Plaignant
Le Comité de
surveillance de l’objectivité de l’information
Représentant du plaignant
M. Georges
Lemire (président, Comité de surveillance de l’objectivité de l’information)
Mis en cause
CKVL-AM [NTR,
Verdun] et M. Yvon Dupuis (animateur)
Résumé de la plainte
Du 31 mars au 12
avril 1980, dans le cadre de l’émission «Opinion publique» diffusée sur les
ondes de CKVL, l’animateur Yvon Dupuis traite la question référendaire de manière
partiale et provocante. M. Dupuis passe sous silence certaines informations et
ne respecte pas les intervenants qui ne partagent pas son avis. Le 17 avril, il
omet de lire le télégramme du plaignant expliquant son refus de participer à
l’émission et injurie la Société Saint-Jean- Baptiste. Le 23 avril, M. Dupuis
néglige de corriger une accusation mensongère d’une auditrice dirigée contre la
Société Saint-Jean Baptiste, malgré une demande du trésorier général de cet
organisme. Enfin, l’animateur affirme à tort que la présence de Mme Thérèse
Casgrain à l’émission du 24 avril ne constitue pas un geste politique.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte dans laquelle vous dénonciez les propos
provocateurs, le parti pris ainsi que l’inégalité du traitement accordé à la
question référendaire par M. Yvon Dupuis au cours de ses émissions «Opinion
publique» diffusée sur les ondes de la station radiophonique CKVL entre le 31
mars et le 12 avril 1980.
A l’appui de
votre plainte, vous soumettiez au Conseil une liste des invités de M. Dupuis
dénotant, selon vous, «un manque flagrant d’objectivité». Quelques faits aussi
qui, souteniez-vous, démontrent que M. Dupuis a tendance à passer sous silence
certaines informations qui ne correspondent pas à ses idées et qu’il n’a aucun
respect pour les intervenants qui ne partagent pas son avis.
Par exemple,
vous alléguiez que lors de son émission du 16 avril 1980, M. Dupuis, après avoir
fait la lecture de la partie du discours du premier ministre du Canada, M.
Pierre Elliot Trudeau, traitant du référendum, aurait répondu à une auditrice
qu’elle n’était «pas brillante, pas intelligente» et lui aurait fermé la ligne
au nez lorsqu’elle lui avait demandé les raisons pour lesquelles il ne lisait
pas les discours du premier ministre du Québec, M. René Lévesque. Au cours de
la même émission, à la suite des bulletins de nouvelles qui soulignaient une
manifestation de protestation contre lui, il aurait également dit que les
manifestants étaient «10 gars, des faiseurs de troubles, toujours les mêmes»
alors qu’en réalité, souteniez-vous, il y avait 21 auditeurs qui manifestaient
leur mécontentement à son endroit.
Vous reprochiez
également à M. Dupuis d’avoir omis, au cours de son émission du 17 avril, de
lire le télégramme expliquant votre refus de participer à son émission. M.
Dupuis aurait aussi, selon vous, profité de sa fonction d’animateur pour
injurier la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.
Vous blâmiez
également M. Dupuis d’avoir négligé, au cours de son émission du 23 avril, de
faire une mise au point aux dires d’une auditrice qui accusait la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal de ne pas respecter la loi des dépenses
référendaires puisque cette société continuait de défrayer les dépenses de M.
Pierre Bourgeault depuis le dépôt du bref référendaire et ce, même si le
trésorier général de cet organisme avait pris la peine de commu-niquer avec la
station pour lui demande de corriger les faits. C’est finalement le ministre
Charron, invité du jour de M. Dupuis, qui, indiquiez-vous, a dû intervenir,
plusieurs minutes après l’incident, pour signaler la correction.
Enfin, vous
estimiez que la présence de Mme Thérèse Casgrain à l’émission du 24 avril
constituait un geste politique favorable au camp du «non» contrairement aux
affirmations de M. Dupuis à l’effet que n’étant pas invitée comme tenant du
«non», mais pour souligner le 40e anniversaire du droit de vote des femmes, il
n’avait pas à «comptabiliser son temps comme intervenante du « non »».
Commentaires du mis en cause
Considérant
votre plainte comme une dénonciation destinée uniquement à le discréditer et à
ternir injustement sa réputation comme animateur de ligne ouverte qui ne
partage point vos vues, M. Dupuis dénonçait cette «façon méprisable» employée
par un «Comité de surveillance de l’objectivité de l’information» dont
«l’objectivité», selon lui, est déjà sujette à caution puisqu’il en lie
l’existence à celle de la Société Saint-Jean-Baptiste.
