articles de
monsieur Berger dans l’une et l’autre des éditions de La Presse du 28 juillet
1979.
Il était
également faux, selon le plaignant, d’écrire dans l’un de ces articles, «…
Dominion Textile, refuse désormais tout crédit et les livraisons de fil ont
cessé depuis le 11 mai dernier» puisque, selon monsieur Frenette, Dominion
Textile était toujours, au moment où il a porté plainte, l’un des principaux
fournisseurs de cette entreprise.
Il contestait
aussi la véracité de l’affirmation du journaliste à savoir que «… le
principal client de l’entreprise, Vanessa Lingerie Ltd, n’achète plus ses
tissus chez Tricofil, à cause de la mauvaise qualité, a affirmé le président de
Vanessa, monsieur Georges Lutfy», puisque Tricofil avait rompu toute relation
avec ce client depuis fort longtemps (dix mois) et que de plus, selon monsieur
Frenette, monsieur Lutfy n’aurait jamais parlé à monsieur Berger.
Tricofil
estimait de plus que le titre «… $ 4,5 millions plus tard», coiffant un
second article de monsieur Berger dans la même édition était ambigu puisque
même si le contenu de cet article établissait à $ 2,5 millions l’aide
gouvernementale, d’autres journaux ont été induits en erreur, interprétant le $
4,5 millions comme la totalité des subventions gouvernementales.
Il était en
outre ambigu, selon le plaignant, de titrer dans l’édition du 2 août 1979,
«Tricofil: perte non dévoilée de 260 858 $» parce que ce titre laissait
entendre qu’il y avait eu fraude à Tricofil.
Il était enfin
tout aussi faux, selon le plaignant, que le journaliste affirmât, dans son
article du 3 août 1979, qu’un cadre de Tricofil avait déclaré à La Presse que
«… les perspectives de marché pour les produits fabriqués par Tricofil
(tissus de velours et de lainage) ne sont bonnes que pour un an et demi encore.
La demande pour ces produits va décliner par la suite…» Selon monsieur
Frenette en effet, aucun cadre n’aurait parlé à monsieur Berger à ce sujet et
malgré cette inexactitude, La Presse aurait refusé de rectifier les faits.
b) Les articles
de M. François Forest
Selon le
plaignant, il était faux de titrer, dans l’édition du 30 novembre 1979 de La
Presse: «Tricofil bientôt vendu au secteur privé», comme il était également
faux de prétendre dans le corps de cet article que Tricofil avait un «marketing
folklorique et quêteux»; que le journaliste de La Presse avait rencontré «une
trentaine d’employés plus ou moins désabusés»; que la gestion de l’entreprise
était assurée par «des administrateurs de transit» et qu’enfin, «Tricofil
n’avait plus aucune crédibilité».
De plus,
Tricofil estimait que monsieur Forest avait induit ses lecteurs en erreur en
affirmant dans ce même article que cette entreprise avait bénéficié de «$ 4,5
millions de subventions provinciales»; propos qu’il répétait dans un article du
1er décembre suivant. Le plaignant reprochait aussi à La Presse d’avoir refusé
de rectifier les faits à ce sujet.
Le plaignant
dénonçait aussi la façon, selon lui, inacceptable puisqu’elle relève de
«l’espionnage» et comporte une «violation» de la propriété privée, de monsieur
Forest de se présenter, accompagné d’un photographe et sans aucune
autorisation, dans l’entreprise le 28 novembre 1979 pour recueillir
l’information qu’il rapportait le 30 suivant. Sommé de quitter les lieux par le
directeur général de Tricofil, monsieur Richard Bourget, monsieur Forest aurait
menacé ce dernier en lui disant: «Je vais vous planter comme vous ne vous êtes
jamais fait planter dans les journaux».
Commentaires du mis en cause
a) Les articles
de M. François Berger
Monsieur François
Berger affirmait au Conseil, d’une part, qu’il n’était pas responsable des
titres, ceux-ci relevant de la responsabilité du chef du pupitre. Il affirmait
d’autre part qu’un responsable de Dominion Textile lui avait bel et bien
confirmé que cette entreprise refusait tout crédit à Tricofil et que les
livraisons étaient interrompues. De même, soutenait-il avoir rigoureusement
rapporté les propos du président de Vanessa Lingerie, Ltée, monsieur Georges
Lutfy.
Vous estimiez
pour votre part qu’il était difficile, dans les circonstances, pour La Presse
de «parler de profit» alors que Tricofil se départissait de 100 de ses 145
employés. Vous souteniez également que les propos imputés à un représentant de
Dominion Textile venaient d’une source autorisée dont vous n’aviez pas à
dévoiler l’identité et que, par ailleurs, votre journaliste avait bel et bien
parlé à monsieur Georges Lutfy.
Le titre «… $
4,5 millions plus tard» ne vous semblait aucunement contredire l’article qu’il
coiffait puisque ce dernier était amplement explicite pour lever toute
ambiguïté. D’autre part, si d’autres médias ont pu se méprendre sur le sens de
ce titre, vous n’y pouviez rien.
