Plaignant
M. François
Leduc
Mis en cause
La Presse
[Montréal], Le Devoir [Montréal] et CTV [Toronto]
Représentant du mis en cause
M. Jean Sisto
(éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
La Presse, Le
Devoir et le réseau CTV traitent la campagne référendaire de 1980 de manière
partiale. La Presse, par la mise en page de sa tribune des lecteurs et certains
titres, démontre un parti pris favorable à l’option du «non». Quelques titres
du Devoir sont peu rigoureux et peuvent confondrent le lecteur sur la véritable
signification de l’information diffusée. Enfin, CTV n’accorde, dans son
bulletin d’information «National News» du 21 avril 1980, qu’une dizaine de
secondes à la réplique du Premier ministre du Québec aux accusations de racisme
portées contre lui par des membres du Comité du «non». Par ailleurs, Le Presse
n’identifie pas la source d’un sondage sur l’intention de vote des homosexuels
publié dans son édition du 5 mai 1980. Ce sondage, possiblement bidon, est
susceptible d’influencer indûment le lecteur.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude du dossier que vous portiez à son attention le 14 mai
dernier. Le 17 juillet, vous faisiez part au Conseil de votre intention de le
voir considérer ce dossier comme une plainte formelle contre La Presse, Le
Devoir et le réseau de télévision CTV pour la façon dont ils ont traité la
campagne référendaire.
La Presse:
Vous dénonciez
d’une part le fait que La Presse insérait toutes les lettres des lecteurs
favorables au «non» du côté droit de la page réservée à cette fin, y voyant là
l’expression d’un parti pris évident en faveur des tenants de cette option,
puisque cette disposition favorisait la lecture de leurs lettres. Ce parti
pris, selon vous, était aussi manifeste de par «l’utilisation répétée
d’expressions suggestives» sous les titres: «Les anglophones… Les Yvette…
se serrent les coudent», «Blitz… libéral…», «Blitz du non sur la Rive-Sud»,
etc.
Vous mettiez
aussi en doute la rigueur de plusieurs des titres utilisés par La Presse. Par
exemple:
– «Gallup
pancanadien sur la souveraineté-association : Ottawa devra refuser toute
négociation» paru en manchette de l’édition du 30 avril 1980 de La Presse.
Pourquoi, vous demandiez-vous, le journal utilisait-il dans ce titre le futur,
ce qui, selon vous, donnait un caractère impératif à la manchette, alors que
dans le corps de l’article on utilisait le conditionnel?
– «Davis n’a pas
de leçon à donner» de la même édition. Vous estimiez qu’il était inacceptable
que dans ce cas on omette d’indiquer au lecteur le nom de l’auteur (le
porte-parole de l’Assomption des Franco-ontariens) de cette déclaration puisque
l’ignorance de ce nom pouvait fausser la perception du public sur le sens de
l’article coiffé par ce titre incomplet.
– «Le PDG de
Celanese : La souveraineté retardera les investissements» de l’édition du 2
mai. Ce titre constituait, selon vous, une interprétation excessive du chef du
pupitre eu égard au contenu de l’article en question dans lequel le PDG de
Celanese, contrairement au titre, annonçait «un programme d’investissement de
$11.7 millions à Drummondville».
De plus, vous
estimiez que La Presse aurait dû identifier la source d’un sondage réalisé sur
l’opinion politique de personnes d’orientation homosexuelle dont elle publiait
les résultats dans son édition du 5 mai 1980. Selon vous, «le respect
élémentaire du lecteur aurait exigé que l’on identifia l’origine exacte d’une
telle nouvelle».
Le Devoir:
Vous déploriez
aussi le manque de rigueur de deux des titres du Devoir. Ainsi, le titre: «Ryan
dénonce le OSE dire OUI» du 26 avril 1980 pouvait, selon vous, porter à confusion,
Le Devoir semblant, par un tel titre, prendre pour acquis que le sens de la
publicité utilisée par le gouvernement du Québec pour mousser le projet OSE
avait le sens que lui donnait M. Ryan qui, lui, l’appliquait à un slogan
référendaire, alors que telle n’était pas la véritable signification de ce
message.
D’autre part, Le
Devoir semblait, selon vous, donner au lecteur sa propre interprétation du sens
d’un vote négatif au référendum en coiffant un article du 28 avril du titre:
«Voter non c’est aussi donner un mandat», puisque ce titre omettait d’indiquer
qu’il s’agissait là du point de vue du ministre de la Consommation et des
Corporations et ministre des Postes, M. André Ouellet.
