Plaignant
L’Association
pour les droits de la communauté gaie du Québec [ADGQ], M. Léo Lavigne et M.
Jacques Olson
Représentant du plaignant
M. Claude
Beaulieu (représentant, Association pour les droits de la communauté gaie du
Québec [ADGQ])
Mis en cause
Le Journal de
Montréal, M. Guy Roy et Mme Monelle Saindon (journalistes)
Résumé de la plainte
Dans ses
éditions des 26, 27 et 28 octobre 1981, Le Journal de Montréal publie des
articles à sensations sous les titres «Raid dans un party « gai » : La
bière était… de trop!», «La police ferme deux « blind pigs »» et «Le
« kit » parfait du sadomasochisme». La mention de l’orientation
homosexuelle présumée des participants à une soirée qui s’est terminée par une
descente policière est discriminatoire et propre à entretenir des préjugés. Par
leurs exagérations grossières et leurs élucubrations sur la découverte d’une
soi-disant chambre des tortures, ces articles trompent le lecteur sur l’objet
véritable de la descente et associent sans raison l’homosexualité à la
criminalité. De plus, Le Journal de Montréal ne fait état que de la version des
policiers et refuse de faire les mises au point qui s’imposent.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte que portait au nom de l’Association pour
les droits de la communauté gaie du Québec, monsieur Claude Beaulieu, ainsi que
celle de messieurs Léo Lavigne et Jacques Olson contre Le Journal de Montréal,
madame Monelle Saindon et monsieur Guy Roy, journalistes, pour les articles
parus les 26, 27 et 28 octobre 1981 sous les titres: «Raid dans un party «gai»:
La bière était… de trop!», «La police ferme deux «blind pigs» et enfin, «Le
«kit» parfait du sado masochisme» (sic).
Ces articles,
avant tout à sensation selon les plaignants, accordaient une importance
exagérée à une soirée qui se déroulait dans une résidence privée – et non dans un
bar clandestin comme l’affirmait le journal – et qui s’était terminée par une
descente de la police. En mentionnant, par ailleurs, l’orientation homosexuelle
présumée des participants à cette soirée, les articles en question étaient
discriminatoires et propres à entretenir des préjugés à l’égard de la
«communauté gaie». Pourquoi, en effet, Le Journal de Montréal n’avait-il pas
mentionné l’orientation présumément hétérosexuelle des participants à une autre
soirée du même genre dont il faisait état le lendemain?
Encore, ces
articles, par leur exagérations grossières et leurs élucubrations sur la
découverte d’une soi-disant «chambre des tortures réservée aux
sadomasochistes», en plus de tromper le lecteur sur l’objet véritable de la
descente policière, associaient-ils, sans raison, l’homosexualité à la
criminalité. Ce lien paraissait d’autant plus évident aux plaignants que, dans
sa mise en pages du 28 octobre, Le Journal de Montréal avait accolé à l’article
intitulé «Le «kit» parfait du sado masochisme» (sic) un texte sans aucun
rapport intitulé: «Il s’échappe sans tuer personne». Une telle façon de faire
pouvait facilement laisser croire qu’un tueur était sur les lieux de la razzia
décrite et qu’il avait pu s’enfuir avant d’accomplir quelque forfait.
Enfin, en
dénonçant plusieurs autres inexactitudes et contradictions dans les faits
rapportés, les plaignants faisaient grief au Journal de Montréal de n’avoir
fait état que de la version des policiers sans même rechercher le point de vue
des victimes de la rafle. Ä cet égard, ils dénonçaient vivement le refus opposé
par Le Journal de Montréal de faire les mises au point qui s’imposaient.
Commentaires du mis en cause
En guise de
réponse aux explications que le Conseil demandait au Journal de Montréal, le
journaliste Guy Roy lui indiquait pour sa part qu’il trouvait la plainte
«parfaitement injustifiée» et qu’il n’avait aucunement l’intention de se
«lancer dans une défense élaborée».
Quant à la
journaliste Monelle Saindon, elle affirmait n’avoir aucunement cherché, par son
article du 27 octobre, à accabler les homosexuels. Au contraire, comme le
démontrait une série d’articles qu’elle leur avait consacrée dans le passé,
avait-elle toujours cherché à prendre leur défense comme celle de tout groupe
susceptible de faire l’objet de discrimination. Dans le présent cas, elle s’en
était tenue à rapporter l’incident selon les normes journalistiques régissant
ce genre de faits divers, sans préjugés aucun. La mention de l’orientation
sexuelle des participants à la soirée en question était, selon elle, nécessaire
dans ce cas, à cause de «l’existence d’une activité sexuelle fort particulière»
qui pouvait «être présumément reliée à la chambre des tortures qui fut trouvée
par les policiers». Des clients hétérosexuels auraient-ils été en cause qu’elle
aurait apporté la même précision, ajoutait-elle. D’autre part, il ne fallait
pas s’étonner, selon madame Saindon, de l’importance accordée par Le Journal de
Montréal à cette affaire puisque ce journal accorde toujours plus d’importance
que ses compétiteurs aux événements de la scène criminelle, s’agissant là «de
la formule de base de notre quotidien qui marque le plus fort tirage au
Québec».
Enfin, quant à
son «supposé refus» de corriger ou de rectifier son article, elle expliquait au
Conseil qu’elle avait «proposé», aux personnes qui s’étaient identifiées comme
homosexuelles et qui lui ont fait savoir qu’elles n’étaient pas d’accord avec
la version de la police, «de publier la version d’un porte-parole officiel de
la communauté gaie ou encore celle d’une présumée victime de la descente». «Il
n’était pas question de «corriger» l’article paru, mais bien de compléter avec
une autre version que celle des policiers». Toutefois, l’ADGQ n’a jamais
communiqué avec elle et les individus qui lui ont téléphoné «n’ont pas accepté
d’apposer leur nom au bas de cette version qu’ils jugeaient si importante».
Analyse
Tout d’abord, le Conseil n’a pas à se prononcer sur les faits rapportés par Le Journal de Montréal dans cette affaire, leur appréciation relevant des instances judiciaires s’il y a lieu. D’autre part, étant en présence de versions contradictoires, le Conseil n’est pas non plus en mesure de savoir s’ils ont été rapportés fidèlement comme le prétendent Le Journal de Montréal et ses journalistes.
Le Conseil est d’avis qu’en associant sans raison l’homosexualité à la criminalité, la mention de l’orientation sexuelle des personnes impliquées était effectivement propre à discréditer les personnes homosexuelles et d’entretenir à leur endroit des préjugés populaires.
De par l’importance qu’il lui a accordée et par sa façon d’en traiter (titres, mise en pages, insistance pendant trois jours à rappeler l’incident), Le Journal de Montréal s’est plutôt soucié, selon le Conseil, de faire du sensationnalisme plutôt que de renseigner ses lecteurs sur les aspects d’intérêt public que pouvait offrir l’événement en question.
Enfin, le Conseil considère qu’en ne rapportant que la version policière de l’incident et en ne tenant pas compte des différents commentaires qu’elle a reçus de plusieurs personnes directement impliquées dans l’incident en question, dont deux des plaignants notamment, la journaliste Monelle Saindon n’a informé que partiellement ses lecteurs. Ä cet égard, le Conseil n’estime pas que l’offre de madame Saindon de faire paraître une lettre ouverte de ceux qui lui ont fait part verbalement de leurs récriminations ait été suffisante pour réparer les torts causés ou encore pour rétablir l’équilibre.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C18A Mention de l’appartenance
- C19B Rectification insatisfaisante