Plaignant
Le Club Contact
Représentant du plaignant
M. Alain
Bouchard (propriétaire, Club Contact)
Mis en cause
La Presse
[Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Jean Sisto
(éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
La Presse refuse
de publier une annonce publicitaire payée par l’agence de rencontres pour
homosexuels Club Contact. Ce journal exerce une discrimination envers les
homosexuels, puisqu’il fait paraître des annonces d’agences pour hétérosexuels.
En plus de priver le plaignant d’un service normalement offert par les médias,
La Presse empêche ses lecteurs de connaître des informations qu’ils ne peuvent
obtenir autrement que par la lecture des journaux.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de M. Alain Bouchard concernant le refus
de La Presse de publier, les 18 et 21 juin 1980, une annonce publicitaire payée
par le Club de rencontres par correspondance pour homosexuels, Contact enr.
Le plaignant
considérait comme de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle des
personnes, l’attitude de La Presse, compte tenu que ce quotidien publie
régulièrement des annonces d’agences de rencontres pour personnes
hétérosexuelles dont les services ne diffèrent pas essentiellement, selon lui,
des objectifs du Club Contact dont il est le propriétaire.
En plus de
priver le plaignant de son droit d’accès à un service offert normalement par
les médias au grand public en général, La Presse, selon M. Bouchard, privait
aussi le lecteur d’informations qu’il ne peut obtenir autrement que par la
publication d’annonces dans les journaux.
Commentaires du mis en cause
En guise de
réponse aux commentaires qu’il vous demandait dans ce dossier, vous informiez
le Conseil que les tribunaux, la Commission des droits de la personne et
lui-même s’étaient déjà prononcés dans des cas similaires.
Analyse
Avant de livrer ses conclusions dans le présent dossier, le Conseil tient à rappeler que:
– Il relève de la prérogative de l’éditeur d’établir la politique d’un organe d’information en matière de publicité comme en matière d’information. Cette prérogative découle de la liberté d’opinion et d’expression de l’éditeur et confère à ce dernier une grande latitude quant au choix du contenu publicitaire de l’organe d’information dont il est responsable.
– La discrétion de l’éditeur ou de ceux qui, par voie de délégation, sont responsables des services de publicité des médias n’est pas absolue. Les jugements d’appréciation en matière de publicité doivent, dans une société qui se veut ouverte et progressiste, faire preuve de la largeur d’esprit nécessaire aux médias dont la fonction d’informer comporte aussi le devoir de favoriser l’expression des libertés individuelles et collectives.
– Nul ne peut prétendre avoir accès de plein droit aux pages d’un journal ou aux ondes des stations de radio et de télévision. Cependant, dans un système où la liberté de la presse et la liberté d’expression se veulent de rigueur, les organes d’information doivent favoriser l’accès du public et encourager la libre circulation des idées.
La capacité d’un individu ou d’un groupe de faire valoir ses opinions et ses points de vue ou encore de transmettre au public, par l’intermédiaire des médias, des informations qu’il juge utiles, que ce soit par la voie de lettres des lecteurs, de communiqués publics ou de services publicitaires, doit être réelle et effective.
Sur la base des principes précédents, le Conseil en est arrivé aux conclusions suivantes:
Le Conseil voit mal les raisons qui, dans le présent cas, ont incité les responsables de la publicité de La Presse à refuser de publier le texte publicitaire du Club Contact enr., d’autant plus que par le passé, ce journal a déjà publié des annonces classées de groupes gais et qu’il publie régulièrement de la publicité du même genre, mais qui s’adresse à une clientèle hétéro-sexuelle.
Le Conseil est partant perplexe sur le caractère arbitraire, sinon discriminatoire comme l’invoque le plaignant, de la décision de La Presse en l’occurrence, et s’interroge sur les critères qui, d’une façon générale, guident les responsables des pages publicitaires de ce journal dans le choix des annonces qu’ils acceptent ou qu’ils refusent de publier.
Selon le Conseil, le choix des textes publicitaires que décident de publier ou non les organes d’information doit être mesuré à des critères objectifs qui ne s’arrêtent pas aux seuls convictions, préjugés ou caprices de l’éditeur ou de ceux à qui ce dernier confie des pouvoirs de décision en cette matière. Le Conseil ne saurait non plus se ranger à l’opinion que vous exprimiez dans le cas numéro 197901-004 (M. Yvon Thivierge, Regroupement national des lesbiennes et gais du Québec – c. – La Presse) que vous évoquiez dans le présent dossier, à savoir que «l’éditeur d’un journal, s’il ne contrevient à aucune loi, peut refuser péremptoirement de publier toute annonce publicitaire au nom de son code d’éthique personnel». Cet argument laisse justement trop de place à l’arbitraire et tient trop peu compte des exigences du droit du public à l’information.
L’incident soulevé par le présent cas met en relief la difficulté que peuvent éprouver les organes d’information à s’acquitter, conformément à leur responsabilité sociale, de leur devoir essentiel d’informer le public lorsqu’ils sont confrontés avec l’exercice de la prérogative qui leur confère une discrétion insuffisamment définie sur le contenu de la publicité qu’ils diffusent et qui comporte nécessairement un caractère informatif. C’est pourquoi le Conseil croit utile d’insister sur l’importance pour les organes d’information, de préciser et de faire connaître publiquement les critères qu’ils retiennent et qui influent sur leurs choix publicitaires.
Analyse de la décision
- C10D Refus de publier