CTV:
Enfin, vous
estimiez que le réseau de télévision CTV avait fait preuve d’iniquité dans son
bulletin d’information, National News, du 21 avril 1980, en n’accordant qu’un
dizaine de secondes à la réplique du premier ministre, M. René Lévesque, aux
accusations de racisme portées contre lui par certains militants du «non»,
alors que dans le même bulletin de nouvelles, le téléspectateur était abreuvé
«de reportages sur MM. Ryan et Lalonde ainsi que sur la position des premiers
ministres de l’Ouest sur la question de la négociation».
Commentaires du mis en cause
Bien que
l’éditeur adjoint de La Presse estimait que votre plainte relevait de «la plus
pure fantaisie», il invitait le Conseil à juger sur les quelque 70 pages
consacrées aux lettres des lecteurs et les quelque 150 pages d’informations
publiées pendant le débat référendaire.
Les responsables
du Devoir non plus que ceux de CTV n’ont jugé utile de formuler leurs
commentaires sur votre plainte et c’est donc sans leur version des faits que le
Conseil rend la présente décision.
Analyse
La Presse:
Le Conseil ne saurait, autrement que par voie de procès d’intention, accuser La Presse d’avoir voulu favoriser une thèse au détriment de l’autre dans sa façon de présenter les lettres de ses lecteurs concernant le référendum.
Outre que la publication des lettres ouvertes et leur mise en page relèvent du jugement et de la responsabilité rédactionnels des organes d’information, le Conseil ne saurait en effet conclure, dans le présent cas, que La Presse ait voulu manipuler l’opinion publique. La présentation qu’a faite La Presse de ces lettres est apparue, en l’occurrence, équitable envers les tenants de l’une et de l’autre option et conforme aux règles de l’éthique professionnelle.
Le Conseil ne saurait non plus, autrement qu’en versant dans le procès d’intention, conclure que La Presse, dans ses titres, a voulu favoriser l’une des options référendaires. Cependant, par leur imprécision et leur manque de rigueur, certains de ceux-ci justifient, à son sens, certaines de vos interrogations parce qu’ils risquent d’induire le lecteur en erreur sur le contenu des articles qu’ils coiffent («Le PDG de Celanese : La souveraineté retardera les investissements») ou encore sur le véritable sens de l’information qui lui est livrée («Gallup pancanadien sur la souveraineté-association : Ottawa devra refuser toute négociation» – «Davis n’a pas de leçon à donner»).
Bien que le choix des titres relève de la discrétion rédactionnelle des organes d’information, le Conseil estime que pour s’acquitter adéquatement de sa responsabilité d’informateur public, la presse, en ayant recours aux moyens les plus efficaces à sa disposition pour rendre l’information qu’elle diffuse vivante, dynamique et susceptible d’attirer l’attention du lecteur, doit faire preuve d’une grande rigueur en sorte d’exposer fidèlement la réalité qu’elle veut décrire et d’éviter, chez le lecteur, toute confusion sur l’exactitude et l’intégrité de l’information qu’elle lui transmet.
Enfin, le Conseil considère que La Presse aurait dû identifier la source du sondage sur l’option référendaire des homosexuels, estimant qu’il est primordial que la qualité des informations diffusées au public par voie de sondages, puisse être vérifiée et vérifiable. Comme il l’affirmait dans ses déclarations antérieures sur cette question, le Conseil juge qu’il importe que le public possède, en même temps que les résultats, toutes les informations d’ordre méthodologique qui sont nécessaires à la bonne compréhension des sondages.
Le Devoir:
Quant à vos griefs contre certains titres du Devoir, le Conseil est d’avis qu’ils auraient gagné à être plus précis et plus explicites. Partant, le public aurait été mieux informé. Aussi, le Conseil ne saurait-il qu’inciter les responsables des titres de ce journal, tout comme il le fait en l’occurrence pour La Presse, à faire montre de la plus grande rigueur.
CTV:
Le Conseil n’a pas été en mesure de vérifier le bien-fondé du grief que vous faisiez à l’endroit de l’émission du réseau CTV du 21 avril 1980. Il se peut que cette émission, comme vous l’affirmiez, n’ait pas respecté une stricte équité en terme de temps. Cependant comme l’équilibre et l’égalité de traitement, auxquels se doivent les organes d’information, ne sauraient être mesurés sur la base d’une seule émission, non plus que sur un strict calcul mathématique du partage du temps d’antenne ou de la ligne agate dans le cas des journaux, le Conseil ne saurait blâmer CTV d’avoir fait preuve d’inéquité dans le traitement de l’actualité référendaire.
Le Conseil vous remercie d’avoir porté ces divers points à son attention. Votre plainte aura eu comme avantage de constituer un autre exemple de la vigilance à laquelle se doit le public en matière d’information et un rappel de leurs obligations aux organes et aux professionnels de l’information.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C11F Titre/présentation de l’information
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité