Plaignant
M. Jacques Rivet
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal] et M. Jean-Claude Picard (journaliste)
Résumé de la plainte
Le journaliste
Jean-Claude Picard utilise l’expression «des odeurs… d’herbe» pour décrire, à
la «une» de l’édition du 9 mai 1980 du Devoir, l’atmosphère d’une assemblée tenue
deux jours auparavant par le Regroupement national pour le «oui». L’emploi de
cette expression risque de cultiver les préjugés du public vis-à-vis les
tenants de cet option politique. De plus, le journaliste cite inadéquatement
son confrère du Soleil qui s’était limité, dans un texte paru le 8 mai, à
parler d’une «fumée fort dense».
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte par laquelle vous dénonciez «la
négligence professionnelle» dont, selon vous, aurait fait preuve M. Jean-Claude
Picard, journaliste, dans son article publié à la «une» de l’édition du 9 mai
du journal Le Devoir sous le titre: «7,000 OUI au Petit Colisée», en utilisant
l’expression «des odeurs… d’herbe» pour décrire l’atmosphère de l’assemblée
que le Regroupement national pour le OUI tenait à Québec le 7 précédent.
Vous estimiez
d’une part que l’emploi de cette expression qui «projette aux yeux du lecteur
une image de « pot ou de marijuana »» était propre à cultiver, dans le
contexte de la campagne référendaire, les préjugés du public vis-à-vis les
tenants du «oui».
D’autre part,
vous reprochiez au journaliste d’avoir «cité inadéquatement» son confrère du
journal Le Soleil, M. Gilles Lesage, qui dans un texte de la veille s’était
limité à attribuer l’odeur qui s’échappait du Petit Colisée à une «fumée fort
dense»; estimant qu’une telle façon de faire pouvait être préjudiciable à M.
Lesage qui se retrouvait ainsi dans «le camp des mal cités».
Commentaires du mis en cause
Convenant que le
mot «herbe» pouvait avoir dans l’esprit de certains une connotation
préjudiciable aux tenants du «oui», M. Picard estimait que d’autres pouvaient
considérer comme tout autant nuisible aux partisans du «non» le fait qu’il ait
affirmé, dans le même article, que l’assemblée que ces derniers tenaient
simultanément au Centre des congrès de Québec «réunissait l’ensemble de
l’establishment politique et social de Québec».
En outre, M.
Picard faisait remarquer au Conseil qu’il n’avait nullement cité au texte son collègue
M. Lesage qui, au demeurant, loin de considérer sa crédibilité atteinte par la
référence de M. Picard, trouvait fort juste la façon de s’exprimer de ce
dernier.
Analyse
Le Conseil n’a pas, d’une part, à établir un lexique des termes que la presse doit employer ou éviter. D’autre part, il accepte l’argument de M. Picard à l’effet qu’un «journaliste a parfaitement le droit de raconter ce qu’il voit et ce qu’il sent» lorsqu’il s’en tient à l’exactitude des faits.
Le Conseil estime aussi que le choix d’un sujet, son importance, la façon de le traiter, au même titre que le style de celui qui écrit, relèvent de la discrétion rédactionnelle des professionnels de l’information.
En intervenant dans ces décisions, le Conseil se transformerait en un mécanisme de direction et d’orientation de l’information bien qu’il se réserve le droit d’étudier les critères qui président à ces choix et qui ne seraient pas conformes au rôle des professionnels de l’information de renseigner adéquatement la population sur les questions d’intérêt public.
Or, dans le présent cas, le Conseil estime que M. Jean-Claude Picard et le journal Le Devoir se sont acquittés de leur fonction d’informer d’une façon responsable et qu’ils ne sauraient être blâmés pour avoir fait preuve de la «négligence professionnelle» que vous leur imputez.
Analyse de la décision
- C17D Discréditer/ridiculiser
Date de l’appel
28 October 1980
Appelant
M. Jacques Rivet
Décision en appel
Le Conseil
infirme sa décision de première instance puisque dans cette décision, il
n’avait pas percu l’écart qui séparait les propos du journaliste du Devoir de
ceux que ce dernier attribuait au journaliste du Soleil.
En prêtant au
journaliste du Soleil des propos qu’il n’avait pas effectivement tenus, le
journaliste du Devoir a outrepassé les limites de sa latitude rédactionnelle.
Un journaliste
jouit d’une grande liberté dans l’interprétation des faits qu’il a observés
lui-même. S’il croit devoir s’appuyer sur les observations faites par un autre
journaliste, il doit s’en tenir strictement à ces dernières et les citer
textuellement.
Analyse de la décision en appel
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
Griefs pour l’appel
Le plaignant a
demandé au Conseil de réviser sa décision estimant que ce dernier a retenu un
faux argument à l’appui de son jugement qui pousse «bien loin les conséquences
pratiques de la théorie de l’objectivité». Un journaliste a «parfaitement le
droit de raconter ce qu’il voit et ce qu’il sent» soit, «mais pas avec les yeux
et le nez d’un autre».