Plaignant
M. Pierre Craig
Mis en cause
Allô Police
[Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Georges-André
Parent (directeur, Allô Police [Montréal])
Résumé de la plainte
La manchette «L’hécatombe
de Chapais, c’est lui : Le chômeur de 21 ans voulait essayer son nouveau
briquet», parue dans l’édition du 13 janvier 1980 d’Allô Police, fait de M.
Florian Cantin un coupable avant procès. Le journal néglige de respecter la
présomption d’innocence dont doit bénéficier tout individu considéré comme
témoin ou accusé dans une affaire criminelle.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
Presse a terminé l’étude de la plainte de Monsieur Pierre Craig qui dénonçait
la façon dont Allô Police a traité, à la «une» de son édition du 13 janvier
1980, le drame de Chapais.
En publiant en
première page une information dont la véracité n’était pas démontrée au moment
de sa publication, à savoir la responsabilité qui incombait à Monsieur Florent
Cantin dans l’incendie du Club Opémiska de Chapais, Allô Police aurait, selon
Monsieur Craig, commis un accroc grave à l’éthique journalistique en méprisant
la plus élémentaire présomption d’innocence dont doit bénéficier tout individu
considéré comme témoin important ou comme accusé dans une affaire criminelle.
Bien que les
affirmations contenues dans le «cahier spécial» consacré à cette affaire
nuançaient, par l’emploi du conditionnel, celles de la «Une», Monsieur Craig
estimait toutefois que nombreuses furent les personnes qui n’ont pris
connaissance que de cette première page, étalée durant une semaine dans les
kiosques à journaux et qui faisait du prévenu un coupable avant procès. La
«Une» affirmait en effet dans des titres de grandes dimensions accompagnant la
photo en gros plan du prévenu: «L’hécatombe de Chapais, c’est lui. Le chômeur
de 21 ans voulait essayer son nouveau briquet».
Commentaires du mis en cause
Vous indiquiez
au Conseil que même si Allô Police, à l’instar de tous les autres médias qui
ont commenté l’événement, souvent avec plus d’emphase, a bel et bien diffusé
une information dont la «véracité n’avait pas encore été démontrée, malgré
l’acte d’accusation, l’enquête du commissaire aux incendies, les rapports de
police et les témoins entendus», la faille encore ne tenait-elle «qu’à l’emploi
du conditionnel au lieu de l’indicatif» dans le titre de la «une». Ce serait,
selon vous, faire injure à l’intelligence d’éventuels jurés que de soutenir que
le fait d’avoir utilisé le présent plutôt que le conditionnel pourrait priver l’accusé
d’une défense pleine et entière, d’autant plus que la couverture de cet
événement avait plutôt, contre toute logique, provoqué dans la population un
sentiment de sympathie à l’endroit du prévenu.
Enfin, loin de
causer préjudice au prévenu, une analyse approfondie de la façon dont votre
journal a traité cet événement démontrait que votre hebdomadaire «a été l’un
des médias les plus circonspects dans cette affaire».
Analyse
Le Conseil est d’avis qu’Allô Police a manqué de rigueur dans les titres de la «une». Les affirmations qui y sont contenues sont effectivement de nature à causer préjudice au prévenu. Il apparaît au Conseil qu’Allô Police a assumé un rôle qui n’est pas le sien en donnant l’apparence de se substituer à l’appareil judiciaire. De cette façon, un organe de presse compromet les chances qu’a un prévenu de jouir d’un procès équitable et impartial. Aussi, le Conseil ne saurait-il trop insister sur la circonspection et la rigueur que doit s’imposer la presse en matière judiciaire en gardant constamment à l’esprit qu’une personne, qu’elle soit suspecte ou accusée d’un crime, est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été reconnue par un tribunal compétent. Autrement, la presse s’expose à en faire prématurément un coupable devant l’opinion publique.
Le Conseil est aussi d’avis que la page titre en question vise plus à mousser la curiosité des lecteurs qu’à renseigner adéquatement la population sur les aspects d’intérêt public que revêt le drame de Chapais.
Le Conseil déplore que les organes d’information aient si souvent recours au sensationnalisme pour traiter des drames humains, sans mesurer les lourdes conséquences qui en résultent pour les personnes mises en cause. Une telle pratique a pour résultat de compromettre la qualité de l’information.
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C17H Procès par les médias