M. Dupuis
indiquait en outre au Conseil que, dès l’adoption de la loi 92, il s’était
efforcé d’inviter à tour de rôle ou ensemble des tenants du «oui» et du «non».
Et s’il a pu arriver, au gré de l’actualité à laquelle est consacrée son
émission, que l’une ou l’autre des options parût être favorisée, l’équilibre
fut rétabli rapidement. A l’appui de cette affirmation, M. Dupuis soumettait la
liste de ses invités depuis le 26 février au 23 avril, liste qui selon lui
témoignait de son souci de rendre justice à tous dans un esprit d’équité et
cela bien avant que la loi référendaire ne l’y oblige.
Enfin,
considérant comme injustes et malhonnêtes les accusations contenues dans le
texte émis par le Comité que vous présidez, M. Dupuis blâmait les organes
d’information du Québec qui, sans la moindre vérification, les ont reprises et
dans certains cas commentées; ce qui lui a causé un tort considérable.
Analyse
De l’avis du Conseil, l’attention que décide de porter un animateur de lignes ouvertes, comme tout journaliste ou tout organe d’information, à un sujet particulier relève de son jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet, l’importance qu’il décide de lui accorder ou le choix de ses invités lui appartiennent en propre. Ces décisions sont la manifestation normale de la liberté d’expression, de la liberté d’opinion et de la liberté de la presse. En intervenant dans ces décisions, le Conseil se transformerait en un mécanisme de direction et d’orientation de l’information bien qu’il se réserve le droit d’étudier les critères qui président à ces choix et qui ne seraient pas conformes au rôle des professionnels et des organes d’information de renseigner adéquatement la population sur les questions d’intérêt public.
Or, dans le présent cas, le Conseil estime que le public n’a pas été brimé dans son droit à l’information sur la question référendaire.
A cet égard, le Conseil doit tenir compte de l’ensemble de ces émissions y inclus celles des 16, 17, 23 et 24 avril sur lesquels vous avez attiré plus particulièrement son attention. En effet, au regard de la liste que lui a fournie M. Dupuis, force est au Conseil de reconnaître que celui-ci a, dans l’ensemble des émissions portant sur la question référendaire, respecté l’équité dans l’expression des deux options en présence. Le Conseil tient à faire remarquer ici que l’équilibre et l’égalité de traitement dépassent largement un strict calcul mathématique dans le partage du temps d’antenne ou de la ligne agate dans le cas des journaux.
Le Conseil croit aussi qu’il est essentiel de tenir compte des difficultés particulières que rencontre l’animateur de lignes ouvertes ne serait-ce qu’à cause du caractère spontané de telles émissions et que parce que celui qui les anime est tributaire des interventions du public. Certes ce rôle difficile impose des exigences de discipline et de rigueur d’autant plus grande à celui qui l’exerce surtout lorsque les sujets abordés, par suite des intérêts et des passions qu’ils soulèvent, suscitent force controverses.
Le public est en droit de s’attendre à ce que l’animateur de lignes ouvertes n’abuse pas de sa fonction ou encore de la latitude que lui donne ce genre d’émission pour imposer ses points de vue personnels ou écarter ceux qui n’y correspondent pas. L’animateur de lignes ouvertes doit aussi s’efforcer de faire preuve d’équité et de déférence envers les personnes ainsi que de respect pour leurs opinions.
Ce sont là, estime le Conseil, des exigences d’autant plus importantes à respecter que les lignes ouvertes jouissent d’une large audience et que le public qu’elles atteignent se forme une opinion fondée en très grande partie, sinon exclusivement, sur l’information qu’il en retire. Aussi, afin d’éviter qu’elles ne servent d’instrument de manipulation de l’opinion publique, n’échappent-elles pas aux règles de l’éthique.
Or, le Conseil ne saurait blâmer M. Dupuis d’avoir, d’une façon générale, manqué à l’éthique professionnelle non plus que de s’être acquitté, dans l’ensemble de ses émissions, de façon inadéquate de son rôle d’animateur d’une ligne ouverte, si ce n’est pour lui reprocher ses propos peu déférents à l’endroit d’une intervenante de même qu’à l’endroit du Comité que vous dirigez ou encore de la Société Saint-Jean-Baptiste, au cours de son émission du 16 avril.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C15J Abus de la fonction d’animateur
- C17D Discréditer/ridiculiser