Plaignant
M. Guy Mercier
et Mme Phyllis Préfontaine (candidats, élections municipales de Saint-Bruno)
Mis en cause
La Presse
[Montréal], M. Jean Rivest (directeur de l’information municipale) et M. Michel
Girard (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean Sisto
(éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans l’article
«Rive Sud : ça barde, surtout à St-Bruno», publié le 24 octobre 1979 par La
Presse, le journaliste Michel Girard formule des commentaires négatifs à
l’endroit d’un des plaignants en se basant sur le témoignage de prétendus
observateurs. Le journaliste passe sous silence le programme électoral des
plaignants alors qu’il fait état de ceux des autres candidats aux élections
municipales de Saint-Bruno. Les plaignants désirent que La Presse rectifie cet
article, mais M. Jean Rivest, directeur de l’information municipale, refuse de
les recevoir.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse du Québec a terminé l’étude de la plainte que vous portiez devant lui
conjointement avec monsieur Guy Mercier contre le journal La Presse et monsieur
Michel Girard, journaliste, auteur de l’article «Rive Sud: ça barde, surtout à
St-Bruno» paru sous la rubrique «Pleins feux sur l’actualité» du 24 octobre
1979.
Vous reprochiez
à l’auteur de cet article ses commentaires négatifs, ses prises de position et
ses jugements de valeur à votre endroit en les basant sur la foi de «soi-disant
observateurs» sans avoir pris soin de vérifier son information auprès de vous
ou de monsieur Mercier, comme principaux intéressés. Considérant les propos du
journaliste comme une atteinte à votre personne, vous lui reprochiez enfin
d’avoir passé sous silence votre programme électoral ainsi que celui de
monsieur Mercier, en prenant pour acquis que vous étiez déjà hors de course
alors qu’il faisait état de ceux des autres candidats en lice à l’élection à la
mairie de Saint-Bruno du 4 novembre dernier.
Considérant la
façon de procéder de monsieur Girard comme étant «incompatible avec la fonction
journalistique» vous dénonciez la conséquence préjudiciable de la reprise d’un
tel article dans une lettre diffusée par l’un de vos adversaires politiques à
trois ou quatre jours de la tenue du scrutin. Un tel procédé démontrait, selon
vous, jusqu’à «quel point les articles de journaux peuvent servir à influencer,
pour ne pas dire manipuler l’opinion publique».
Enfin, vous
réprouviez la façon dont La Presse s’était comportée à votre endroit dans vos
tentatives d’une recherche de rectification et particulièrement de l’attitude
de monsieur Jean Rivest, directeur de l’information municipale qui aurait
refusé de vous recevoir.
Commentaires du mis en cause
Selon l’éditeur
adjoint de La Presse, monsieur Jean Sisto, l’article incriminé n’était pas une
«analyse» ou un «compte rendu des programmes électoraux des candidats»; «il
s’agissait plutôt d’un dernier survol des élections municipales sur toute la
Rive Sud, au terme de la campagne électorale et de certaines prédictions qu’il
est coutume de faire. Pour St-Bruno, ajoutait-il, notre journaliste Michel
Girard prédisait une lutte à trois et résumait, en un paragraphe, les
programmes électoraux des candidats. M. Girard couvrait entre autres les
affaires municipales à St-Bruno, au temps où La Presse publiait son cahier
banlieue: il est donc lui-même au fait des arcanes politiques de la ville que
lui ont corroborés « les observateurs » – c’est-à-dire, dans le jargon
du métier les journalistes des journaux régionaux, employés municipaux, des
citoyens actifs, etc.»
Monsieur Sisto
ne voyait pas en outre comment vous pouviez «prétendre» que l’article en
question portait atteinte à votre réputation puisque l’auteur y disait entre
autres que vous possédiez «une grande connaissance des dossiers de la ville» et
que par ailleurs en faisant état de la mésentente qui régnait au sein de
l’ancien conseil municipal, il ne faisait que rapporter des faits de notoriété
publique.
L’éditeur
adjoint de La Presse estimait aussi que votre adversaire politique avait agi de
plein droit en se servant de l’article de monsieur Girard dans sa publicité
électorale puisqu’il n’en avait pas déformé le sens.
Quant à ce qu’il
appelle vos «présumées aventures» lors de votre recherche de rectification
auprès du journal, le 25 octobre, monsieur Sisto indiquait au Conseil que : «La
Presse publie tous les jours, à la page 4, le nom des responsables du Service
de l’information, seuls habilités à recevoir les plaintes et d’en juger au nom
du journal. La plaignante ne s’est pas adressée aux autorités de La Presse
qu’il est pourtant fort simple de rejoindre… et auprès desquelles on peut se
nommer».