Vous souteniez
aussi que les termes «perte non dévoilée» utilisés dans le titre du 2 août
étaient extraits textuellement du rapport Samson, Bélair et Associés dont les
services avaient été retenus par Tricofil.
Enfin, vous
souteniez que monsieur Berger s’en était tenu strictement à rapporter les dires
d’un cadre de Tricofil quand il affirmait dans son article que «les
perspectives pour les tissus de velours et de lainage n’étaient bonnes que pour
un an et demi».
b) Les articles
de M. François Forest
Monsieur Forest
affirmait au Conseil que son article du 30 novembre 1979 s’en tenait à «la
stricte information» que gérants locaux, présidents de grandes institutions
bancaires (MIC, MEER, Caisses d’entraide, Caisses populaires) lui avaient
donnée et «cela en dépit des avatars et du manque de collaboration des
administrateurs de la Société populaire Tricofil».
Il faisait
également remarquer au Conseil que les ministres responsables du dossier de
Tricofil, messieurs Pierre Marois et Yves Duhaime, n’avaient jamais mis en
doute l’article de La Presse et que monsieur Frenette lui-même, président de
Tricofil, avait clairement laissé entendre sur les ondes de Radio-Canada, dans
la première semaine de décembre, que cette entreprise était disposée à négocier
avec le secteur privé si celui-ci respectait l’originalité de Tricofil.
A cet égard,
vous alléguiez que monsieur Richard Bourget, directeur de la Société populaire
Tricofil, tout en vous demandant d’interdire la publication de cet article,
vous avait affirmé que Tricofil négociait avec des intérêts privés et que le
système de cogestion devrait être «modifié».
Quant aux
accusations «d’espionnage» et de «violation de la propriété privée» portées
contre lui, le journaliste soutenait que la direction de l’entreprise, ne
retournant aucun de ses appels, il s’était présenté chez Tricofil pour faire le
point sur la promesse de l’entreprise de réembaucher les employés mis à pied
durant l’été. Comme il n’y avait aucun service d’accueil, il s’était dirigé
vers la cafétéria pour interroger des travailleurs qui l’auraient par la suite
guidé dans les locaux de l’entreprise. Ces derniers ne firent aucune objection
au fait que le photographe qui l’accompagnait prenne quelques clichés jusqu’à
ce que le directeur de l’entreprise lui ordonne de sortir non sans avoir
quelque peu molesté le photographe. Le journaliste reconnaissait d’autre part
qu’il avait eu un écart de langage inadmissible qui aurait pu être évité en
l’absence des circonstances qui l’ont provoqué.
Analyse
a) Les articles de M. François Berger
Le Conseil est d’avis que les titres, «Tricofil encore au bord de la faillite» et «Tricofil encore dans le trou!», qui coiffaient les articles de monsieur Berger du 28 juillet 1979 étaient inappropriés et trompeurs. A cause de leur manque de nuance, ces titres, en exagérant l’importance des difficultés financières de Tricofil, pouvaient être préjudiciables à cette dernière auprès de l’opinion publique. Bien que les titres relèvent exclusivement du jugement et de la responsabilité rédactionnels, le Conseil incite La Presse à s’assurer de leur véracité et de leur conformité aux faits rapportés dans les articles qu’ils coiffent.
Le Conseil ne retient cependant pas de blâme contre monsieur François Berger pour les titres en question vu qu’il n’en est aucunement le responsable.
Le Conseil ne peut se prononcer par ailleurs sur la véracité des propos imputés dans le même article par le journaliste au responsable de Dominion Textile et au président de Vanessa, monsieur Georges Lutfy, étant en présence de versions contradictoires. Le Conseil espère néanmoins que ces propos ne résultent pas de simples supputations ou hypothèses du journaliste; ce qui correspondrait peu à sa responsabilité d’informateur public. De même en est-il pour les informations qu’aurait divulguées à La Presse un dirigeant de Tricofil à l’effet que les perspectives du marché pour les produits fabriqués par cette entreprise n’étaient bonnes que pour un an et demi.
Même si dans ce cas le Conseil n’est pas en mesure d’affirmer que le journaliste s’en soit remis à des sources fictives pour influencer l’opinion publique ou encore qu’il ait faussé la nature de leurs observations sur Tricofil, il tient à rappeler aux professionnels de l’information que leur devoir de préserver la confidentialité des sources journalistiques ne saurait en aucun temps leur servir de retranchement pour diffuser au public une information inadéquate. Car si le public en venait à douter de la probité et de l’intégrité de la presse dans l’utilisation de ses sources, non seulement la crédibilité de cette dernière s’en trouverait irrémédiablement compromise, mais même le droit du public à l’information.
Enfin, les titres, «… $ 4,5 millions plus tard» et «Tricofil: perte non dévoilée de $ 260 858» sont apparus au Conseil comme conformes au contenu des textes publiés ainsi qu’aux faits décrits. Cependant, vu la connotation de fraude que pouvait laisser planer le second dans l’esprit du public, le Conseil est d’avis que même si ce titre citait au texte le rapport d’une firme de vérificateurs, La Presse aurait dû, à cause des conséquences préjudiciables pour la réputation de Tricofil qui pouvait résulter d’une telle interprétation, chercher à obtenir plus amples explications sur la véritable signification de ce rapport avant de le publier ou à tout le moins d’accorder toute leur importance aux explications que donnait dès le lendemain le président de cette entreprise.
b) Les articles de M. François Forest
Le Conseil est d’avis que, tant dans son titre que dans son contenu, l’article «Tricofil bientôt vendu au secteur privé», à cause de son manque de nuance, a pu induire le public en erreur sur les véritables projets de Tricofil. Inexactitudes que semble d’ailleurs confirmer l’article du 5 décembre du même journal: «Tricofil n’est pas à vendre mais…», lequel semble plus conforme aux projets réels de Tricofil.
Les affirmations du journaliste à l’effet que, par exemple, «Tricofil, tant sur la rue que dans les institutions bancaires, n’a présentement plus aucune crédibilité» ou encore que cette entreprise s’inspire d’un «marketing folklorique et quêteux» sont apparues au Conseil comme l’appréciation ou l’expression de l’opinion personnelle de l’auteur de l’article, s’apparentant davantage à du commentaire de nature éditoriale qu’à de l’information stricte. Le Conseil estime que la confusion des genres à laquelle s’est livré le journaliste constitue un manque de rigueur propre à induire le lecteur en erreur sur l’information qu’il croit recevoir, puisque l’auteur lui livre ses propres jugements de valeur.
Quant à l’accusation portée contre le journaliste de s’être rendu coupable de «violation de la propriété privée», il n’appartient pas au Conseil de se prononcer sur la légalité d’un tel geste; ceci relevant exclusivement des tribunaux. Nonobstant cette réserve, le Conseil estime qu’il est du devoir et de la responsabilité d’un journaliste qui fait bien son métier d’informateur public d’être vigilant et constamment à l’affût de la nouvelle d’intérêt public. En l’occurrence, il lui semble que le journaliste s’est acquitté adéquatement de sa tâche dans sa recherche de l’information. Par ailleurs, le Conseil n’a pas à se prononcer sur l’altercation qui a pu opposer le journaliste et son photographe au directeur général de Tricofil et des invectives que de part et d’autre ils ont pu se lancer, un tel comportement relevant plus de la politesse et du savoir-vivre que de l’éthique journalistique.
D’autre part, le Conseil estime que les responsables d’organismes ou d’entreprises devraient démontrer plus d’empressement à collaborer avec les représentants de la presse pour leur fournir les informations d’intérêt public qu’ils ont comme fonction et comme responsabilité de transmettre à la population. Ce genre d’ouverture devrait s’imposer d’autant plus, selon le Conseil, aux organismes à caractère public dont le financement est assuré en tout ou en partie à même les deniers de la population.
Enfin, en affirmant dans un article non signé du 1er décembre que «Tricofil avait bénéficié de $ 4,5 millions de subventions provinciales», La Presse créait, selon le Conseil, une confusion sur la provenance réelle desdites subventions. Le lecteur pouvait en effet aisément interpréter la totalité de ce montant comme étant de provenance gouvernementale contrairement aux faits. Cet article contredisait même le texte du 28 juillet 1979 publié dans le même journal qui spécifiait alors que les $ 4,5 millions étaient issus de subventions et d’investissements de toutes sortes.
D’une façon générale, compte tenu de l’information «malhonnête et tendancieuse» diffusée par messieurs Forest et Berger, le président de Tricofil demandait au Conseil d’insister auprès des autorités de La Presse pour que ces journalistes ne couvrent plus, désormais, les activités de Tricofil et que ce dossier soit confié à «un journaliste dont l’intégrité, l’objectivité et la compétence pour traiter des problèmes d’entreprise sont reconnues».
Il n’est pas de la compétence du Conseil d’intervenir de pareille façon. Il relève exclusivement de la prérogative des organes d’information d’affecter qui bon leur semble à la couverture des événements. C’est aussi leur responsabilité, vu que leur crédibilité en dépend, de faire en sorte que les journalistes qu’ils assignent ainsi aux divers secteurs de l’information soient de la plus haute compétence professionnelle en sorte de livrer au public la meilleure information qui soit.
Enfin, vu l’état général de ce dossier, le Conseil est d’avis que La Presse aurait dû accorder une plus grande importance qu’elle ne l’a fait aux deux mises au point du plaignant. Ceci aurait, au sens du Conseil, répondu aux exigences de l’information complète, équilibrée et équitable.
Analyse de la décision
- C06A Accès à l’information
- C06H Affectation des journalistes
- C09B Droit de réponse insatisfaisant
- C11B Information inexacte
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C11F Titre/présentation de l’information
- C20A Identification/confusion des genres
- C23I Violation de la propriété privée
- C23L Altercation/manque de courtoisie