Plaignant
Le Syndicat de
l’information du Nouvelliste [Trois-Rivières]
Représentant du plaignant
M. Jacques
Laberge (trésorier, Syndicat de l’information du Nouvelliste [Trois-Rivières])
Mis en cause
Le Nouvelliste
[Trois-Rivières]
Représentant du mis en cause
M. René Ferron
(directeur de la rédaction, Le Nouvelliste [Trois-Rivières])
Résumé de la plainte
Le Nouvelliste
force ses journalistes Jean-Paul Arsenault et Denis Pronovost à prendre un
congé sans solde en raison de leur participation aux comités du «non» et du
«oui» lors de la campagne référendaire de 1980. Une telle décision constitue un
cas de censure et une atteinte au droit à une information libre, honnête et
complète, le journal ayant empêché les journalistes en question de poursuivre
leur travail auprès du public.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
Presse a terminé l’étude de la plainte portée par le Syndicat de l’information
du Nouvelliste contre votre journal concernant la mise en congé sans solde de
deux journalistes, MM. Jean-Paul Arsenault et Denis Pronovost, pour leur
adhésion et leur participation aux comités du «non» et du «oui» lors de la
campagne référendaire.
Le syndicat
estimait d’une part qu’il s’agissait là «d’un cas de censure» et d’une atteinte
au droit du public à une information libre, honnête et complète, votre journal
ayant privé deux journalistes, l’un préposé au secteur chasse et pêche, l’autre
à l’information sportive, de poursuivre leur travail auprès du public.
Le syndicat
estimait également que MM. Arsenault et Pronovost avaient été aussi victimes de
discrimination, contrairement aux dispositions de la Déclaration universelle
des droits de l’Homme endossée par l’Association des éditeurs de journaux du
Canada puisqu’ils avaient été «pénalisés pour avoir eu le courage d’exprimer
leur opinion dans le cadre d’une campagne référendaire». Selon le plaignant en
effet, «nul individu ne doit être inquiété pour ses opinions».
Commentaires du mis en cause
Jugeant cette
plainte non fondée, vous affirmiez au Conseil que Le Nouvelliste, «afin de
conserver cette image de neutralité politique qui est sa marque de commerce, ne
pouvait permettre à des journalistes à son emploi de militer activement et
officiellement pour l’une ou l’autre des opinions tout en poursuivant leur
travail journalistique».
Aussi, Le
Nouvelliste justifiait-il ces mises en congé sans solde en interprétant «comme
une équivalence pour ce problème imprévu provoqué par la nouveauté
référendaire», l’article 8.18(c) de sa convention collective qui dit que:
«Tout employé
briguant les suffrages à une élection municipale, provinciale ou fédérale doit
prendre un congé sans solde et cela pour toute la durée de la période
électorale, à moins d’entente contraire entre l’employé concerné, l’employeur
et le syndicat.»
Enfin, en
remplaçant les deux journalistes en question pendant toute la durée de leur
mise en congé, vous estimiez que Le Nouvelliste avait agi ainsi «en toute justice
pour le lecteur, indépendamment des opinions politiques en cause».
Analyse
Le Conseil estime que les problèmes de gestion, d’organisation et de relations de travail au sein des entreprises de presse ne relèvent pas de sa compétence, sauf dans la mesure où ils peuvent avoir une incidence sur le droit du public à l’information.
Or, dans le présent cas, la mise en congé sans solde de MM. Arsenault et Pronovost pour la durée de la période référendaire n’est pas apparue au Conseil comme une mesure de censure destinée à porter atteinte au droit du public à l’information. Le Conseil estime en effet que la décision des autorités du Nouvelliste n’a eu ni comme intention ni comme conséquence de priver le public d’une information à laquelle il avait droit, d’autant plus que Le Nouvelliste a procédé, dans ce cas, avec promptitude à l’engagement de deux autres journalistes pour combler les postes ainsi laissés vacants.
Le Conseil estime toutefois que la décision des autorités du Nouvelliste de mettre en disponibilité les deux journalistes en question pendant la période référendaire, pour le motif invoqué de préserver l’image de neutralité politique du journal, constitue un précédent dangereux qui pourrait être préjudiciable au droit du public à l’information puisque de telles intervention sont propres à compromettre le libre exercice du métier de journaliste.
En outre, de l’avis du Conseil, des interventions de la sorte ne sont pas souhaitables parce qu’elles risquent, si les entreprises de presse ne sont pas très circonspectes, de constituer des cas de censure ou des sanctions pour délits d’opinion. Si en effet le journaliste, comme citoyen, jouit des libertés d’expression, d’opinion et d’association, s’il est libre de ses appartenances et de ses engagements, pourquoi devrait-il, du fait de l’exercice de ces libertés, subir des sanctions? Pourquoi une entreprise de presse pourrait-elle exiger de lui, ailleurs que dans l’exercice de ses fonctions journalistiques, la «neutralité» qui convient à sa fonction d’informateur public?
Or, dans le présent cas, le Conseil estime que la décision de suspendre les journalistes en question était peut-être prématurée et qu’il aurait mieux valu que les autorités du Nouvelliste jugent sur la qualité des articles des journalistes suspendus. Il n’est pas sûr, selon le Conseil, que l’appartenance de ceux-ci aux comités référendaires en question, de même que le rôle qu’ils étaient appelés à y jouer, auraient nécessairement compromis la qualité et l’intégrité de l’information que l’un transmettait par voie d’une chronique de chasse et pêche et l’autre dans la section des sports.
Cependant, le Conseil s’interroge sur la compatibilité du militantisme et de l’action politique avec le métier de journaliste. A cet égard, le Conseil est d’avis que les journalistes devraient éviter quelque situation que ce soit (politique ou autre) qui pourrait compromettre leur crédibilité d’informateur public et l’intégrité de l’information qu’ils transmettent à la population, même si dans les faits ils s’acquittent adéquatement de leur tâche. Le Conseil invite les professionnels de l’information à définir eux-mêmes les conditions dans lesquelles ils exerceront leur métier de façon à préserver leur propre crédibilité auprès du public qu’ils servent.
Analyse de la décision
- C06I Congédiement d’un journaliste
- C22B Engagement politique
- C24D Hors mandat