Analyse
Le Conseil ne peut attribuer les manquements que vous reprochez à l’article de monsieur Girard à un manque de rigueur professionnelle de sa part, non plus qu’il ne peut l’accuser, autrement que par procès d’intention, d’avoir voulu tromper le public soit en rapportant de la fausse information ou en lui cachant des informations qu’il était en droit de recevoir.
Le Conseil estime cependant que l’article en question aurait largement gagné à faire état de votre programme électoral ainsi que de celui de monsieur Mercier au même titre que les autres candidats. En effet le public aurait été ainsi mieux informé des enjeux de la campagne électorale en cours à ce moment-là puisqu’il aurait eu ainsi la possibilité de prendre connaissance des programmes de tous les candidats, même si divers «observateurs» de la scène municipale, comme le rapportait le journaliste, estimaient que vous n’étiez plus dans la course.
A ce sujet, le Conseil ne peut faire grief au journaliste pour avoir rapporté les commentaires «d’observateurs» sur votre personne. Ce recours à des «observateurs» qu’ils soient des autorités en certaines matières, des spécialistes ou de simples témoins de situations ou d’événements est une pratique de la presse, courante et nécessaire, puisqu’elle permet aux professionnels de l’information de mieux renseigner le public. Outre que les contraintes des médias empêchent souvent les professionnels de l’information d’identifier les sources qu’ils consultent, la confidentialité de ces dernières est souvent essentielle à l’exercice d’une véritable liberté de l’information comme le Conseil l’a déjà reconnu.
Bien sûr le devoir de la presse de préserver la confidentialité de ses sources d’information ne saurait lui servir de retranchement pour diffuser au public une information inadéquate. Car si le public en venait à douter de la probité et de l’intégrité de la presse dans l’utilisation de ses sources, non seulement la crédibilité de cette dernière mais même le droit du public à l’information s’en trouverait irrémédiablement compromis.
Or dans le présent cas, il n’est pas apparu au Conseil que le journaliste s’en soit remis à des sources fictives pour influencer l’opinion publique à quelques jours du scrutin ou encore qu’il ait faussé la nature de leurs observations tant sur votre personne que sur les résultats de l’élection à venir. L’information en question était, selon le Conseil, de caractère et d’intérêt publics et le journaliste n’a pas, à son sens, en la diffusant, cherché à vous discréditer aux yeux de l’opinion publique.
Si l’article en question comporte une critique qui a pu vous être désagréable, il n’appert pas cependant que le journaliste ait commis un accroc à l’éthique professionnelle ou ait péché par irresponsabilité en la faisant. Une tâche importante de la presse consiste à rapporter fidèlement l’information, que elle-ci plaise ou non.
Faut-il en outre préciser ici que l’influence inévitable qu’exerce la presse auprès de l’opinion publique et le danger que vous évoquez qu’elle puisse, à l’occasion, servir d’instrument de manipulation ne saurait qu’inciter davantage les professionnels de l’information et les médias à exercer leur fonction avec la plus grande rigueur d’autant plus qu’ils n’ont pas de contrôle sur l’utilisation qu’on peut faire de l’information qu’ils diffusent.
Enfin quant aux difficultés que vous auriez éprouvées lors de votre démarche à La Presse en vue de chercher une rectification auprès du directeur de l’information municipale, monsieur Jean Rivest, le Conseil croit devoir rappeler à la presse qu’il est aussi de sa responsabilité d’être accessible et ouverte à ses usagers en leur évitant les tracasseries qui pourraient les empêcher de faire valoir les remarques ou les récriminations qu’ils peuvent juger légitime de lui faire. En agissant autrement la presse se priverait, selon le Conseil, non seulement d’un échange avec le public qui est nécessaire à son bon fonctionnement mais qui rendrait même aléatoire le droit de ce dernier à l’information. L’accès du public à la presse doit être réel et effectif.
A ce sujet, il n’est pas apparu aussi évident au Conseil qu’à l’éditeur adjoint de La Presse, monsieur Jean Sisto, que les personnes dont le nom apparaît en haut de la page éditoriale de La Presse, soient «les seuls habilités à recevoir les plaintes et d’en juger au nom du journal». Encore faudrait-il que le public soit informé que ce soit là la seule démarche à faire pour tenter d’obtenir rectification qui soit acceptée par La Presse; le réflexe normal paraissant être au Conseil que celui qui croit avoir des motifs de se plaindre le fasse auprès des premiers intéressés d’abord, comme vous l’avez fait, soit en l’occurrence l’auteur de l’article et le responsable de l’information municipale.
Analyse de la décision
- C12B Information incomplète
- C15F Information non attribuée
- C17C Injure
- C24C Règles de procédure